BENIN : Quel est le coût de la libération des espaces publics ?
Depuis le 4 janvier 2017, Forces de l’ordre, autorités préfectorales et engins lourds ont pris d’assaut les artères des villes du Bénin pour libérer les espaces publics. Il y a des rues qui sont méconnaissables et on mentirait si on refusait de reconnaitre le charme qu’apporte cette opération. Des artères jadis jonchées de baraques incohérentes offrant un spectacle désolant, il n’en reste que ruine, que dis-je, vide et calme. C’est un objectif noble mais on est tenté de croire que la méthode a manqué de noblesse.
Le bénin très brièvement aujourd’hui…
Le Bénin a affiché un taux de croissance moyen de 5,2% entre 2011 et 2015 (WorldBank, 2016). En 2017, Perspectives Economiques Africaine (BAD, 2016) projette une croissance de 5,7%. Malgré cette « forte » croissance, le quotidien du béninois ne s’en trouve pas mieux parce que la croissance en question n’est pas inclusive. C’est une croissance qui profite plus aux étrangers parce qu’elle a été propulsée par les services plutôt que par la « production locale ».
Selon le rapport Doing Business 2017, le Bénin a fait des progrès marquants avec une série de réformes depuis 2015 pour ainsi s’établir à la 155ème place au monde (sur 190 pays), et la 26ème en Afrique subsaharienne (sur 48 pays) mais cela n’affecte que 2 critères sur 10 (Accès à l’électricité, +3 points, et le processus de création d’entreprise +60points). Sinon, globalement, le Bénin a perdu 2 places, puisqu’il était 153ème pour le DB 2016.
C’est dans ce contexte économique, à vrai dire délétère du Bénin, qu’intervient la décision de libération des espaces publics. Certes il y a de très belles perspectives avec le PAG Bénin Révélé, et il faut oser admettre que le Béninois est « dingue » et a besoin d’être un peu secoué pour se mettre dans les rangs.
Mais ne sommes-nous pas en train de mettre la charrue devant les bœufs ?
La pyramide de Maslow est un modèle qui a quasiment reçu l’assentiment de tous les chercheurs. Au Bénin, on ne fait pas encore des rangs pour acheter le dernier iPhone mais on peut patienter des jours, exposé au soleil, à la pluie et livré aux moustiques pour acheter un sac de riz ou de maïs pour le tiers du prix. Voilà là où nous en sommes sur la pyramide de Maslow: Tout en bas. Il y a une hiérarchie dans la résolution des problèmes. Si j’ai faim, pourquoi veux-tu me donner un bouquet de fleur ?
Le développement est inéluctable selon Rostow, économiste russe. Il a énoncé sa théorie bien connue dans le monde économique et politique, selon laquelle les sociétés parcourent au cours de leur développement cinq différentes étapes : la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage, le décollage, le progrès vers la maturité et l’ère de la consommation de masse (Conte, 2003). A mon avis, le Bénin se situerait entre la première et la deuxième étape. Alors oserais-je dire que la libération des espaces publiques constitue une condition préalable au décollage ?
Les Mairies sont des organes publics, donc c’est l’Etat…
Les espaces publics ont été progressivement occupés, bien avant la décentralisation sous le regard complice de l’Etat. Les Mairies n’existent pas sans le gouvernement même si elles jouissent d’une autonomie. C’est le pouvoir local. La Mairie perçoit des redevances auprès des occupants, ce qui "légitime" leur présence sur les espaces publics, même si l’habileté prévient l’administré qu’il devra céder le domaine dès que l’Etat (la Marie ou le pouvoir Exécutif) en aura besoin. « A Cotonou par exemple, la préfecture chargée de mettre en œuvre la décision de déguerpissement nie toute implication dans la perception des taxes par la mairie. Même si l’équipe dirigeante est récente, cela remet en cause le principe de la continuité administrative ...» (Ahouangansi, 2017). Il semble avoir une guerre tantôt ouverte, tantôt silencieuse entre le pouvoir exécutif et la mairie alors qu’on devrait s’attendre à une synergie d’action. Pendant ce temps, les grandes victimes se comptent par milliers !
Mais sur quoi repose donc la décision de libération des espaces publiques ?
Libérer les espaces publiques est une excellente chose et Dieu sait que le Bénin en a grand besoin. Mais l’avons-nous soigneusement planifié ? A mon sens, une action aussi couteuse non seulement pour les pauvres occupants mais aussi pour le gouvernement (imaginez combien coute les missions quotidiennes, et la mobilisation des engins lourds, les forces de sécurité etc.) mériterait d’être préparée ? Avons-nous évalué les conséquences économiques, sociales, politiques et juridiques de cette action ? Actuellement le seul résultat est la « beauté » de la ville, et après ça, qu’avons-nous ? Certains préfèrent être « heureux » sous un régime dictateur que triste dans la liberté ! Certains préfèrent manger à leur faim et porter des habits déchirés que le contraire ! Est-il si important d’avoir une ville si belle que la moitié des citoyens soit obligé de mourir de faim ? dans ce cas-ci, la beauté de la ville est trop chère à payer…
L’effet d’entrainement
Venez voir la tristesse de celle qui a reçu l’autorisation de la mairie pour s’installer, et qui a bénéficié d’un prêt de 10 millions de francs CFA pour ériger son restaurant. Aujourd’hui de son restaurant, il ne reste que du gravas. Un champ de ruine, son restaurant a reçu la visite des engins lourds de la mairie et il n’est reste rien. Elle doit à une institution de microfinance, à une banque… Jusque-là bon client, elle devient débitrice insolvable. La banque devra provisionner puisque la cliente n’arrive plus à payer… Premier niveau de conséquence au niveau des SFD et des banques qui se trouvent très exposés. La cliente à l’habitude de recevoir une grande quantité de poisson frais d’un pêcheur qu’elle paie par cycle, elle lui doit d’ailleurs ! Actuellement, elle ne peut pas honorer son engagement, alors que le pêcheur a déjà planifié acheter les médicaments de son épouse très malade en se basant sur les recettes importantes qu’il perçoit auprès de cette cliente… La situation le désole et il en devient soucieux lorsque son enfant renvoyé des classes pour solde de frais de scolarité vient à la maison… ce jour-là il n’a pas pu prendre la mer pour aller pêcher ! Il devait aussi de l’argent à son couturier pour les tenues confectionnées dans le cadre des fêtes de fin d’année qu’il n’a toujours pas soldé, et voici que ce couturier aussi vient lui rendre visite. Tristesse, il repart bredouille et déçu. Il devait lui aussi payer le réparateur de sa machine à coudre qui lui a vendu son service et devra revenir cet après-midi prendre son argent… Il viendra et ne trouvera rien alors que son épouse qui vend de la bouillie au bord du pavé n’y va plus pour raisons de déguerpissement ! Et il n’y a plus rien à manger à la maison, les six enfants sont là, affamés... Et ça continue… Imaginez l’entrainement que suscitera la situation au niveau de chacun de ceux qui sont délogés avec le fonds de commerce réduit en miette !
Sommes-nous conscients des potentielles conséquences à venir ?
Les conséquences ne sont pas encore visibles. Il y aura de véritables problèmes de tous ordres. La mesure a détruit la vie de nombreux citoyens, et fragilise davantage le tissu social et économique de notre pays.
Pourquoi des économistes ne se sont pas posés la question avant sa mise en œuvre ? Avons-nous estimé les conséquences à bon escient ? Avons-nous prévu des mesures sociales d’atténuation, ne serait-ce qu’un dédommagement au 10ème ? les baraques et autres installations n’ont pas poussé comme des champignons du jour au lendemain, pourquoi détruire du jour au lendemain ? C’est de nos compatriotes que nous parlons !
Il serait très intéressant que des travaux de recherche avancées se consacrent aux conséquences de cette mesure de libération des espaces publiques pour constituer un éclairage pour des décisions futures. Mais pour l’heure, ayons juste un peu de cœur !
Je répète que je suis très convaincu de la nécessité de la mesure qui est noble mais la méthode a manqué de noblesse.
I'm agree with u