Beaucoup de réalisme dans cet article de Slate
Les dirigeants étrangers ne portent pas Donald Trump dans leur cœur. Et pourtant, tous sont bien obligés de faire des courbettes devant lui. Le président des États-Unis se conduit souvent comme si incarner la superpuissance dominante à l'échelle mondiale n’était pas aussi génial qu’on le dit. Après tout, comme il ne cesse de s'en plaindre, les États-Unis arrosent constamment le monde d’engagements militaires onéreux, de généreux accords commerciaux et d’aide humanitaire sans rien recevoir en échange. Pourtant, la puissance économique et militaire de l’Amérique s’accompagne d’un indéniable avantage: Trump peut déblatérer autant qu’il veut contre les autres pays, leurs dirigeants tentent inlassablement de s’attirer ses bonnes grâces.
Une réponse au «pays de merde» esquivée
Début mai, le président nigérian Muhammadu Buhari a été le premier dirigeant d’Afrique subsaharienne à se rendre à la Maison-Blanche de Trump. Dans l’air flottaient les effluves de l’éléphantesque bouse commise par Trump lorsqu'il a qualifié les pays africains de «pays de merde», lors d’une réunion avec des sénateurs américains en janvier dernier.
L'an passé, au cours d’une autre réunion, Trump aurait dit, en faisant référence aux Nigérians ayant reçu un visa, que ceux-ci ne voudraient jamais «retourner dans leurs huttes» après avoir vu les États-Unis.
Pendant une conférence de presse commune, Buhari a répondu à une question sur la remarque des «pays de merde», en disant qu’il n’avait pas évoqué le sujet car il n’était pas sûr que le président américain l’ait vraiment dit.
Trump, plutôt que de nier ou de présenter des excuses, a quasiment réitéré son commentaire en disant «Vous –là, il voulait sans doute parler de l’Afrique– avez vraiment des pays en très mauvais état et des lieux où il est très difficile de vivre.»
Le malaise était palpable, mais Buhari n’avait en réalité d’autre choix que de le supporter. Son pays a besoin des armes et des financements américains pour continuer sa lutte contre Boko Haram –l’administration Trump a levé les restrictions sur les ventes d’armes au Nigeria, restreintes par l’administration Obama en raison d'inquiétudes sur les violations des droits humains. Buhari ne peut pas vraiment se permettre de bouder Trump.
Les médias ont annoncé, le dernier week-end d’avril, que Trump allait faire sa première visite tant attendue en Grande-Bretagne au mois de juillet –même si cela ne sera qu’une «visite de travail» relativement discrète. Theresa May a été la première dirigeante étrangère à rendre visite à Trump après son investiture, et il était question que Trump se rende en visite officielle en Grande-Bretagne –passage à Buckingham Palace compris.
Mais depuis, le président américain a mis à mal leur «relation spéciale» en se querellant publiquement avec le maire de Londres, en critiquant la politique d'immigration britannique juste après une attaque terroriste, et en retweetant les propos d'un groupe de marginaux britanniques extrémistes et haineux.
Après l’annonce de la visite prévue, Trump a de nouveau descendu en flammes le nouvel emplacement de l’ambassade des États-Unis à Londres, déplacée et revalorisée pour des raisons de sécurité. Compte tenu de l'état actuel du gouvernement de Theresa May, la Première ministre britannique ne marque pas beaucoup de points, politiquement, en rencontrant un leader aussi toxique que Donald Trump. Mais la Grande-Bretagne a besoin d’un accord commercial post-Brexit avec les États-Unis plus que Theresa May n’a besoin de défendre des opinions.
Il est très clair que Donald Trump et la chancelière allemande Angela Merkel ne peuvent pas se voir. Lui a qualifié ses politiques d’immigration de «dingues» et asséné que les Allemands étaient «affreux, vraiment affreux» à cause du nombre de voitures qu’ils vendent aux États-Unis. Et pourtant, regardez qui est venue à la Maison-Blanche fin avril, dans l’espoir d’obtenir une exemption pour l’Union Européenne des taxes sur l’acier et l’aluminium annoncées par Trump en mars dernier, et de convaincre le Président de ne pas se retirer de l’accord nucléaire iranien –les chances de succès semblaient étiques sur les deux fronts.
Collaborer avec Trump, un calcul logique
Pour les habitants de ces pays, et pour les opposants de Trump aux États-Unis, il doit être fort déprimant de voir ces dirigeants se rendre à Washington faire des courbettes ou inciter Trump à leur rendre visite dans leurs capitales.
Mais s’il est possible pour quelqu’un comme l’ancien président mexicain Vicente Fox de devenir un héros d'internet en trollant Trump, il y a une raison: c’est parce que c’est un ancien président. Les dirigeants encore chargés de la sécurité et de la santé économique de leur pays ne peuvent se payer ce luxe.
Des leaders de l’opposition comme le Mexicain Andrés Manuel López Obrador ou le Britannique Jeremy Corbyn ont beau jeu de critiquer leurs dirigeants qui essaient de s’entendre avec Trump. Il sera intéressant de voir s’ils restent toujours aussi réfractaires lorsqu’ils seront élus pour les remplacer et que leur tour sera venu.
Comme l'a fait remarquer fin avril Benjamin Haddad, du Hudson Institute, en s’adressant aux Américains: «Les amis, c’est vous qui l’avez choisi. Maintenant, on fait avec. Le reste du monde ne peut pas se contenter de se plaindre qu’il s’agissait d’une fake news, que c’est de la faute de la Russie et inviter Clinton aux sommets internationaux à la place.»
Pour ces dirigeants, ajoute-t-il, «leur responsabilité est de défendre leurs propres intérêts, pas de faire la leçon aux Américains sur leurs choix politiques. Collaborer avec Trump du mieux qu’ils peuvent est un calcul logique, basé sur le fait très simple que les États-Unis sont le pays le plus puissant du monde.»