Baudelaire, le vers lu et le vers dit

Baudelaire, le vers lu et le vers dit

"Au dessu dé zétan, au dessu des valé

Des montanieu, des boix, des nuaje, des mer

Par de la le soléi, par de la lé zéter

Par de la les confin des sfaireu zétoilé

Mon nespri tu te meu avé kajilité..."

On voit bien que si l'on modifie l'orthographe des premiers vers du poème "Élévation", on défigure illico le fameux poème de Baudelaire.

Voici l’extrait original:

“Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,

Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,

Par delà le soleil, par delà les éthers,

Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,”

Si la beauté sonore du poème résiste à une orthographe phonétique, elle est comme humiliée dans l’oeil de celui qui le lit.

Comment donc une orthographe appauvrie peut-elle nuire à la beauté du poème quand la musique reste la même?

Quel est ce Pont Mystérieux qui relie ces deux paysages également beaux: le vers écrit et le vers lu? D'où vient que les poèmes de Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Marot, Villon et tant d'autres soient aussi beaux à voir qu'à entendre et que la beauté de la langue parlée trouve son reflet parfait dans celle de la langue écrite?

Mystère et boule de gomme.

J'avance une hypothèse à propos du Pont des Sortilèges: La langue parlée, face à son propre reflet écrit, aurait-elle patiemment modifié ses manières, puis en retour, par un patient et complexe jeu de va-et-vient, modifié les manières de l’écrit? Telle la jeune bergère peinte par Poussin qui, se mirant dans l'eau et prenant conscience de sa beauté, changerait sa mise, sa façon de se mouvoir et utiliserait mille artifices afin d’être plus belle encore.

Les poètes comme la bergère, nous auraient-ils tendu ce miroir, au fil du temps?

Baudelaire est parvenu, plus que tout autre, à jouer de ces correspondances secrètes entre ces deux beautés jumelles. Celle qui chante et chaloupe sur un rythme ternaire et celle qui parait vêtue de mots à l'orthographe souvent bizarre.

D'où vient justement que Baudelaire ne conçoive pas la beauté sans un peu de bizarrerie et qu'il n’aspire qu’à être un dandy, c'est à dire quelqu'un qui porte le plus grand soin à sa personne et qui passe le plus clair de son temps devant un miroir ?

Il n'est alors pas surprenant que Baudelaire incarne cette langue qui s'est tant mirée dans l’écriture en répétant ces mots : "Miroir, miroir, suis-je la plus belle en ce royaume?" Et tout naturel que pour être l'un des miroirs les plus profonds que la langue française ait tenu dans propres ses mains, Baudelaire soit devenu "le prince des poètes."


©nicolasbattus2018











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