Brexit : « Si nous ne profitons pas de cette chance, d’autres pays européens le feront »
Dans un entretien aux Echos, Gérard Mestrallet, président de Paris Europlace veut des discussions rapides et claires avec le Royaume-Uni et défend les atouts de la Place de Paris.
Le Royaume-Uni a choisi de quitter l'Union européenne. Que cela change-t-il pour l'Europe et la Place de Paris ?
Il s'agit d'une mauvaise nouvelle pour l'Europe et pour l'histoire. Paris Europlace a rappelé à de nombreuses occasions ces dernières semaines sa volonté de voir le Royaume-Uni rester dans l'Union européenne. Je suis moi-même un européen convaincu. C'est une déception, mais le peuple britannique a pris sa décision. Nous devons en tirer rapidement les conséquences, et de façon extrêmement claire. On ne peut pas être à la fois dedans et dehors. Désormais, le Royaume-Uni doit être considéré comme un pays tiers, avec tout ce que cela comporte. Sans cette fermeté, le risque serait d'assister à un démantèlement de l'Europe.
Ce risque d'éclatement est-il imminent ?
Il y a d'autres pays membres qui montrent une certaine opposition à la construction européenne, notamment à l'Est de l'Europe. Il faut que ce choc soit l'occasion de relancer une dynamique européenne, autour des pays qui souhaitent vraiment aller de l'avant et qui sont prêt à faire passer la construction européenne avant leurs intérêts nationaux. Je me réjouis d'ailleurs que les six pays « fondateurs » du projet européen, dont la France, l'Allemagne, le Benelux et l'Italie se soient réunis si rapidement, et aient rappelé leur intention d'ouvrir aux plus vite les négociations avec le Royaume-Uni. Le Brexit doit être l'occasion d'un sursaut, d'une initiative pour redonner un élan à notre projet européen, même si elle doit concerner en priorité les pays fondateurs.
Quel doit être le contenu des négociations avec la Grande Bretagne. Peut-on envisager une solution à la norvégienne ?
Il ne s'agit pas de punir la Grande Bretagne, mais avec ce choix, elle a plongé l'Europe dans une situation compliquée. Ce n'est pas aux pays restant dans l'Union d'atténuer les conséquences de la décision qu'ont pris les britanniques. D'autant que nous avons fait les efforts nécessaires, avant le référendum, pour convaincre la Grande Bretagne de rester. Le cas de la Norvège est très différent. Ce pays n'a jamais été membre de l'Union Européenne, mais il négocié des accords. La Grande Bretagne pour sa part, était dans l'Union, et a choisi d'en sortir. Elle n'a aucune légitimité à demander des concessions particulières, ou alors pas sans contreparties importantes de sa part.
Quelles seront les conséquences en termes d'activités financières ?
Désormais, le Royaume-Uni va être en dehors de l'Europe. Il n'y a plus aucune raison que le pays continue à bénéficier du passeport européen. Si les banques britanniques veulent travailler avec la zone euro, elles devront implanter des établissements au sein de l'union monétaire. Ce n'est pas la fin de la City pour autant. La Place de Londres possède de nombreux atouts, en termes notamment d'acteurs et de savoir-faire. La Place de Paris continuera à entretenir des relations avec elle, comme nous le faisons avec New-York, Tokyo ou Shanghai. La porte de la coopération avec Londres doit rester absolument ouverte. Les britanniques sont des partenaires naturels, mais dans le cadre juridique nouveau créé par la décision du peuple de sortir de l'Union Européenne.
Outre le passeport européen, quels autres changements devront être réalisés ?
Ce raisonnement vaut pour le traitement des transactions en euro. Il est légitime pour l'Union européenne de vouloir localiser, sur son territoire, toutes les infrastructures et les opérations de compensation ou de traitement post-marché. Comme l'a conclu la commission initiée il y a 6 mois par Paris Europlace et dirigée par Christian Noyer, c'est une question de souveraineté, mais également de sécurité et de stabilité monétaire. L'Union Européenne ne peut pas dépendre d'une place offshore pour la gestion des opérations en euro, la cotation des entreprises industrielles ou les indices.
Le Brexit va-t-il avoir un impact sur la fusion des Bourses de Londres et de Francfort ?
Nous étions déjà opposés à ce projet car il créait en Europe une situation de position dominante,. Avec le Brexit, il serait encore plus incohérent de voir dirigée depuis le siège de Londres une grande part de l'activité en matière de cotation, d'indices, de règlement livraison des transactions et de produits dérivés. Surtout au moment où l'Union européenne est en train de passer d'un système de financement de l'économie essentiellement bancaire à un financement par les marchés.
Comment la Place de Paris est-elle positionnée dans la future redistribution des cartes ?
La Place de Paris n'a pas toujours été aidée par les différents gouvernements, mais elle a su développer des domaines de spécialisation et des expertises qui la placent en bonne position pour attirer les professionnels qui devront quitter la Grande Bretagne. Elle dispose d'une industrie de gestion d'actifs plus importante qu'à Londres ou à Francfort, avec 3.600 milliards d'euros gérés. En outre, c'est à Paris qu'il y a les plus grands groupes industriels, clients des banques, alors que Francfort est une ville de banques, leurs concurrents. La France compte également cinq banques dans le top 20 européen. Elle est une place très dynamique dans le domaine de la finance verte et des fintech. Enfin, localisée au coeur de l'Europe, elle dispose des meilleures infrastructures d'accueil : aéroports, infrastructures routières, ...
Il est important que la France prenne des décisions de court terme, pour renforcer l'attractivité de la Place de Paris. A commencer par le domaine fiscal. Le régime des impatriés, qui permet aux étrangers qui s'installent en France ou aux français qui rentrent après au moins cinq ans d'expatriation de ne pas subir un écart trop important avec leur imposition actuelle, doit être prolongé. Il s'applique actuellement pour une période de cinq ans, et nous souhaitons que sa durée passe à dix ans. C'est une mesure qui ne coûtera rien au budget de l'Etat, puisque ses bénéficiaires, par définition, ne payaient pas d'impôt en France, mais qui peut encourager les candidats à l'implantation en France.
Quelles autres mesures appelez-vous de vos voeux ?
Il faudrait également s'attaquer à la taxation des entreprises, notamment à la taxe sur les salaires qui pèse sur l'emploi dans l'industrie financière. Enfin, il faut donner un signal d'accueil fort, une main tendue, à ces nouveaux arrivants, en créant, notamment de nouveaux lycées internationaux proposant des enseignements en langues étrangères.
Pensez-vous, que dans le climat social actuel, mener de telles réformes est envisageable ?
Nous vivons un moment historique. Je n'imagine pas que nous ne soyons pas capables de nous donner les moyens de saisir cette opportunité. Nous devons nous mobiliser pour faire de Paris la capitale du financement de la zone euro. Si nous ne profitons pas de cette chance, d'autres pays européens le feront. J'attends une initiative coordonnée de tous les responsables publics, au niveau national et local, pour donner les moyens à la place de Paris de saisir cette opportunité qui s'offre à elle