Boussole pour discerner sur nos mots
J'ai découvert il y a plusieurs années le terme "la carte n'est pas le territoire" et je ne l'ai pas compris. D'ailleurs, si je le réentend là tout de suite, son sens ne viendra pas à moi telle une évidence. Je vais surtout trouver l'expression un peu lourde : c'est quoi une carte ? c'est quoi un territoire ? Où est-ce que ces deux notions s'éloignent ? Où est-ce qu'elles se rejoignent ?
Cette année, j'ai entendu une autre phrase : "le mot n'est pas le mot". L'exemple qui m'a été donné est le suivant : l'eau n'est pas l'eau. Ou plutôt le mot "eau", ce n'est pas de l'eau. Et puis, ce mot eau, il contient tellement peu d'informations ... Pas d'information sur l'odeur, le goût, sur la composition chimique, sur les propriétés physico-chimiques (température, pression, état ...) ... Le mot n'est pas le mot. Autrement dit, un mot (langage) ne peut englober tout ce qu'il décrit (concept). C'est d'ailleurs amusant de regarder que certains concepts n'existent pas dans certaines cultures et qu'il n'existe donc pas de mot pour le décrire.
J'ai eu deux expériences où je me suis retrouvé à accompagner pour l'une des juristes sur les risques du cloud, et pour l'autre la rédaction d'un contrat pour un partenariat. A ces deux reprises, je me suis retrouvé dans un monde où chaque mot est pesé soigneusement.
Sauf qu'un mot, ce n'est pas le mot.
Je pense qu'il est vain de vouloir écrire et/ou dire un mot en croyant que le lecteur / l'interlocuteur comprendra rigoureusement tout ce que l'autre a voulu dire en utilisant ce mot. En revanche, l'emploi d'un mot est pour moi un point de départ à une conversation, une question d'approfondissement, pour rejoindre l'autre dans sa perception du monde.
La France est un pays qui met en avant sa culture cartésienne. C'est un pays dont la langue fourmille de subtilités et qui est bien moins concise par exemple que l'anglais. Le mot, l'intelligence, la rationnalité. J'adore ça et je pense que je suis loin d'être le seul.
Mais vouloir suivre un mot, imaginer que ce mot a le même sens pour tous et qu'il peut donc agir comme une boussole, ça me paraît vain. Prenons un exemple : le mot confiance. Un chef qui dit à son subordonné "j'ai confiance en toi" ... Qu'est-ce que ça peut bien vouloir dire ? A quel moment, en tant que chef, je sais - je suis intimement convaincu que j'ai confiance en la personne ? Est-ce qu'on peut balancer des phrases comme ça, dénaturée de leur sens profond, de leur essence ?
Tête, coeur, corps.
Ces quelques mots me parlent beaucoup, surtout depuis que j'ai quitté mon entreprise. Ce n'est pas un mot à la place des deux autres, c'est surtout faire la place aux trois (je vous laisse deviner quels mots étaient carrément en retrait lorsque je travaillais). Le coeur et le corps sont des boussoles formidables qui me permettent de vérifier si j'incarne ce que je dis. Mon corps se met beaucoup plus facilement en mouvement aujourd'hui, dès qu'il entend un morceau de musique. Avant, je n'osais pas, ça ne se faisait pas dans les belles tours de la Défense.
"Avoir confiance", ça peut être juste deux mots jetés à la volée, qui signifient davantage pour celui qui les reçoit que pour celui qui les prononce. Ca peut également signifier beaucoup plus. Du genre : à un moment donné, j'ai eu confiance, mais vraiment, vraiment confiance. Je voulais lui dire : vas-y fonce, tu en es capable, je sais que tu vas réussir quelque chose de grand, j'éprouve de la fierté à te voir agir, j'ai d'ailleurs hâte de voir le résultat. C'était une d'évidence. Et bien ce "j'ai confiance", ça ne s'est pas passé exclusivement dans la tête. Quelque chose s'est produit dans mon corps et ce quelque chose, peut-être que je l'ai ressenti ou peut-être pas. Ou peut-être que je me souviens l'avoir ressenti ou peut-être pas. Ou peut-être que je crois me souvenir l'avoir ressenti, ou peut-être pas. La présence à soi à certains moments est clé et en même temps, ce n'est pas parce que je n'en ai pas le souvenir que ça ne s'est pas produit ...
Par ailleurs, si jamais la confiance est une valeur pour moi, c'est à dire si elle signifie que c'est quelque chose de vraiment important pour moi, alors, cela se manifestera dans mon corps, quand mon besoin de faire vivre cette valeur est satisfait (bonjour la joie), tout autant que lorsque mon besoin de faire vivre cette valeur sera contrarié (bonjour la colère).
Si un collectif se dit : la confiance, c'est notre valeur phare. Et bien
- gardez en tête que vous ne pourrez jamais complètement définir ce que c'est que la confiance : le mot n'est pas le mot
- si vous voulez vraiment vraiment faire vivre cette valeur au quotidien, dans les actes, dans les paroles, je vous invite à être attentif à ce que chacun ressent, en émotion agréable ou en émotion désagréable. Je vous invite à créer des espaces, des moments, des rituels où chacun peut se sentir en confiance, pour déposer en conscience ce qu'il ressent. Permettre au collectif d'accueillir, et faire ce qui est juste pour chacun et pour le collectif.
L'idée est donc d'ajouter du discernement avec le coeur et le corps et de l'ajouter à la tête.
Vous verrez, se sentir vivant de l'intérieur, ça fait du bien, même si ce n'est pas confortable au début. Autorisez-vous, allez vers ce qui vous fait vous sentir vivant, brillez car vous l'ignorez peut-être, mais une belle lumière se cache à l'intérieur de vous.