Benjoin
Nom botanique : Benzoin Tonkinensis Craib
Famille des Styracacées
Origine: Asie du Sud-Est
Traitement : distillation de la résine et production d’un absolu à partir de la concrète ; teinture-mère par macération de la résine
Le benjoin est une résine qui provient d’un arbre dont l’écorce est excisée afin qu’il produise des larmes dont on tire divers produits utilisés aujourd’hui à la fois en aromathérapie (donc, à des fins thérapeutiques) et en parfumerie et cosmétique. Cette odeur délicieuse est le produit d’une blessure (l’arbre ne produit pas de résine naturellement), ce qui est intéressant parce que l’odeur comme les composants biochimiques du benjoin soignent à la fois le corps et l’esprit.
Botanique et histoire
Il existe deux sortes principales de benjoin : de Siam (ce qui ne correspond pas à la Thaïlande actuelle, mais inclut aussi le Vietnam et le Laos, ainsi que la Thaïlande) et d’Indonésie. Le nom botanique du premier est Benzoin Tonkinensis Craib alors que le second s’appelle Styrax Benzoin Dryander. Cependant, il existe près de 180 espèces de cet arbre ou arbuste de la famille des Styracacées. Le benzoin officinalis est originaire d’Asie Mineure et du pourtour méditerranéen et il nous rappelle que le benjoin est utilisé depuis la plus ancienne antiquité pour l’embaumement des morts, la purification énergétique et comme antiseptique. Il entre d’ailleurs dans la fabrication du papier d’Arménie.
Le benjoin, dont le nom viendrait de l’arabe luban jawi pour désigner un encens javanais (luban désignant l’encens oliban), fut découvert au 16ème siècle par le médecin portugais Garcia de Orta, parti pour les Indes (après que ses parents, juifs espagnols, eurent trouvé refuge au Portugal pour fuir l’Inquisition) ; il fut en contact avec les marchands qui liaient, depuis longtemps, le Golfe Persique à Sumatra en passant par le sud de l’Inde et Ceylan.
Au 17ème siècle, un des médecins de Louis XIV remarque les vertus du benjoin contre "les ulcères de poumon" et les "taches du visage". Il le préconise aussi contre la goutte, la gangrène et pour purifier l’air. Cependant, ce que le maître parfumeur et gantier Simon Barbe nomme "benjoin" dans son Parfumeur Royal de 1699 est en fait de la myrrhe, de son propre aveu. Le benjoin entre dans l’Eau de Botot et est reconnu pour apaiser les affections dentaires et des gencives.
Chimie, extraction et thérapie
La composition biochimique tient essentiellement, dans les deux cas, au benzoate de benzyle, un ester terpénique. Siam contient beaucoup plus d’acide benzoïque (acide terpénique), alors que de l’acide cinnamique est présent dans le benjoin de Sumatra uniquement. Le benjoin de Siam contient aussi du benzoate de coniféryle (ester). Diverses analyses font apparaître de la vanilline.
Les larmes de benjoin sont extraites au solvant pour produire une concrète, qui est lavée à l'alcool pour obtenir l'absolu. L’autre produit que l’on peut fabriquer à partir de la résine de benjoin est la teinture-mère ou alcoolature, obtenue par macération des larmes dans divers alcools de qualité, pendant des durées variables.
Le benjoin a de fortes applications dans la zone ORL contre les affections chroniques des voies respiratoires (bronchite, laryngite, asthme). Il a aussi de puissantes vertus anti-inflammatoires (arthrite) et cicatrisantes de la peau. Il peut être utilisé contre l’acné, le psoriasis, l’eczéma, le prurit, les plaies de coupures ou de brûlures, etc. Il aide à maintenir l’élasticité de la peau. Il est considéré comme négativant, c’est-à-dire comme calmant psychique, voire sédatif (dans une olfaction longue de benjoin, il n’est pas rare que l’on ait envie de s’endormir).
Le benjoin peut être utilisé en massage (en dilution dans une HV), en olfaction, en diffusion ou par voie orale dans le cas de la teinture-mère. Ce qui sera utilisé en dilution dans une HV est forcément un absolu, puisqu’il n’existe pas d’HE de benjoin. Certains considèrent que les solvants utilisés pour produire l’absolu proscrivent ce dernier dans les applications thérapeutiques.
La prise orale de la teinture-mère s'applique aux affections ORL (bronchite, toux, laryngite), à la sphère psychique, et cosmétique. On peut ajouter quelques gouttes de teinture-mère dans une crème de nuit et/ou de jour à la fois pour la parfumer, mais aussi pour profiter des nombreuses vertus cicatrisantes du benjoin.
L'utilisation cosmétique du benjoin est ancienne. Dans L'Art du Parfumeur (1801), Jean-Louis Fargeon explique que la teinture-mère rend l'eau trouble ; "c’est ce qu’on appelle lait virgînal. Les dames en font usage à la toilette comme d’un cosmétique."
Olfaction
L’odeur est vanillée, avec des traces de chocolat et une forte marque de caramel. Elle est enveloppante, enrobante, comme un châle ou une étole riche, plus lourde que la soie. C’est une odeur qui pèse. Elle est, en ce qui me concerne, un peu "pot de colle", c’est-à-dire un peu gluante, terrienne et chaleureuse. L’élément eau, même dans la teinture-mère, est absent. La chaleur que dégage le benjoin n’évoque pas un feu qui crépite mais un sirop que l’on aurait chauffé au bain-marie ou une flamme de bougie vanillée. En même temps, le benjoin évoque très fortement le désir et beaucoup lui prêtent des vertus aphrodisiaques. Il est exotique, il fait voyager et rêver. Il invite au relâchement, et en détendant les muscles, il désinhibe.
Le parfum
Voilà comment Jean-Louis Fargeon expliquait l'utilisation du benjoin dans L'Art du Parfumeur : "Le benjoin se sublime en fleurs argentées, lorsqu’on le tient sur le feu dans une cucurbite entourée de sable et couverte d’un cornet de papier. On emploie ces fleurs dans les parfums."
La parfumerie est une grande adoratrice de cette matière royale qui évoque des tropiques sulfureux et de troubles nuits cantonaises suintantes de plaisirs. Le benjoin est un ingrédient idéal des notes de fond de même qu’un bon fixateur,. Il permet d’agréger autour de lui tout un tas d’autres notes, à la fois en fond et en cœur. Commençons par un classique, L’interdit de Givenchy (version 1957, bien sûr), où le benjoin est en fond avec encens, santal, ciste, fève tonka et vétiver sous un cœur fleuri de jonquille, narcisse, hédione, rose et fleur d’oranger.
Le benjoin appuie des créations très fleuries comme le somptueux Chamade de Guerlain où un fond de benjoin, vanille et vétiver soutient la rose, le jasmin et l’ylang en cœur (avec une bonne dose d’hédione) ; ou encore, dix ans plus tard, Nahéma (benjoin en fond avec vanille, fève tonka, vétiver, iris et santal, sous une déferlante de rose agrémentée de pêche). De même, dans le très fleuri Misia de Chanel (collection privée) avec iris, violette, mimosa, vanille et fève tonka sous un cœur de framboise, jasmin, pêche et rose. Un certain nombre de flanqueurs de Shalimar font appel au benjoin, mais ce n’est pas le cas de la version originale. Le benjoin accompagne les notes de fond des bouquets tropicaux. Ainsi dans Loulou de Cacharel, Aloha Tiare de Comptoir Sud Pacifique, Eau Mohéli de Diptyque (ylang), Manifesto d’YSL (tiare), Vanira Moorea de Maison Berdoues (Les Grands Crus), Murmure des Dieux (Une Nuit à Bali/Une Nuit Nomade) et le splendide La Douceur de Siam de Parfums Dusita.
Dans le New Look de Maison Christian Dior, benjoin et vanille en fond sont l’écrin dans lequel se couche une brassée de fleurs comportant gardénia jasmin, rose, ylang, et tubéreuse. C'était déjà le cas dans Dune (20 ans plus tôt), où un fond de benjoin, santal, mousse de chêne, vanille et patchouli soutient un cœur très riche de genêt, bourgeon de cassis, jasmin, rose, ylang, pivoine et lys. Dommage que cette composition ne donne, in fine, que le sentiment d’une brise exotique au bord de l’océan indien….
Le benjoin est le partenaire des ambrés et des orientaux, dont Opium (YSL, 1977), où benjoin, patchouli, labdanum, vanille et myrrhe soutiennent un cœur à la fois floral et épicé d’ylang, jasmin, rose, prune, cannelle et girofle. La version new-yorkaise de ce très fameux jus est Cinnabar d’Estée Lauder (même époque). Le benjoin s’associe à la note cuir, elle-même souvent ambrée, comme dans Cuir Ottoman de Parfum d’Empire (avec baume tolu, labdanum, iris et patchouli). Dans Coromandel de Chanel, un oriental de la collection exclusive, le benjoin est en fond avec les notes habituelles sur un cœur de poivre noir et jasmin. Caron a donné à son Pour Un Homme un alter-ego féminin : dans Pour Une Femme, le benjoin et la rose sont soutenus par des résines, dont l’encens, sous une envolée de fleur d’oranger. Dans Ambre Gris de Balmain (2008), le benjoin et l’ambre sont en fond d’un cœur de myrrhe, immortelle et tubéreuse sous une entrée en matière épicée.
Cet accord ambre gris-benjoin se retrouve dans l’Ambre des Merveilles d’Hermès avec cèdre, vanille, baume Pérou, patchouli et rhum sous un cœur épicé d’encens élémi et cannelle. Dans Rocabar d’Hermès (1998), un boisé masculin, le benjoin est aussi en fond avec d’autres bois, racines et de la vanille, sous un cœur de cyprès et cardamome. Un boisé contemporain aux notes épicées-fruitées serait Timbuktu (2004, L’Artisan Parfumeur), où benjoin, patchouli, encens et vétiver se mélangent en fond alors que la myrrhe accompagne le karo karoundé africain en cœur, sous une ouverture de baies roses et de mangue.
Signalons quelques créations récentes. Le Vanille Benjoin d’Affinessence est un oriental ambré qui associe fève tonka, benjoin, vanille et cèdre. Dans Larmes du Désert d’Ateliers des Ors, le benjoin est en fond avec encens, sapin baumier, cèdre, patchouli, myrrhe et labdanum sous un cœur de girofle chapeauté par du cyprès. J’aime beaucoup le Benjoin Bohème de Diptyque, où le benjoin s’accorde au ciste et au patchouli avec du baume Pérou. Indochine (Pierre Guillaume) accroche épices et miel au benjoin, au santal et à la vanille.
Chez Le Labo, un benjoin et des résines ambrés font fondre la glace moscovite dans Benjoin 19 Moscow. L’Innommable de Serge Lutens a beaucoup fait parler de lui quand il est sorti ; il donne une appellation rebelle au doux benjoin dans un oriental mystérieux où certains ont décelé accord café et fleur d’osmanthus, alors que la marque joue aux prêtres delphiques en annonçant : "Ce que tu tairas parlera pour toi. Mon benjoin est Siamois mais le nerf de sa guerre est un cumin." C’est en revanche un fin benjoin du Laos qui accompagne la rose et une note litchi dans le dernier flanqueur d’Angel de Mugler, Angel Nova, concocté par Givaudan avec une molécule synthétique basée sur le patchouli pour remplacer un bois d’agar naturel. L'Encens Suave de Matière Première est habillé de vanille, benjoin et café alors que Le Régent d'Oriza Legrand (2020) insiste sur l'opulence de cette matière, combinée à l'ambre gris, à l'opoponax, à la vanille et aux résines de l'Amérique latine (Tolu, Pérou, gaïac).
Baudelaire aura le dernier mot :
Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
— Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,
Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.
(Correspondances, deux dernières strophes)
Histoire des matières premières naturelles et du parfum, géopolitique
3 ans#parfumerie #parfums
Perfume education expert and Master Parfums games author
4 ans👃🏻♥️