Blub : Venise en apnée
Quelle chasse au trésor de partir à la recherche des graphs de Blub à Venise ! La série « L’arte sa nuotare » (l’art sait nager), a pour particularité de faire porter un masque de plongée aux personnages les plus illustres du patrimoine culturel occidental. Le street-art, ou plutôt rio-art à Venise, est aquatique. A la fois amusants à découvrir et tristement ironiques, les portraits présagent-ils d’un avenir enthousiaste pour la création artistique ?
C’est bien la première fois que l’art florentin s’épanouit à Venise. La série street-art « L’arte sa nuotare », réalisée par l’artiste florentin Blub, n’aurait pu trouver de meilleur support que l’environnement aquatique des rues de Venise. L’artiste a réparti une trentaine de graphs dans la ville, dont la découverte au détour d’un campiello invite naturellement au sourire. Ses œuvres figent dans la pierre les plus grandes icônes du patrimoine culturel occidental, affublées d’un masque de plongée ; de la Joconde à Van Gogh en passant par Vivaldi, Dali et Vermeer.
Outre le masque et la couleur bleue, la signature de Blub s’identifie par le choix du format : un rectangle, réinvestissant souvent un tableau de raccordement électrique. Beaucoup de graphs ont été arrachés depuis leur création en 2019 ; destruction relevant davantage d’un certain puritanisme de la forme que d’une réelle volonté de préserver la cité. Avons-nous oublié qu’historiquement, avant l’arrivée de Napoléon, les rues de Venise étaient peintes et décorées de fresques ?
Il est tentant de rapprocher la série de graphs aquatiques de Blub aux graffitis gravés sur les huisseries de l’entrée de la Scuola di San Marco. Ces dessins, à l’instar de ceux que l’on pouvait trouver sur les colonnes du deuxième portail de Saint-Marc, représentent des voiliers et une galère avec une qualité d’exécution assez surprenante. Ils ont probablement été gravés par des marins vénitiens, servant la Sérénissime au XVème siècle. Venise ne peut pas se concevoir sans la lagune et ses vaisseaux. Sa topographie même prend la forme d’un poisson, comme l’écrit le romancier Tiziano Scarpa.
Des portraits en apnée
Mais pourquoi mettre en apnée ces figures emblématiques de l’histoire de l’art ? Blub livre, avec humilité, une réflexion sur l’avenir matériel et symbolique de la création artistique. Intituler une série de graphs « L’art sait nager » prend tout son sens à Venise. L’eau fut jadis un rempart face à l’envahisseur, d'où qu’il vienne. Elle est également une menace pour la ville. Les marées, peuvent être fortes. Très fortes. Elles portent un nom unique : Aqua Alta. Elles se produisent une centaine de fois par an, le plus souvent en hiver, depuis le VIème siècle (première trace écrite).
L’eau a dépassé 1,80 mètre en 2019 ; paralysant la ville et détruisant une partie de son patrimoine culturel par manque d’anticipation des institutions. Paradoxalement, préserver Venise des inondations n’est peut-être pas une solution pour protéger son patrimoine. Trouver un système pour parvenir à dominer la lagune est extrêmement complexe compte tenu des enjeux de préservations de l’environnement naturel de Venise. En 2016 l’UNESCO contestait déjà l’élaboration du projet Moïse, un système de digues mobiles servant à contrôler le niveau de l’eau. Opérationnel depuis 2020, Moïse a démontré une efficacité relative. D’autant que la question d’éventuelles conséquences irréversibles pour l’équilibre de la lagune reste malheureusement en suspens… Et la menace de l’Acqua Alta est toujours présente pour l’économie vénitienne. La montée des eaux fait encore et toujours partie de la réalité insulaire.
Les inondations saisonnières immergent les parois de la ville. Si un masque de plongée évite à l’art de sombrer corps et bien, peut-il en être de même pour Venise ? Quel que soit son niveau, l’Acqua Alta nécessite une gestion effective, une accoutumance et une certaine flexibilité. Mais il est une autre menace, peut-être plus terrifiante, pour le patrimoine artistique de Venise. L’eau dans laquelle s’immergent les portraits de Blub semble devenir un sanctuaire. Venise peut mourir si sa mémoire s’efface. Dans « Se Venezia Muore », Salvatore Settis envisage la disparition de Venise si les vénitiens et les autorités locales ne la sortent pas de ce superbe et mortifère isolement.
Les villes peuvent s’éteindre de trois façons : par la destruction ennemie, l’invasion étrangère ou l’oubli d’elles-mêmes. Et Venise s’est oubliée, peut-être. Les vénitiens la désertent et le touriste massifié l’aseptise, réduisant l’âme vénitienne à une marchandise.
L’apprentissage de la nage
Venise ne peut pas être dissociée de son patrimoine et de son histoire. Œuvre d’art en elle-même, elle est l’une des seules villes au monde à être entièrement protégée par l’UNESCO tant elle constitue, dans son ensemble, un extraordinaire geste architectural. La plus petite des églises renferme des œuvres appartenant aux plus grands maîtres. Titien, Véronèse, Giorgione, et tellement d’autres en souligne l’inédite osmose de l’art et du lieu. Les masques de plongée teintent les visages de Blub d’une triste ironie. Venise est une mer intérieure dans laquelle ses plus belles œuvres menacent de couler.
L’artiste reste optimiste. La capacité d’adaptation de Venise peut faire face à l’enjeu de reconstruction identitaire. Si les portraits sub-marins de Blub questionnent la pérennité du patrimoine culturel et artistique de la ville, son œuvre n’est pas frontalement anti systémique et laisse au passant une grande liberté d’interprétation, allant de l’amusement spontané à la réflexion.
Dans une interview livrée par La Nuova di Venezia e Mestre, l’artiste explique le nom donné à sa série de graphs : « L’arte sa nuotare ». Selon lui, si l’eau représente une situation de crise et de perte de contrôle, l’apprentissage de la nage permet d’intégrer du divertissement dans l’adversité et de trouver des solutions jusqu’alors invisibles pour les yeux. Chaque crise devient alors une opportunité de croissance et de renouvellement.
Ses personnages masqués, sachant nager en profondeur, présagent-ils d’un avenir enthousiaste pour la création artistique ? L’eau est ici mouvement et renouvellement ; la vie est la succession des générations. Ces portraits s’inscrivent dans la temporalité et l’espace urbain. On les voit. Ou pas. Dispersés dans la ville, ils animent les déplacements quotidiens des vénitiens qui ouvrent les yeux au-dessus de l’eau, voire au-dessous. Parfois, ils peuvent même prendre le temps d’une respiration pour plonger dans l’intimité minérale et aquatique du regard de Monnalisa.
Joséphine Peraldi
Références photos:
- Blub, inspiré de La jeune fille à la perle, Vermeer, Sotoportego Bressana
- Blub inspiré de La jeune fille à la perle, Vermeer, Campo San Stefano
- Blub inspiré de Autoportrait, Dali, Calle Sella Rota
- Blub inspiré de portrait de Verdi, San Basilio
- Blub inspiré de portrait de Vivaldi, Campo San Vidal
- Blub, inspiré de La Joconde, Léonard de Vinci, arraché, Calle Calergi Vulgo Calesi
- Blub, inspiré de La Belle Ferronnière, Léonard de Vinci, Sotoportego Lezze
- Blub, inspiré de Autoportrait, Van Gogh, Campiello del Forner o del Marangon
Directeur commercial NGE-BTP
3 ansTrès intéressant et quid de celle-ci prise à Pise, 1 Via Cammeo Carlo Salomone ? 😉
Commercial chez Les petits durs
3 ansPassionnant,Documenté ,bien écrit.....Bravo Josephine ❤️
CFO
3 ansArticle très bien écrit, original et ... intéressant ! Merci et bravo !
Chargée de production - Manifesto
3 ansBravo Joséphine!