Brèves folies, longue sottise.
Annoncés depuis le MIPIM de Cannes, les résultats très « French Touch » des Folies, projet urbain emblématique de la ville de Montpellier, ne semble même pas mériter un dévoilement local, depuis l’hôtel de ville : cela montre en creux que le véritable sujet de cette consultation est une projection de l’image de la ville sur l’extérieur, une réponse économique à une situation de pénurie, le fameux choc de l’offre, et non pas un sujet architectural. Convenons-en, l’Architecture est ici utilisée comme une excuse commode, un cache-sexe cynique.
Quand Georges Frêche et Raymond Dugrand appelaient le Taller de Ricardo Bofill pour concevoir le nouveau quartier d’Antigone en 1978, c’était visionnaire et optimiste. Bofill n’avait alors rien construit en France, et s’il commençait à être pressenti pour réaliser de nombreuses villes nouvelles autour des Paris, il n’avait pas encore mis en œuvre ses théories sur le logement et la modernité classique à grande échelles. Il était engagé dans une voie radicale, et en incarnant dans la décennie à venir le visage de l’architecture du parti socialiste accédé au pouvoir, cela lui permettra de pousser l’expérience de l’architecture et de l’urbanisme jusqu’à son extrême limite. Montpellier, en lui faisant confiance à cette époque-là précisément, s’est positionnée sur la carte de France de l’architecture contemporaine, et Antigone restera un exemple frappant, une pièce urbaine majeure, symbolisant cette manière de faire la ville si caractéristique de l’époque. Bofill était un architecte d’avant-garde, révolutionnaire, l’exact contraire d’une « signature », comme on dirait maintenant à Montpellier.
Avec ces "signatures", Decq, Gautrand, l’OMA, Coldefy, des images de projets montrant clairement une architecture surannée, dépassée, tirés tout droit d’une publication de AMC saison 2004, notre maire se trompe lourdement. Sa volonté maladroite d’instrumentaliser l’architecture va se retourner contre lui par méconnaissance totale du domaine. Pourquoi personne dans son entourage ne le lui dit ? C’est un mystère. Parce qu’en réalité dans cette histoire de folie, Michael Delafosse n'est ni l'héritier de Frêche, ni de Dugrand, et en faisant primer son gout, ses fantaisies personnelles, il se comporte plutôt comme Jacques Chirac qui évinçait Bofill, et redessinait le projet des Halles, gagné lors du concours de 1974 parce que « ça ne sentait pas assez la saucisse ».
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L’architecture est une expression de la culture. A l’heure de la finale de la candidature de la ville à la capitale européenne de la culture, avec de tels projets qui sentent bon les années 2000 et le quinquennat de Nicolas Sarkozy, il y a fort à parier que l’on est passé en dernière position si quelqu’un dans le jury par malheur s’y connaissait un tout petit peu dans le domaine de l’architecture. Que penser de la folie d’Odile Decq, tirés d’un mauvais nanard des années 2000, sombre blop patatoïde sans queue ni tête - mais avec des cheveux - et futur siège social d’un promoteur située stratégiquement dans le centre historique de Montpellier ? A l’heure ou un changement de vélux pour un particulier se heurtera invariablement aux plus grandes résistances administratives combinés de la DRAC, de la Mairie, de la Mission Grand Cœur, c’est non seulement atterrant, mais c’est surtout un bras d’honneur à tous les architectes qui ont toutes les peines du monde à faire accepter un permis de construire dans le centre ancien, pour des choses souvent bien raisonnables. Fort avec les faibles, et faibles avec les forts, voici un crédo bien étrange pour une mairie socialiste.
Le plus triste dans cette affaire, c’est que l’école d’architecture est en grève, et les étudiants vivent tous les jours une perte de sens de leur futur métier. Je pense que c’est un signal criminel qu’envoient les pouvoirs publics, la presse, dans leur direction. Cette injonction à penser en 2023 que l’innovation architecturale réside dans le fait de faire des formes molles dans des ZACs absurdes, de séparer toujours plus l’image du projet du programme, qu’être beau c’est être différent, en occultant complétement les enjeux sociaux, sociétaux, environnementaux, est très grave. Ce n’est pas comme ça que nous allons motiver nos jeunes étudiantes et étudiants. Que quelqu’un prévienne enfin notre maire : l’architecture est tout sauf une Folie. Tout sauf un outil de marketing urbain au service d’un élu en manque de bruit d’unités médiatiques. C’est au contraire un sujet extrêmement sérieux : ce territoire est rempli de gens compétents, gardés sous le boisseau, et il suffirait de les écouter, pour sortir par le haut de cette triste situation, et se mettre au service de cette ville merveilleuse où tous le monde parle d’architecture sauf les architectes.
Illustrateur et Architecte D.E
1 anstrès french tuche
Le style architectural comme argument marketing d'une ville, ce n'est pas vraiment nouveau. Quelle différence avec le quartier Bofill de Frêche (qui a aussi son lot de détracteurs) ? Je ne suis pas architecte et ne partage pas votre point de vue 🙂 .
Responsable Développement et Communication
1 ansJe ne partage pas tout à fait ce point de vue, mais je salue le courage intellectuel d'un propos sans langue de bois ! Mon avis est que ces quelques bâtiments font fonction d'attrait marketing -et je trouve légitime de travailler à l'attractivité touristique de sa commune. Ils ne définissent pas à eux seuls la politique urbaine de toute une cité, je pense 🙂
Autrice bijouterie et joaillerie contemporaine et éthique
1 ansVos mots sont tellement justes ! Bravo ! Et j'espère autant que vous qu'ils arrivent aux oreilles concernées pour notre territoire tout entier, au delà du sujet Montpellier.
PC2A - Pierrick Cornière Atelier d’Architecture
1 ansOMG 😱