La fintech qui veut supprimer l’expert-comptable
Pablo Larvor, Romain Koening, Côme Fouques et Adrien Plat, les fondateurs d'Indy (ex-Georges). Crédit : Indy.

La fintech qui veut supprimer l’expert-comptable

Les derniers candidats gagnants du Juste Prix version 2021 : Georges tech, ou Indy comme il convient dorénavant de les appeler suite à leur levée de fonds de 35 M€, annoncent vouloir “libérer des centaines de millions d’entrepreneurs de leurs corvées administratives”. Pour cela, ils vont continuer à développer leur application qui permettrait de se passer des services d’un expert-comptable.

Depuis plusieurs années, les promesses de révolutionner la comptabilité avec les experts-comptables ne sont plus à compter. L’automatisation permise par les progrès de l’IA semble ouvrir un champ des possibles énorme pour peu qu’on ait quelques idées. Il faut dire qu’on part de loin, entre un domaine qui concentre encore de nombreuses tâches répétitives et peu techniques (la saisie en étant la plus belle vitrine) et un pays où la lourdeur administrative est connue et reconnue, le terreau est indéniablement fertile. Toutefois, réduire la prestation d’un expert-comptable à l’enregistrement comptable relève d’une méconnaissance évidente du métier, mais également des besoins quotidiens des entrepreneurs.


La promesse

Réinventer la comptabilité des indépendants, c’est le parti pris d’Indy et il paraît attirant. Toujours courir après les échéances fiscales et donc délaisser l’accompagnement du dirigeant ou encore mettre quatre ou cinq mois à produire des comptes annuels apparaît comme un non sens à l’ère du numérique où l'immédiateté est la norme. Mais ce tableau brossé par les fondateurs de Georges n’est ni nouveau ni original.


Mais alors, en quoi consiste la révolution annoncée ?

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La mise à disposition d’une solution permettant de tenir la comptabilité en temps réel grâce aux flux bancaires ?

Cette solution de scrapping des données bancaires est en pleine diffusion au sein des cabinets. Il s’agit effectivement d’une technologie innovante et qui permet de gagner du temps, mais elle n’est ni spécifique à Indy, ni flambant neuve dans la mesure où plusieurs solutions concurrentes l’utilisent déjà depuis plusieurs années. Au sein de notre cabinet, cela fait d’ailleurs sept ans que nous utilisons un logiciel qui fonctionne ainsi, et nous ne sommes pas les seuls.

Un meilleur suivi ?

Les fondateurs d’Indy annoncent “quelque chose de beaucoup plus efficace qu’un accompagnement, une fois l’année, par un expert-comptable”. J’imagine que le temps gagné sur l’enregistrement comptable grâce à leur solution (qui ne me paraît pas très originale, rappelons-le) leur permet de contacter plus fréquemment leurs clients. Et bien qu’ils se rassurent, les cabinets ne les ont pas attendus pour procéder ainsi ! Nous sommes en relation permanente avec nos clients, comme l’atteste le baromètre 2019 de la transformation numérique des cabinets : 76% des clients sont en contact au moins une fois par mois avec leur expert-comptable.

Les prix affichés ?

Côme Fouques annonce pouvoir diviser le prix de la prestation par cinq par rapport à celle d’un cabinet comptable. L’Ordre des Experts-comptables met en avant le fait que les honoraires moyens par dossier suivent une trajectoire baissière depuis plusieurs années déjà. La pression des solutions en ligne, les efforts de productivité - aidés par des solutions innovantes et de l'automatisation - une plus grande transparence expliquent probablement ce phénomène. Mais quand on prend un peu de hauteur et qu’on raisonne dans des ordres de grandeur de TPE avec un exploitant unique, sur un budget charges de 8 à 15 KE, promettre une économie de 1 KE, c’est certes du mieux, mais ce n’est pas cela qui fera une différence fondamentale dans le résultat final, surtout si elle se fait au détriment du suivi. Et en matière de prestation, il est toujours très facile de promettre, et bien plus difficile de constater préalablement au service.


La finalité

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Se passer de l’expert-comptable. Voilà donc la promesse annoncée. Indy promet un accompagnement de qualité similaire. Et pourtant, quand j’écoute ses dirigeants, on parle d’embauche de cent salariés, développeurs et comptables. On comprend aisément la nécessité des premiers. En revanche, pour les seconds, je me demande comment ils peuvent répondre à tout le panel de questions clients. Nos règles légales et leurs interprétations administratives sont suffisamment complexes en temps normal pour justifier l’appui d’un expert-comptable, si j’ajoute en ces temps de COVID la pluie de décret modifiant chaque semaine les dispositifs d’aide, j’ai du mal à comprendre comment des comptables peuvent accomplir le même travail. 

Noircir le tableau des clients ayant recours à des experts-comptables afin de mettre en avant leur solution, voilà un procédé que je trouve mensonger. Je cite quelques propos m’ayant interpellé : "une comptabilité chronophage et perçue comme anxiogène", "libérer des centaines de milliers d'entrepreneurs de leurs corvées administratives" (même source), 

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Je ne doute pas que certains clients soient mécontents de leurs experts-comptables mais si les choses étaient aussi négatives que cela, je ne pense pas que 91% des chefs d’entreprise affirmeraient avoir confiance en leur expert-comptable ou que celui-ci leur ferait gagner du temps dans 65% des cas (Etude opinionway pour CEGID datant de février 2020).

Je rejoins, ou plutôt Indy rejoint totalement mon opinion concernant les gains de productivité, de réactivité et de service client qu’il est possible d’apporter aux entrepreneurs. J’ajouterais même que ma profession comporte des membres en son sein qui estiment que détenir toutes les factures de leurs clients pour vérifier la TVA au centime près est gage de qualité. Chacun se fera une opinion sur l’expert qui lui convient, et en la matière, notre domaine d’activité ne présente aucune originalité. Quand on n’est pas satisfait par son médecin, on en change. Cela ne signifie pas que les moins bons constituent l’étalon de toute la profession.

Nos vues divergent totalement en revanche sur la finalité affichée de supprimer totalement l’expert-comptable. Plutôt que de caricaturer celui-ci en un prestataire cher, aux méthodes archaïques et peu réactif, ils auraient pu reconnaître son engagement auprès de ses clients, le temps -non facturé- qu’il passe pour essayer de trouver des solutions aux problèmes quotidiens des entrepreneurs ou à pallier les manques de l’administration (est-il utile de rappeler que la plupart des gains de productivité et de modernisation des administrations fiscale et sociale se sont faits en ajoutant des tâches et obligations aux experts-comptables ou comptables d’entreprise ?).


Pour finir

Penser un modèle où des comptables produisent autant de qualité de service qu’un cabinet dans lequel ces mêmes comptables sont appuyés par un professionnel diplômé et soumis à un code de déontologie protecteur envers ses clients, voilà ce qui me semble être la véritable promesse d’Indy. Habiller cela avec un bel emballage qui insiste sur la suppression des tâches à faible valeur ajoutée comme si la prestation d’un cabinet comptable se cantonnait à celles-ci ôte toute crédibilité au projet qui me paraît surtout être une belle opération de communication.

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Et si l’arrivée d’un nouvel acteur proposant un logiciel plus abouti afin de s’appuyer sur les experts comptables pour améliorer l’expérience des clients aurait été bienvenue et appréciée par la profession, que penser de cette volonté de s’attaquer frontalement aux premiers conseillers des chefs d’entreprise ?


On me pardonnera donc de ne pas me joindre au concert de louanges et félicitations à la fintech qui a levé ses 35 M€. Dans un monde où l’argent est gratuit et où les levées de fonds qui se succèdent ne font que refléter les craintes pesant sur les marchés financiers, trouver des financements me semble plus révélateur d’une capacité à faire des promesses qu’à créer de la valeur.

Thibaud LONGUEMARD

Expert Comptable. Membre du Comité de Pilotage dédié au Financement des Start-Up chez Pépinière d'entreprises Le Faisceau Sud

3 ans

Pour moi la réponse est claire accompagner nos clients dans l intégralité de ses besoins et donc je vais chercher le partenaire dont j ai besoin sûr LUCADVISOR 😉

Régine BELLANGER

Expert-comptable commissaire aux comptes chez CEZEMBRE EXPERTISE

3 ans

Bravo pour cet article.

ALLAN FAGET

Gérant de la société AFPatrimoine : formation et conseil en Investissement responsable et gestion de patrimoine / Ambassadeur des Acteurs de la Finance Responsable

3 ans

A mon sens il y a du vrai dans les 2 parties. La part occupant la saisie administrative ne fait rêver personne. Si une entreprise pense réaliser ces tâches et donc soulager les cabinets comptables pourquoi pas. Place au rôle de l'expertise et le temps consacré à l'accompagnement, le soutien et la pédagogie des expert comptable. C'est bien là tous le sens de ce métier. Et il est peut-être temps de se consacrer à cela. Des prestations enlevées peuvent permettre de développer des prestations de qualité. Qu'en pensez-vous ?

Pierre Agaësse

Expert-comptable | Commissaire aux comptes x AMURE CONSEIL - Expertise comptable - Évaluation - Accompagnement x AMURE AUDIT x AC2C - Audit - Commissariat aux comptes

3 ans

Merci d'avoir pris le temps d'écrire tout ceci Guillaume !

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