Bataclan, 9 ans après. À la croisée des crises : Réflexions sur un sursaut occidental urgent
En 1995, j'ai assisté à un prêche virulent, sur invitation d'une personne que j'appréciais énormément, un diacre. Le pasteur haranguait ses fidèles, désignant les sédentaires comme responsables des drames de son peuple. J'ai été très surpris par la teneur de cette messe pentecôtiste, mais à 21 ans, avec ma petite expérience de vie, j'étais loin de comprendre tout ce qui se jouait.
Le mouvement évangélique était aux prémisses de son installation au sein de la communauté des gens du voyage. Il a permis la création d'un lien entre les membres d'un peuple jusque-là morcelé, multiculturel et multiethnique. "Religion", qui signifie "relier", prenait ici tout son sens. Ce courant religieux protestant était en plein essor, renforcé par une réglementation de plus en plus restrictive de l'habitat et de l'urbanisation, non seulement pour les voyageurs mais pour tous. L'union faisant la force, ce phénomène religieux en a profité pour lancer la dynamique des grands rassemblements que chacun connait.
Nous étions en pleine application de la loi Besson sur le logement de 1990, dont un des articles prévoyait la construction d'aires d'accueil dans les communes de plus de 5 000 habitants. Les maires, à la recherche d’interlocuteurs, en trouvaient souvent auprès de ces pasteurs, formés à la va-vite, qui parlaient "au nom de" la communauté. Leur influence a grandi très rapidement, avec les dérives qu’on peut imaginer et que plusieurs maires ont déjà rencontrées. Heureusement, comme toujours, les comportements déviants n’étaient le fait que d’une minorité de pasteurs, mais j’ai dû lutter pour que les salles polyvalentes mises à disposition pour les cultes ne gardent sur place aucun objet incantatoire, ni pupitre, ni tableau, ni croix. La laïcité, ça se protège.
Le phénomène nous inquiétait, d’autant que certains pasteurs imposaient des règles surprenantes, comme l’interdiction pour les femmes de porter des pantalons. Un jeune voyageur qui avait participé à un séjour à la montagne que nous avions organisé ensemble – excellent guitariste – m’a confié qu’il ne jouait plus dans les bars depuis que sa famille était devenue religieuse. Il ne jouait plus que des cantiques, ce qui réduisait drastiquement son répertoire. Un chant de messe sur des airs de swing manouche, c'est agréable, mais cela reste un chant de messe.
À cette époque, nos équipements ont commencé à subir des dégradations importantes, et nous avons également été confrontés à des agressions. La tension montait, et la police refusait d’intervenir, craignant de tomber dans des guets-apens. Les pasteurs semblaient être les seuls capables d’imposer un semblant d’ordre, mais cela aurait légitimé leur autorité dans un domaine qui ne leur appartenait pas. Il a fallu persévérer, travailler avec le procureur et le préfet, cibler les meneurs, établir des procédures et engager des expulsions. Il est arrivé que la situation soit si tendue que j’ai eu à deux reprises peur pour ma vie.
Heureusement, les efforts croisés des voyageurs modérés, de notre équipe et d’une majorité de familles n'aspirant qu'à vivre sereinement ont permis de limiter l’expansion de cette dynamique fondée sur la victimisation. Les voyageurs se sont organisés, finançant eux même leurs lieux de culture, les grands passages se sont organisés à l'échelle nationale. Nous avons même aidé des voyageurs à créer une association laïque, afin qu'elle bénéficie des mêmes soutiens pour l'organisation de rassemblements. Globalement aujourd'hui encore ça se tient.
Anecdote : en 1997 les emplois-jeunes sont arrivés, deux dans notre association. Leur vision simpliste, leurs avis tranchés et leur mimétisme agaçant (ils imitaient le parler des voyageurs) devinrent bien vite autant de situations difficiles à gérer.
Mes engagements locaux et nationaux m’ont concomitamment amené à observer de près le phénomène des "grands frères" dans les quartiers, ainsi que l’émergence du religieux islamique au sein de la communauté arabe, qui s’enracinait profondément chez les descendants de la troisième génération d’immigrés. D'ailleurs ce fut un des sujets abordés lors du FESU "Forum Européen sur la Sécurité Urbaine" qui s'est tenu à Lisbonne en 2001, par un des conférenciers intervenu avant moi.
J’ai alors vu la même dynamique "religieuse" se propager dans les quartiers, s'infiltrant dans tous les "territoires perdus de la République" et tissant du lien entre les membres d'une communauté dispersée, notamment dans les ZEP, les ZUP et autres quartiers prioritaires. Des imams formés à la va-vite prenaient la place des grands frères, et les prêches virulents attisaient les braises.
En 2012, quand Mohamed Merah, le "tueur au scooter", a tué sept personnes, dont trois enfants, j’ai su que nous entrions dans une période très sombre de notre histoire. Le lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, j’ai amené mes enfants observer les manifestations, en leur parlant de la liberté d’expression, en expliquant à mon aîné le risque, déjà évident pour moi, que cette foule de soutien, en découvrant l'hebdo, finisse par dire "oui mais".
Dix mois plus tard, lors de massacre au Bataclan, le 13 novembre 2015, il devenait clair que nous étions en guerre. Mais le déni restait puissant. Ce jour-là, j’ai écrit quelques lignes que j’ai attachées à des ballons gonflés à l’hélium – moi qui suis passionné de vol et de vent – que nous avons laissés s’envoler. Geste naïf, reflet d’une terrible impuissance.
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J'ai commencé à établir quelques statistiques, et l’évidence m’est apparue. En dehors des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et du 7 août 1998 au Kenya et en Tanzanie, les actes terroristes au nom de l'Islam suivaient une courbe alarmante. Le nombre d'attaques augmentait (106 en 2017), avec une diminution du nombre de morts et de blessés par acte, montrant une dissémination des attaques, désormais perpétrées par des individus isolés.
J'ai cessé de suivre ces statistiques en 2017, sachant comment le monde fonctionne. Déjà en 1998, lorsque je parlais de la réduction des gaz à effet de serre et de l’impact de l’activité humaine sur le climat, peu de gens prenaient cela au sérieux. Le monde écoute de moins en moins la science, la connaissance, les experts. Ou peut-être a-t-il toujours été ainsi, et je ne m’en rends compte que maintenant. Quoi qu'il en soit il semble bien que ça ne soit qu'une fois le nez dans la merde que l'humanité réagit.
Près de dix ans après le Bataclan, chacun sait où nous en sommes. Les emplois-jeunes sont maintenant à l'Assemblée nationale, des harangueurs de foule attisent la haine, et des centaines de petits décérébrés sont prêts à passer à l’acte. Le discernement et le courage se sont fait la malle.
Ce n'est pas une question d'Islam en tant que tel, mais bien l'accaparement par une minorité très active d'un motif religieux plus ou moins maîtrisé, surtout fantasmé, dans le seul but d'imposer leur loi. Et nous, pauvres fous que nous sommes, sommes divisés comme jamais.
Ceux qui crient à l'islamophobie sont décidément des idiots.
Ma tristesse et ma colère ont disparu depuis longtemps. Je sais seulement qu’à défaut d’un sursaut urgent et massif de notre civilisation occidentale, nous allons tous payer très cher de ne pas avoir agi à temps.
Ce n'est pas faute d'être prévenus.
t
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1 moisMerci Sébastien pour ce rappel historique. Tu vois, la première partie je ne l'avais pas vraiment intégré. Oeuvre utile. Et il est souvent utile de lancer des bouteilles à la mer. Ça donne déjà de l'espoir à celui qui l'envoie ...