L'éléphant dans le couloir de l'ESAT
Il y a un éléphant dans le couloir de l’ESAT.
Un éléphant que la littérature médico-sociale rate systématiquement depuis un fameux bail, aussi incroyable que cela puisse paraître.
Non pas que le couloir de l’ESAT soit une savane : c’est un couloir banal avec des baies vitrées.
Non pas que l’éléphant soit invisible : il est sous nos yeux.
Je veux parler du collectif-atelier, de cette “communauté de travail” que forment les travailleurs attachés à un atelier.
Il se trouve que le “médico-social” méconnait encore trop l’impact du collectif-atelier en tant que ressource spécifique dans l’accompagnement des travailleurs d’ESAT. Par ailleurs, la nomenclature SERAFIN-PH accentue cette invisibilisation puisqu’elle n’accorde pas plus de “poids” à la prestation "Accompagnements pour mener sa vie professionnelle" qu'à une autre. Et pourtant, l'activité exercée par le travailleur dans l'atelier représente jusqu’à plus de 80% de son temps de travail.
Trois facteurs puissants permettent à tout groupe humain de se souder : les sentiments de sécurité, d’égalité/équité, de confiance comme le montre le chercheur Pablo SERVIGNE dans "L’entraide, l’autre loi de la jungle"(2019) ainsi que les attitudes apparentées au don/contre-don.
Dans un atelier de production d’ESAT, les interactions sociales sont permanentes et si le moniteur ou la monitrice a une responsabilité particulière dans l’atmosphère et la régulation du collectif-atelier, ce dernier agit en retour sur chaque personne de l’atelier.
Le moniteur ou la monitrice utilise donc en permanence l’énergie positive qu’il aura favorisée dans ses interactions avec chaque travailleur et avec le collectif-atelier.
Dans ces conditions, on peut légitimement se demander pourquoi l’impact du collectif-atelier a été si peu valorisé comme ressource spécifique dans l’accompagnement des travailleurs.
Une réponse possible est que l’approche institutionnelle de l'accompagnement de la personne ayant une déficience intellectuelle via sa modalité duelle accompagnant/accompagné masquent presque par définition l'influence du collectif-atelier.
L’organisation taylorienne du travail dans les CAT devenus ESAT a probablement accentué l'éclipse du collectif-atelier.
Pourtant, il s'agit bien d'une “communauté de travail” qui fonctionne en vertu de déterminants puissants et qui répond aussi aux besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance de chaque travailleur tels qu’ils sont définis dans la théorie de l’autodétermination.
Pour les humains, créatures ultra-sociales, la production de la vie matérielle signifie également la production de relations sociales où les personnes coordonnent leur activités productives les unes avec les autres. Ce faisant, les relations sociales transforment les producteurs eux-mêmes (La fausse monnaie de nos rêves, Graeber ).
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Je voudrais ajouter que le joli terme de “communauté de travail” m’a été suggéré par ChatGPT au cours d’une discussion à bâtons rompus.
“ (...) Dans une vision non capitaliste et collaborative du travail humain, le terme de communauté de travail pourrait être utilisée en lieu et place de ressources humaines. Cela implique de considérer les personnes travaillant ensemble comme des membres d’une communauté, chacun contribuant à la réalisation d’un objectif commun plutôt que de les voir simplement comme des ressources à exploiter pour maximiser les profits d’une entreprise”.
Histoire des aveugles et de l'éléphant (Inde)
Un jour de grand soleil, six aveugles instruits et curieux désirent rencontrer pour la 1ère fois l'éléphant de l'ESAT afin de compléter leur érudition.
Le premier effleure une défense. — Oh ! Oh ! C’est rond, lisse et pointu. Ça ressemble fortement à une lance !
Le deuxième s’étant saisi par hasard de l’oreille, dit : — Même pour le plus aveugle des aveugles, au toucher cet éléphant est semblable à un éventail !
Le troisième prend entre ses mains la trompe ondulante : — Pour moi, l’éléphant est comme un serpent.
Le quatrième cherche à tâtons l’animal, s’empare de la queue qui balayait l’air. Cela lui semble familier : — Je vois : l’éléphant est comme une corde !
Le cinquième tend une main impatiente et palpe le genou. Il est convaincu qu’un éléphant ressemble à un arbre.
Le sixième s’approche de l’éléphant et se glisse contre son flanc vaste et robuste, il s’exclame : — Dieu me bénisse, un éléphant est comme une montagne en mouvement !
Personne n'est d'accord sur l'aspect réel de l'éléphant, la situation se complique.
Un septième sage s'approche : — Vous avez tous dit vrai et pourtant vous vous trompez tous. Si chacun de vous décrit l’éléphant de façon si distincte, c’est parce que chacun a touché une partie de l’animal très différente.
Nicolas BATTUS 2023