Bon sens digital et quête de sens
Ce texte est issu de mon intervention à Kantar « Digital Rebellion », le 12 juin 2018.
La confiance, le nerf de la guerre digitale. Le digital a redynamisé l’économie en répondant à des attentes encore ignorées il y a quelques années. Qui peut désormais se passer d’Uber, de Doctolib, de Lydia, du Boncoin ou d’Airbnb ? Ce dernier poursuit sa percée dans l’hexagone où le nombre d’hôtes a bondi de 67% en 2017. Et pourtant, je connais des professionnels du tourisme qui restent sceptiques tel mon ami Jean-Paul qui travaille pour une grande marque hôtelière dont on ne citera pas le nom. Il me disait l’autre jour : « donne-moi trois raisons de préférer Airbnb à un hôtel classique ». D’accord, lui réponds-je : 1. Pas de chocolat sur l’oreiller. 2. Personne ne vient frapper à ma porte alors que je suis aux toilettes (une loi de Murphy). 3. Impossible de trouver un logement spacieux pour toute ma famille en plein centre-ville de Lyon à moins de 200 euros. Outre la question de la sécurité des datas, de la confidentialité, quel est le nerf de la guerre pour ces pure players ? La confiance ! Joe Gebbia l’avait démontré en demandant aux membres d’une assistance de déverrouiller leurs portables et de les passer à leurs voisins. Personne ne s’était amusé à aller fouiller dans le portable qui ne lui appartenait pas. De même, le couple de retraités à qui j’ai acheté une cuisinière sur le Bon Coin le week-end dernier ne m’a pas arnaqué : je sais où ils habitent. Étonnant non ? Le digital permet de remettre la sincérité au cœur des relations commerciales.
Je te like, moi non plus .Qui dit confiance, dit défiance. Il est légitime de mettre en doute la fiabilité des pure players. Prenons l’exemple de Tripadvisor, quelque peu ébranlé par l’affaire du restaurant The shed at Dulwich. Un restaurant qui n’existait pas mais qui, par la force des algoritmes et la crédulité des internautes, est devenu numéro 1 à Londres. La supercherie illustre une réalité inquiétante : 45% des avis postés sur Internet concernant le tourisme (Booking, Tripadvisor) seraient biaisés (Capital). Pour être entendu, il suffit de crier plus fort et au bon endroit du web, et toute opinion peut être exprimée – aussi toxique et factice soit-elle. C’est une bonne nouvelle pour la liberté d’expression mais pas forcément pour la qualité des débats. Il est devenu impossible d’échanger des points de vue mesurés sur la toile. Il n’y a pas de juste milieu. On est pour ou contre. C’est noir ou c’est blanc, alors qu’il suffirait de quelques nuances de gris pour rendre ce monde un peu moins caricatural. Autre phénomène de l’ère digitale : tout est noté, jusqu’aux individus. Uber, Airbnb… ils vous notent tous. Ce phénomène d’évaluation ne sort pas d’une fiction, de l’épisode de la fiction Black Mirror intitulé « chute libre ». En Chine, il est devenu une réalité : les citoyens sont notés entre 350 et 950, selon leur capacité à rembourser leurs dettes, leurs diplômes, leurs achats, leurs bonnes actions (dons de sang, bénévolat…) ainsi que leurs fréquentations.
Plus il y a de digital, moins on se touche. C’est ce qu’a constaté le neuropsychiatre Boris Cyrulnik : à la maternelle comme au primaire, les enfants se poussent moins, s’étreignent moins, brefs, ils ont moins d’interactions corporelles. Or, dans le même temps, on apprend que 50% des moins de 16 ans se disent dépendants aux smartphones (Common Sense Media/2016). Autre signe révélateur : l’explosion des salons de massage. Quand je préparais mon dernier roman « l’amour propre », j’avais interrogé un homme qui sortait de l’un de ces salons de massages chinois qui pullulent à Paris. Il avait accepté de me parler. Ses propos m’avaient déconcerté : « non je ne vais pas au massage pour la gâterie finale, je vais au massage pour que mon corps soit touché ». À l’heure du sexe virtuel et de la pornographie en accès libre, le contact physique manque cruellement. Les marques redéfinissent leur expérience client, les pure players se réincarnent dans des lieux physiques. L’expérience client ne peut se contenter de points de contacts purement digitaux. Disons-le franchement : le digital ne peut pas tout résoudre. Le digital est une solution, mais pas forcément LA solution. Je vous donne l’exemple du Shangri-la Paris qui souhaitait promouvoir son nouveau bar, le Botaniste, avec une application… On a proposé un livret-menu à la place. Les gens le photographiaient puis le postaient sur Instagram ou même… le volaient… Une marque doit vivre à travers tous ses points de contact, digitaux ou physiques. Ils sont souvent complémentaires.
Il faut réapprendre à apprendre. La culture générale, c’est ce qui reste quand on est déconnectés. La culture générale est le meilleur antidote à l’ignorance, aux dérives des réseaux sociaux tels que Facebook, par exemple, qui n’a pas vocation à vous proposer une opinion contradictoire mais à vous enfermer dans une communauté d’intérêts. Vous avez remarqué ? Si vous êtes de gauche et que vous aimez passionnément les légumes, il y a peu de chance qu’on vous demande d’adhérer aux amis des chasseurs de la région Rhône-Alpes. Le web, c’est bien pour apprendre. 100% des 16-19 ans utilisent Youtube (BETC/2016), notamment pour aller regarder des tutos quand ils ne savent pas quelque chose. Signe de temps. Mais l’éducation doit changer. Nous avons travaillé récemment avec l’EM Normandie, une business school à la pointe de sa catégorie depuis un siècle. Elle utilise amplement le digital via sa smart école. Mais elle a aussi repensé ses cours magistraux parce que les étudiants disposent facilement des contenus. Les professeurs n’ont d’autres choix que de se réinventer et d’encourager un enseignement plus articulé, favorisant l’esprit critique et la formation du jugement. Comme le disait un professeur avec beaucoup d’à-propos : « on ne peut pas placer son intelligence sur un cloud ! »
Les marques doivent redonner du sens. Il est temps de dépasser les querelles de génération car elles veulent toutes la même chose : donner du sens… à ce qu’elles font, à ce qu’elles vivent. La jeune génération (des fameux centennials et millenials) remet tout en cause les vieux modèles sans hésitation. Il suffit de repenser à la formidable Emma Gonzalez qui, suite à la tuerie de Parkland en Floride a posé les vraies questions : qui s’opposera à la NRA ? Quand les politiciens arrêteront de se faire financer par cette dernière ? Ou de revoir les images d’Asia Argento qui apostrophait la salle du festival de Cannes en suggérant que le système n’avait pas empêché Harvey Weinstein d’arriver jusqu’à sa chambre. À l’opposé, la silver generation a connu mai 68. La remise en question du système, ça lui parle. Quant à la génération X, dont j’ai déjà parlé dans un précédent article, elle plébiscite le slashing, le télétravail, l’auto-entreprenariat, elle demande à ce que les lignes bougent dans les entreprises. 61% des centennials et millenials ont une préférence pour les marques qui ont un Brand Purpose, c’est-à-dire « un impact positif sur le monde ». D’où la nécessité pour les entreprises de le travailler pour continuer à justifier leur pertinence sur les marchés.
La croissance viendra du sens et du bon sens. Le sens que les marques donneront à leur action, le bon sens avec lequel elles envisageront leur expérience client sans faire du digital une solution miracle à tous leurs maux.
J'ACCOMPAGNE les dirigeants des TPE & PME en gestion opérationnelle et stratégie : artisans, professions libérales, associations et industrie. CESSION d'entreprises. FORMATION Qualiopi.
6 ansEt comme dans la vie professionnelle, personnelle et amicale, il me semble qu'il est important d'éviter le noir ou le blanc. Mais même dans le gris, il existe une palette de nuances... Concernant le numérique, le digital et le progrès technologique, Darwin a eu cette belle réflexion : "dans l'évolution de l'humanité, ce n'est pas le plus fort ni le plus intelligent qui a survécu mais celui qui s'est adapté". Bien à vous.
Directeur des systèmes d’information
6 ansEncore faudrait-il utiliser à bon escient le terme "digital", et ne pas le confondre avec "numérique". Vous entretenez la confusion tout au long de cet article. Volontairement, ou par flemme de respecter la langue française ? Vous avez utilisé 13 fois ce terme, et une seule fois dans son sens français, le reste du temps c'est le mot anglais qu'il faut lire. Faites un effort...
Slasheuse (écrivaine ; pigiste ; traductrice ; sous-titrage ; sculptrice)
6 ansJ'ai été particulièrement sensible à la partie de votre article "Plus il y a de digital, moins on se touche". Même adulte, comment embrasser quelqu'un, lui frotter l'épaule, lui ébouriffer les cheveux lorsqu'on a les deux mains prises par son smartphone ? Ces gestes sont tout d'abord réfrénés, puis oubliés, l'être n'y accordant même plus d'importance. L'exemple de l'homme qui va se faire masser pour que son corps puisse être touché est ... touchant. Est-ce que ces personnes "droguées au numérique" ne risquent pas - avec ce manque de contact tactile - de perdre un peu de leur empathie naturelle ?
Gérant chez Smart Infra Solutions (SIS) | Infogérance, services managés réseau, vidéosurveillance pour le bâtiment intelligent, les résidences gérées, les logements sociaux...
6 ansTrès instructif et tellement vrai, ne pas oublier l'humain reste essentiel :)
Directeur marketing communication B2B - B2C | Pharma | Cosmétique | Biotechnologies | Stratégie digitale LeadGen | Développement International | Certifiée ILV "Management de la durabilité" Ecolearn
6 ansA la lecture de votre article, je me suis dit ... "que j'ai sûrement manqué la date du 12 Juin". C'est non seulement bien écrit mais le fond est très juste. Que serait le digital sans la confiance ? essentiel ! Sur l'intelligence comme antidote aux hoax... Je me souviens d'un de mes professeurs "vous ne signerez jamais un contrat par téléphone", oui rien ne vaut la "real life", la rencontre, le face à face ! Je crois aux technologies au service de l'homme et non l'inverse.... question de bon sens.