Banque Privée : vous avez dit désintermédiation ?
Patrice Henri – Directeur Général Délégué d’Harvest
Comme beaucoup d’activités bancaires, la banque privée semble elle aussi exposée à la désintermédiation promise par les nouveaux entrants. Pourtant rien n’est joué, car les acteurs traditionnels ont plus d’un atout à faire valoir. À condition de ne pas les surestimer et de prendre l’initiative…
La banque offre un environnement favorable aux nouveaux entrants
L’essor fulgurant des fintechs s’explique, comme dans d’autres activités de services, par trois facteurs qui les favorisent vis-à-vis des acteurs traditionnels. Tout d’abord, la réglementation, censée être une barrière à l’entrée, joue plutôt en défaveur des banques. En effet, les imprenables bastions réglementaires qu’elles ont consciencieusement bâtis autour de systèmes d’information vieillissants les ont peu à peu éloignées de leurs clients… qui se montrent surpris par l’aspect formel et administratif des démarches, auprès de partenaires qui affichent pourtant une connaissance intime et de longue date de leur patrimoine familial. À l’image du secteur du paiement, longtemps figé et aujourd’hui en pleine effervescence, les nouveaux entrants ont renversé l’approche en s’intéressant d’abord aux usages des consommateurs avant de mettre leurs solutions en conformité.
Le deuxième levier sur lequel jouent les nouveaux acteurs est la crainte des clients de se retrouver captifs d’institutions qui leur apparaissent distantes et parfois tatillonnes. Introduite par la loi Macron, la portabilité bancaire est loin d’être entrée dans les mœurs et le spectre d’un engagement sans retour demeure pour les clients.
Enfin, le troisième aspect est la relative insatisfaction des clients concernant le rapport qualité/prix des prestations bancaires. Les banques digitales leur offrent de ce point de vue d’autres modèles, allégeant la facture des services et des opérations courantes. Le lancement d’Orange Bank, la promotion d’offres « low cost » de certains grands réseaux (Crédit Agricole ce mois-ci, BNPP avec le compte Nickel) mais aussi N26 en Allemagne ou Revolut en Angleterre confirment ce point.
Face au risque d’ubérisation, les banques privées ne manquent pas d’atouts
Entre sclérose réglementaire, défiance et insatisfaction relative des clients, les banques privées peuvent elles aussi se retrouver dans les ombres de ce portrait, et donc craindre l’irruption de nouveaux concurrents. Elles disposent cependant d’au moins trois atouts.
En premier lieu, leur connaissance intime du client, de sa famille et de son patrimoine. Ceci est le fruit de l’approche patrimoniale globale qui s’est développée à partir de la fin des années 1980 avec la professionnalisation du métier grâce à la mise en place de formations universitaires spécifiques et l’apparition d’outils offrant une vue périphérique du client, incluant les dimensions familiales, patrimoniales, juridiques et fiscales.
Dès lors, les conseillers ont développé une pluridisciplinarité qui les rend aptes – et c’est là leur deuxième atout – à gérer la complexité et le caractère systémique des montages patrimoniaux. En effet, l’affectation du patrimoine (qui le possède, qui décide), sa structure, sa fiscalité, sa gestion au quotidien et son contrôle, découlent d’une stratégie dictée par les objectifs de vie du client (protéger sa famille, préparer sa retraite…). Mais ces aspects sont interdépendants. Que l’un d’eux évolue et c’est tout l’équilibre global qui est ébranlé. Seul un professionnel aguerri et bien formé peut analyser ces répercussions et ajuster la solution pour qu’elle continue à servir les objectifs de son client.
Enfin, troisième atout, la dimension humaine et psychologique. Les banquiers privés font souvent face à leurs clients dans des circonstances difficiles, lorsqu’un accident de la vie, une séparation ou une crise boursière remet en cause leurs dispositions antérieures. Dans ces moments où l’émotion peut l’emporter sur la raison, il faut savoir écouter, rassurer et offrir une présence désintéressée. Cette empathie authentique permet d’établir la confiance indispensable à une relation durable et mutuellement bénéfique. Or, il sera difficile de remplacer cette humanité par une interface digitale…
Le conseil patrimonial, une activité vulnérable aux progrès technologiques
Pour autant, ces points forts ne suffisent pas à immuniser les banques privées contre une possible désintermédiation car ces atouts sont fragiles et vulnérables à la technologie. Ainsi, leur connaissance du client est souvent mal documentée, diffuse, peu accessible et finit par s’appauvrir au gré des méandres des systèmes et de l’organisation. Leur maîtrise de la complexité est disputée par les progrès des outils d’analyse et d’intelligence artificielle, mais aussi par des simulateurs capables d’intégrer toujours plus de paramètres. Enfin, à leur écoute et leur conseil, se substituent de plus en plus les échanges entre pairs sur les forums et les réseaux sociaux, et une autoformation de circonstance, qui peuvent donner au client l’illusion de maîtriser la situation et dévaloriser le rôle du professionnel. Cela s'est déjà produit dans les secteurs du voyage et de la santé, entre autres.
Pour préserver leur avance, les banques privées doivent prendre l’initiative
Leurs atouts confèrent aux banques privées une nette avance sur d’éventuels nouveaux entrants digitaux et, leur proposition de valeur reposant largement sur leur dimension humaine, une désintermédiation apparaît peu probable dans l’immédiat. Mais elles ne doivent en aucun cas tenir cela pour acquis car les évolutions des attentes des clients conjuguées aux avancées de la technologie condamnent à terme l’immobilisme.
Au contraire, elles doivent profiter de ce répit pour prendre l’initiative. En premier lieu, il leur faut sans tarder offrir à leurs clients les outils digitaux et omnicanaux qu’ils réclament : espace personnel, consolidation des avoirs, dématérialisation des documents, simulateurs… En parallèle, leurs conseillers doivent être équipés d’outils similaires et formés à leur utilisation. Enfin, l’entretien lui-même doit changer de format et devenir une séance de co-construction de la solution patrimoniale.
Le risque pour les banques privées serait qu’elles considèrent le digital uniquement comme un outil de productivité (ce qu’il est) et limitent le service rendu en face à face par les conseillers dans un objectif de diminution des coûts. Une telle démarche serait immédiatement repérée par les clients et ouvrirait grand la porte aux acteurs du BtoC, comme cela s’est produit au Royaume-Uni suite à la réglementation RDR (Retail Distribution Review). En revanche, en conciliant digital et proximité, les banques privées répliqueraient la parade gagnante mise en œuvre dans d’autres secteurs par des entreprises comme la FNAC ou les taxis G7 face aux menaces d’ubérisation : s’appuyer sur leurs forces et leur connaissance du métier pour améliorer l’expérience et le service, et faire du réel un véritable élément de différenciation par rapport au digital.
Directeur Général chez Meeschaert - Directeur de la Gestion Privée
7 ansParfaitement d'accord, il n'y a aucune fatalité, le digital est une opportunité de faire notre métier plus efficacement, et nous en avons tous besoin !