Frangipane/frangipanier 1/2
Famille des Apocynacées
Nom botanique : Plumeria alba
Origine : Amérique Centrale et Caraïbe ; présente dans toutes les zones tropicales
Traitement : synthèse le plus souvent ; extraction au solvant volatil pour produire un absolu ; macération possible
Botanique
La fleur que les Polynésiens appellent tipanié nous vient des Amériques, et plus précisément de la Caraïbe. Joséphine de Beauharnais, qui n’a apparemment jamais regretté sa Martinique natale, a forcément grandi autour de ses effluves. La fleur de frangipanier doit son nom botanique à Charles Plummier, missionnaire et botaniste qui l’introduisit en Europe au XVIIème siècle. Dans son milieu naturel, l’arbre peut atteindre huit mètres. La fleur, quand on la casse de l’arbre, laisse couler une sève blanche qui est toxique. Selon certains botanistes anciens, les fruits de la fleur auraient eu le goût de la frangipane française, soit une pâte faite d’amande et de sucre, ce qui expliquerait la confusion entre la fleur et la recette. Cette dernière tire son nom de l’illustre famille romaine Frangipani, sur laquelle je vais revenir.
Bien qu’elle représente pour beaucoup une fleur de l’amour et de l’enfance, plumeria alba n’a pas une réputation si heureuse dans divers pays d’Asie où l’arbre est considéré comme le refuge des démons et des vampires, ou encore des trépas de femmes qui, ayant fait fausse couche, s’en prennent aux vivants. Soit ! Ce n’est certainement pas l’image qu’elle a en Océanie, où elle est l’équivalent de la fleur d’oranger pour le pourtour méditerranéen.
Le frangipanier est cependant appelé "fleur des temples" dans divers pays de tradition hindoue et bouddhiste et il est l’emblème du Laos, où son nom est Dok Champa. Fleur magique, spirituelle, elle est indéniablement une fleur puissante. Si les Indiens offrent des fleurs blanches à Shiva, des fleurs jaunes à Vishnou et des fleurs rouges à Shakti, alors le plumeria est la fleur de toutes les déités. Le frangipanier rose, qui peut être littéralement fuchsia, s’appelle plumeria rubra. Une autre espèce, plumeria acutifolia, croît en Inde surtout.
Le seul traité de parfumerie ancien qui mentionne cette fleur, bien qu’elle n’entre dans aucune recette, ni de parfum, ni de cosmétique, est celui de Bertrand, Le parfumeur impérial (1809). Dans la dernière section de son livre, qui traite des matières premières, l’auteur mentionne les trois espèces de frangipanier comme venant des Amériques. Mais il s’arrête là.
Des Frangipani à la frangipane
Les Frangipani de Rome auraient des racines antiques selon certains, médiévales selon d’autres, et l’auteur toscan de la Renaissance Boccaccio leur rattache le poète florentin Dante Alighieri. Associés aux Guelfes, les premiers comme ce dernier furent impliqués dans la politique florentine et ses démêlés avec le pouvoir papal. Il existe aussi une branche vénitienne de la famille et le lion de Saint Marc est associé à leurs blasons. C’est Pompeo Frangipani qui, au début du XVIIème siècle, serait à l’origine de la formule qui fut l’un des traitements les plus fameux des gants pour les maîtres-parfumeurs & gantiers de l’époque.
L’histoire est racontée par le chimiste anglais Septimus Piesse (1820-1882), dans son Histoire des parfums. L’étymologie de "frangipane" viendrait du latin frangere/frango pour "rompre" ou "briser", et panem, accusatif de "pain". "Briser le pain" se réfère évidemment au rite central à la messe qu’auraient pratiqué les membres de cette illustre famille ; de là à la frangipane du pâtissier, il n’y a qu’un pas. Mais c’est celle des parfumeurs qui nous intéresse.
Piesse rappelle que le premier statut des maîtres parfumeurs & gantiers fut établi par Philippe-Auguste en 1190, ce qui corrobore l’opinion de Diderot et d’Alembert dans L’Encyclopédie. Colbert, qui se servit des industries du luxe pour asseoir les institutions de l’État, les dota de patentes enregistrées au Parlement et d’armes symbolisant leur confrérie. La Révolution mit fin à leur statut, bien que dès la seconde moitié du XVIIIème siècle, l’appellation "marchand-parfumeur" fît son apparition. Sur la période impériale, Piesse se contente de dire : "l’impératrice Joséphine avait pour les fleurs et les parfums le goût d’une créole", d’où l’on en déduit qu’elle les aimait particulièrement puisque "c’est à cette époque que la consommation des parfums fut la plus considérable".
La frangipane de la parfumerie ancienne
Le parfumeur royal de Simon Barbe (1699) n’est pas le premier traité français détaillant la distillation des eaux et des huiles. Ceux du médecin-chimiste Jean Liebault le précèdent de 125 ans. Mais on y trouve un premier exposé organisé de la pratique de la parfumerie avec une section significative dédiée aux gants. Ceux-ci sont catégoriés par peau, usage et formule de parfumerie. Les peaux ayant été lavées plusieurs fois et teintes, elles sont découpées, cousues et enfleurées. Les "gands" à la frangipane sont préparés avec du jasmin, de la civette, du musc et de la gomme adragante mêlés à l’huile de ben ; leur teinture (naturelle) est brun-rouge. S’ajoutent à la recette "deux gros de magalap", soit le Prunus mahaleb, un arbuste de la famille des Rosacées présent en Méditerranée connu comme bois ou cerisier de Sainte-Lucie, ou encore faux merisier. Connue depuis l’Antiquité et provenant du Proche-Orient, la gomme adragante, quant à elle, est un mélange mucilagineux de plusieurs astragales (qui sont des Fabacées, ou plantes à gousses).
Dejean ne raconte rien sur la frangipane dans ses traités de la deuxième moitié du XVIIIème siècle, mais il n’en est pas de même de Jean-Louis Fargeon, qui fait également honneur au traitement des gants dans L’art du parfumeur de 1801. Ses gants à la frangipane sont également teints avec de la frangipane "ordinaire", soit une teinture brun-rouge résultant du mélange de la terre d’ombre brûlée avec de l’eau de rose, après quoi les gants sont cousus, puis enfleurés au jasmin pendant huit jours. Ils sont ensuite enduits trois fois d’un mélange d’huile de ben, eau de rose, musc, civette et gomme adragante, et encore enfleurés pendant deux ou trois jours.
Voilà donc la formule : jasmin, eau de rose, civette, musc, un bois et la gomme adragante, qu’il faudrait remplacer aujourd’hui, peut-être par la cassie ou le mimosa, comme le suggèrent les recettes ultérieures. Du point de vue olfactif, l’huile de ben est inodore.
Dans Le parfumeur impérial de 1809, Bertrand est le premier à donner des recettes à la frangipane de parfumeur (par opposition à celles des maîtres-gantiers), dont une pommade, une eau, deux poudres et un savon. La pommade est faite en ajoutant au corps, préalablement préparé à l’eau de rose ou de fleur d’oranger et fondu, les pommades de fleur d’oranger, cassie, jasmin et rose, le tout étant parfumé avec les essences de bergamote, musc, ambre, vanille, girofle et baume Pérou, puis coloré en rouge avec des poudres. L’eau à la frangipane résulte de la dilution et de la macération, dans l’esprit de vin et l’eau de fleur d’oranger, des extraits de jasmin, fleur d’oranger, rose, cassie, des essences de bergamote, vanille, ambre et musc (une essence mélangée des deux) et, enfin, des teintures de storax, baume Tolu et safran. Le savon à la frangipane inclut de la poudre d’iris et d’orangeons (fruits issus de l’oranger amer), de la vanille, de l’ambre et du musc, du girofle, du néroli (HE de fleur d’oranger) et des essences d’agrumes. Les matières solides sont pilées dans la pâte à savon. La pommade et la poudre entrent dans des pommades et poudres composées, du type "mille fleurs". La frangipane devient donc une formule préparée qui s’incorpore à d’autres compositions.
Dernière mention de cette frangipane avant les grandes découvertes de la synthèse, dans le Nouveau manuel complet du parfumeur de Malepeyre et Pradal (1863-1873). L’auteur la définit ainsi : "Frangipane, parfum délicieux qui provient de la plante appelée plumeria alba, native des Antilles, mais que, ne pouvant pas faire entrer dans les préparations pour la bouche ou la peau, en raison des propriétés vénéneuses de toutes les plantes de ce genre, on imite par la composition décrite". Il a raison : la sève est toxique !
Sa recette de pommade à la frangipane reprend littéralement celle de Bertrand ; de même, cette pommade s’inclut aux composées de type "bouquet", "mille fleurs" ou "duchesse". La pommade de Chypre s’élabore aussi à partir de celle de frangipane, avec des bois, plantes aromatiques et de la poudre de mousse de chêne en surcroît. Les sachets à porter sur soi sont souvent fabriqués à partir des marcs de distillation. Bertrand en propose un à la frangipane, avec de la racine d’iris, des feuilles de rose, du santal, de la fève tonka, du musc et de la civette, le tout broyé et mélangé à quelques gouttes d’essence de rose (un luxe inouï pour un sachet, quand bien même il serait fait de taffetas et de soie…). Il donne une recette de poudre à la frangipane, dont on peut faire une teinture tout simplement en diluant la poudre dans de l’eau-de-vie. Enfin, son extrait à la frangipane est une dilution, dans deux litres d’alcool à 90 degrés, d’un litre d’extrait de jasmin (un alcoolat), d’eau spiritueuse de rose, de l’esprit de cassie, des essences de bergamote et de vanille, et des infusions de baume Tolu, baume Pérou, safran, et ambre & musc….
La formule a donc nettement évolué : côté fleurs, on note jasmin, rose et cassie, les notes ambrées des baumes et de la vanille, trois notes animales récurrentes, la fève tonka qui fait sa première apparition, les notes poudrées de l’iris, la bergamote, et une nouvelle épice, le safran….
Toujours pas de fleur de frangipanier, qui sera le sujet de la deuxième partie de cet article…
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3 ansMerci Sandrine Teyssonneyre pour l’histoire de cette merveilleuse fleur, autant odorante que belle. Sentir sa fragrance me rappelle mes voyages en Asie, la beauté de la flore des contrées lointaines… Et lorsque sa subtile et entêtante odeur croise celle de l’ylang ylang…😊!
Dénicheuse de pépites immobilières 👑 - Révélatrice de potentiel immobilier endormi 💫 - Investisseuse en immobilier - Marchand de biens / Promoteur rénovateur
3 ansMy favorite exotic flower
Parfumeur Styliste Journaliste CEO Juliette Dubois Parfums & Couture
3 ansJ’adore cette fleur