BSPCE : vers la fin d'une farce française ?

BSPCE : vers la fin d'une farce française ?

Introduit il y a plus de 10 ans, les BSPCE sont des instruments financiers, accordés aux employés et aux dirigeants, qui permettent d'acquérir des actions futures à un prix prédéfini. Ce mécanisme a pour ambition de faciliter la capacité des startups à attirer et à fidéliser les talents, tout en préservant une flexibilité financière, et offre aux bénéficiaires la perspective d'une plus-value significative en fonction de la performance de l'entreprise.

Bien que des BSPCE aient permis à de nombreuses personnes de changer de vie, il suscite aujourd'hui des critiques de la part de ses principaux bénéficiaires qui estiment la promesse initiale irréalisable.

La baisse des valorisations a anéanti tout espoir de gains futurs, à moins d'être très patient pour retrouver les niveaux de valorisation qui permettraient de payer, en cas d'exit, non seulement les investisseurs (qui jouissent d'une liquidation préférentielle) mais aussi les actionnaires ordinaires.

Ce constat touche indistinctement l’ensemble des bénéficiaires de stocks options, à l’échelle mondiale. Néanmoins ce phénomène est amplifié en France où les BSPCE sont attribués à un prix d’exercice sur-valorisé.

Les BSPCE sont attribués à un prix d’exercice sur-valorisé en France en moyenne de 100%

Avant d'expliquer pourquoi, revenons rapidement sur la façon dont sont valorisés les BSPCE / stocks options.


1. Comment valoriser le prix d’exercice des stock options ?

Premier temps : la valorisation de l’entreprise

La plupart du temps la valorisation d'entreprise est donnée lors d’une récente augmentation de capital ou levée de fonds. Il s’agit alors du point de départ à l’évaluation du prix d’exercice des BSPCE. Si aucune opération sur le capital récente n’a eu lieu, ou si le contexte économique de l’entreprise ou du marché a changé, il convient de procéder à une nouvelle évaluation financière de l’entreprise en amont.

Second temps : la valorisation du prix d’exercice des stocks options

Les BSPCE donnent aux bénéficiaires le droit d’acheter des actions ordinaires. Le prix d’exercice des stocks options est décoté en raison de 2 caractéristiques propres : leur caractère minoritaire non liquide - on parlera alors de décote de liquidité - et leur caractère ordinaire par opposition aux actions de préférence - on parlera alors de décote contractuelle.

  • Décote de liquidité : La décote de liquidité tient compte du fait qu'un investisseur libre paierait moins cher des actions qui ne sont pas liquides car il immobiliserait son capital pour une durée indéterminée avec une liquidité difficile à obtenir avant exit. Cette décote varie généralement entre 10% et 30%. Pour les entreprises bootstrapped (qui n'ont pas lever de fonds) ou en Seed, le prix d’exercice des BSPCE sera décoté en appliquant la seule décote de liquidité.
  • Décote contractuelle : La décote contractuelle tient compte de la différence de droits contractuels entre les actionnaires en application des règles de la liquidation préférentielle (waterfall) au profit des actionnaires de préférence. Cette différence contractuelle en pratique apparaît à partir de la série A, et consiste à permettre aux investisseurs rentrant d’être payés en priorité en cas d’exit à hauteur de leur investissement. A titre d'exemple, si un investisseur en série A a investi 5 millions d'euros dans une entreprise, qui est ensuite vendue 5 millions d'euros, la liquidation préférentielle lui permettra de toucher 100% du produit de la vente (à hauteur de son investissement). Il semble évident qu'un investisseur libre ne paierait pas le même prix pour une action ordinaire vs une action de préférence.

En présence d'une liquidation préférentielle, c'est une décote cumulative (liquidité et contractuelle) qui devra s'appliquer et variera entre 30% et 80%, selon la méthode du pricing des options (ici on ne réinvente pas la roue).


2. La farce française ?

En pratique ?

Contrairement aux pays Anglo-Saxons, l'écrasante majorité des entreprises françaises qui ont une clause de liquidation préférentielle, applique la seule décote de liquidité sans tenir compte de la décote contractuelle. Elle est purement et simplement ignorée contre toute logique économique. Aucune méthode financière n'est d'ailleurs utilisée. On vous dira que c'est "market practice", mais en réalité cela ne repose sur absolument rien.

Nous avons donc en France le privilège de pouvoir exercer nos BSPCE à un prix sur-valorisé de près de 100%.

De ce fait, même si la baisse des valorisations affecte tous les bénéficiaires partout dans le monde, les bénéficiaires français doivent encore plus que les autres s'armer de patience pour y voir un quelconque intérêt (à moins d’avoir été l’employé n°1).

Le système des BSPCE français est pourtant en soit parfait, mais à condition qu’ils soient attribués au juste prix !

Que dit la loi ?

Si la loi (article 163 G bis du Code Général des Impôts) valide bien l’application d’une décote, aucune recommandation n'est donnée. Le flou qui entoure cette question freine certains avocats qui ont peur d'une requalification fiscale du mécanisme et de l'avantage consenti en rémunération soumise aux charges sociales pour l'entreprise et à l'impôt sur le revenu pour le bénéficiaire.

Ainsi à défaut de précision de l'administration, certains conseils recommandent l'application d'une décote forfaitaire (comprise entre 0% et 20%), sans logique économique ou financière. Cette pratique est en contradiction avec le but premier du mécanisme, qui est de permettre aux startups de recruter des talents tout en préservant leur trésorerie, et aux bénéficiaires d’espérer un retour sur leur investissement en temps et en travail.

Quel est alors l'intérêt d'avoir un mécanisme fiscalement et financièrement attractif pour les entreprises et leurs bénéficiaires, si le prix d’exercice des BSPCE retenu est manifestement faux ?

Jusqu'à présent, les acteurs étaient assez attentistes sur ce sujet. Tant que les valorisations étaient à la hausse personne ne se posait de questions. Aujourd'hui il est impératif d'harmoniser les pratiques pour que les BSPCE retrouvent leur efficience.

En l'absence de changements, nous sommes tous sont perdants : les bénéficiaires, bien sûr, mais un peu aussi les entreprises qui émettent des plans de BSPCE qui seront finalement trop peu exercés pour retenir qui que ce soit, alors qu'ils pourraient aussi apporter une liquidité (près d'1 milliard d'euros) aux entreprises.

Heureusement, certaines entreprises ou conseillers n'ont pas attendu l'administration fiscale, pour évaluer à leur juste valeur les décotes sur le prix d'exercice des BSPCE en utilisant la méthode financière du pricing des options, car dans la réalité elle aurait bien du mal à contester une juste valeur. A ce jour, aucun contrôle fiscale ou redressement ne s'est porté sur cette question, sans doute aussi qu'elle a tout à gagner à permettre un prix d'exercice plus bas pour qu'un plus grand nombre de personnes puissent exercer, et taxer une plus large plus value à 30%.

Le bout du tunnel ?

La bonne nouvelle, c'est que l'administration fiscale est actuellement sollicitée sur la question. La fin de la farce française, on l'espère, devrait bientôt être annoncée. Néanmoins, il est important de relayer et partager au plus grand nombre pour aller dans le bon sens de l'histoire.


David Michel-Molina

🚀CSO Kriptown//Redstart/ Tokenisation/ PSAN/ DLT TSS

1 ans

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NADER BEZETOUTE

Acounts Payable Specialist (P2P) - GBS Europe (Comptable Fournisseur Européen)

1 ans

Mathieu Artaud ce sujet peut vous intéresser. 😃

Antonin Chaix

Formation et conseil en finance quantitative

1 ans

En cette période de down rounds (ou de maintient des valos en échange d'actions très préférentielles pour les fonds VC, avec des multiples allant sans problème jusqu'à 2.5x) les pauvres petites actions ordinaires doivent effectivement être évaluées comme des options en dehors de la monnaie qui ne valent que bien peu par rapport aux actions de préférence. Cela justifie sans nul doute un prix d'exercice très décoté pour les BSPCE et autres BSA. Sauf que notre chère administration fiscale, de même que nos amis juristes et fiscalistes, ne sont pas des matheux ! Leur frilosité est compréhensible. Il y a donc un gros travail de pédagogie à mener vis-à-vis d'eux. Vous n'êtes pas seuls, nous y travaillons dur chez FUTURZ également 😉 !

Adélaïde B.

Directrice Juridique | PlayPlay | FT120

1 ans

merci pour cet article Illan Glaubert 💡 ! En sait-on un peu plus sur la dernière partie concernant la sollicitation de l'administration fiscale? à bientôt 🙂

Chloé Huertas

EY Ventury | Attorney-at-law (New-York and Paris) - Startups & Innovation

1 ans

Merci pour cet article ! Inspirant !!

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