Basculer en temps partiel, une fausse bonne idée ?
« J'aime mon travail, mais je n'ai pas envie d'être enfermée dans une seule activité », confie Alice Aguirregabiria, 32 ans, consultante chez fifty-five, un cabinet de conseil spécialisé dans la donnée. Pendant cinq ans, la jeune femme a maintenu un rythme effréné qui piétinait l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Pour rééquilibrer la balance, fin 2018, elle a opté pour un temps partiel. Sa décision a été nourrie par deux objectifs : réduire sa charge de travail et développer sa passion. À l'aise avec le travail manuel, aujourd'hui, les mercredis d'Alice sont consacrés à la céramique. « Ce n'est pas encore rémunérateur, je me laisse la chance d'essayer mais surtout je m'éclate », poursuit la jeune femme, très satisfaite de sa nouvelle organisation.
Reconversion en douceur
Pour Mathilde Forget , coach en reconversion professionnelle, le temps partiel est un bon moyen de tester une nouvelle activité, en douceur. « C'est souvent la première étape de ceux qui veulent garder un filet de sécurité », observe-t-elle. Alexis Bletsas, responsable des relations presse chez Hotwire Global, une agence de relation publique spécialisée dans la tech en fait l'expérience.
Après un début de carrière dans le journalisme, il s'oriente vers les relations presse en free-lance. Un an plus tard, il fait ses preuves et intègre l'entreprise en CDI, mais il négocie un 4/5ème. « Cette transition m'a permis d'apprendre le métier et de tester si j'étais à la bonne place ». Huit ans plus tard, il est manager d'une équipe, toujours à 80 %. Le cinquième jour, le vendredi, il alimente un site d'information. « Je sépare bien les deux activités, même si je suis flexible et disponible par SMS si besoin » explique Alexis qui a une routine bien rodée.
Apprendre à s'organiser
Réussir à tout calibrer en quatre jours, c'est aussi le challenge de Karina Tavares, 44 ans, et responsable des relations clients et événementiel chez NUMA, une structure spécialisée dans la transformation numérique. « Je suis très investie dans mon boulot, mais j'ai aussi envie de faire de la musique, d'avoir du temps pour lire et profiter de mes enfants », indique cette ancienne entrepreneuse qui avait adopté ce rythme allégé même quand elle travaillait pour sa start-up. Elle a revendu sa boîte, mais elle a conservé des réflexes d'entrepreneur. « Je vais à l'essentiel. Je commence la semaine avec une to-do claire. Et quand je suis au boulot, je suis très focus sur mes objectifs et je priorise. » Cette mère de deux enfants prévoit d'ailleurs de réduire son temps de travail à trois jours par semaine. « J'ai la chance de travailler dans une entreprise qui favorise le résultat et non le temps passé », indique Karina Tavares. Pour elle, la culture d'entreprise fait une sacrée différence. « Tout le monde sait que je ne suis pas là le mercredi, et je ne ressens aucune culpabilité, ni de mes collègues, ni de mes chefs. »
Travailler le soir et le week-end pour compenser
La machine n'est pas toujours aussi bien huilée. Après sa deuxième grossesse, Carole*, 41 ans, responsable produit chez la marque de produits laitiers Lactel est passée d'une demi-journée à une journée entière. « C'est un peu la bouffée d'oxygène de la semaine qui me permet d'anticiper le week-end », précise-t-elle. À la différence d'Alice, Alexis et Karina, sa charge de travail est restée la même qu'à temps plein. « Je savais que ce n'était pas envisageable de négocier une diminution de la charge de travail », confie-t-elle. Pour compenser son absence, elle récupère le soir et parfois le week-end. « Comme beaucoup de cadres à temps plein travaillent aussi sur leurs dossiers à la maison, je le fais aussi », relativise-t-elle.
Un télétravail déguisé
Lisa Wyler, mère de deux enfants en garde un bilan mitigé. En 2015, elle travaillait dans une agence de publicité, au retour de son deuxième congé de maternité, elle a aussi opté pour un congé partiel. « Je n'étais pas gagnante à 100 % », analyse-t-elle, a posteriori. Elle décrit une sorte de télétravail déguisé. Le vendredi, elle bossait de chez elle, et répondait aux urgences de certains clients. « Finalement, je guettais mes mails sur mon smartphone, j'avais le salaire en moins, la même charge de travail, une augmentation de la charge mentale, et un bébé qui ne dormait pas beaucoup » résume Lisa Wyler. Depuis, elle est indépendante et se sent plus à l'aise dans la gestion de son temps.
À vous de fixer les limites
Pour éviter de se retrouver sur tous les fronts, il est primordial de bien cadrer l'organisation du travail et de ne pas se laisser dépasser par l'opérationnel. « Un salarié qui demande une réduction de son temps de travail doit être préparé à fixer des limites », prévient Amandine Ruas, experte en ressources humaines et coach carrière. Le risque est de se retrouver sur un temps complet déguisé. « Soyez réalistes, ce n'est pas au manager de fixer les limites à votre place », insiste la coach.
Pour réussir cette transition, il est aussi important de bien définir vos objectifs avec votre employeur. « Les femmes ont tendance à ne pas oser pour montrer qu'elles sont capables de tout gérer. Sur une période de courte durée, vous allez tenir, mais au bout d'un moment ça finit par exploser », observe Hélène Picot, coach en reconversion et auteure de Libre, vers un travail qui a du sens, qui traite des nouveaux modes d'organisation du travail.
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Les hommes n'osent pas
Dans la crise de sens dont on dit de plus en plus sujets les salariés, le temps partiel pourrait être une solution. Pour l'heure, les chiffres de l'Insee montrent que les femmes sont les plus concernées : elles étaient 28,4 % en 2019 contre 8,3 % pour les hommes. Il faut tout de suite préciser que toutes ne choisissent pas cette modalité. Beaucoup se voient imposer un temps partiel, comme les caissières.
Pour la population cadre, même s'il n'y a de données chiffrées, les experts sont unanimes : les femmes sont en majorité. « Nombreuses sont celles qui basculent vers cette organisation après un retour de congé maternité », observe Tiphaine Mayolle, consultante en parentalité. Les hommes sont encore frileux. « Dans ma boîte, ils n'osent pas peur de l'impact sur la carrière », constate Carole. Pour en finir avec ces préjugés, il faut changer de regard. « Pour dédramatiser le temps partiel et lever les freins, les entreprises doivent insuffler le bon esprit », analyse Hélène Picot. « Un salarié épanoui est plus efficace », conclut-elle.
Fabiola Dor