#BonneEtHeureuseAnnée
"Le fait que rien ne change n'y change rien : chaque année, c'est la même histoire. Pauvres et riches, heureux et tristes, puissants et faibles communient dans une trêve de douze secondes au cours desquelles, abjurant le vice et proclamant la bonté, ils se souhaitent, nous nous souhaitons, en feignant d'y croire, une excellente année. L'histoire bégayante des réveillons passés et à venir fait du nouvel an la fête de la foule, la comédie du Big Bang, parfaitement interprété et assorti de toutes les simagrées de la bienveillance par la troupe de l'humanité toute entière.
Peu importe qu'après ce shoot collectif, les jouvenceaux débandent. On a beau savoir, comme l'insomnie l'enseigne, qu'aucune aube n'est nouvelle, que la fin de l'année n'est que le début de la suivante, que dès le 1er janvier, à la seconde où le temps reprend son vol et le rêve d'une nuit blanche s'achève en gueule de bois, tout est à refaire. On a beau constater, la conscience jaune encore de sommeil, qu'un Janvier blafard exhibe des bouteilles vides et que, outre l'aspirateur, il va falloir passer la serpillière dans nos âmes, rien n'y fait. Le nouvel an renaît, chaque année, des cendres de Décembre, tel un Phénix impénitent qui aurait la mémoire d'une poule.
Est-ce pour cela qu'aucun tempérament nostalgique n'est jamais dupe du nouvel an, ni les contre-révolutionnaires faisant valoir que l'histoire n'a pas commencé en 1789, ni les scientifiques qui, pour trouver un vaccin, laissent "grouiller les microbes", ni les pessimistes que l'insomnie dissuade de tenir l'aube pour le début de quoi que ce soit ?
Le nouvel an est comme la crête instable d'une colline incertaine où les hommes, tels des cocus qui voudraient passer pour des veufs, jouent à échanger ce qu'ils regrettent contre ce qu'ils espèrent. Une année de plus, une année de moins.
Mais le reste? L'humanité en débâcle? Et les autres?
A vos souhaits..."
(Extrait de "Matière Première", 2013, Gallimard , Raphaël Enthoven)