Carrière: la reconversion professionnelle, nouvel eldorado?
Marion Perroud - Challenges - mercredi 21 juin 2017
Reconversion professionnelle, mode d'emploi
Attirés par des métiers manuels, artistiques ou une autre manière de vivre leur travail, nombreux sont les Français à envisager une reconversion professionnelle. Reste que, à l'épreuve des faits, peu sont les heureux élus sur la ligne d'arrivée.
C’est à la fin de l’année 2016 que Maxime Sarrade plaque tout. Ce directeur d’une filiale parisienne de marketing digital, au sein d’un groupe spécialisé dans la transformation numérique des entreprises, mûrit alors depuis quelques mois un nouveau projet professionnel: celui de quitter la capitale pour Marseille et d’y ouvrir une fromagerie. «Tout est parti d’une conversation banale sur un bateau avec deux amis, dont mon futur associé et un copain travaillant dans la filière. Nous évoquions le fait qu’il y avait très peu de fromageries à Marseille alors que la demande, elle, était bien réelle. C’est là que tout a commencé», raconte Maxime, aujourd’hui âgé de 49 ans.
Son associé, alors cadre pour une plateforme pétrolière, lui non plus n’est pas du tout issu du secteur. Ensemble, ils s’investissent donc à bras le corps dans cette reconversion à 360°. Après avoir suivi des formations et stages en fromagerie et trouvé leur local, les deux associés sont à la recherche des derniers financements avant de lancer leur activité. Une fois les travaux de réfection et de mise aux normes terminés, ils prévoient d’inaugurer leur boutique en octobre prochain. «Nous nous donnons cinq ans pour que le projet marche.»
Un tiers des Français intéressés
L’histoire de reconversion de Maxime Sarrade est loin d’être isolée. Selon l’une des très rares études sur le sujet, publiée par l’Afpa/Opinion Way en 2014, 60% des actifs interrogés avaient déjà connu un changement d’orientation professionnelle au cours de leur carrière et 32% envisageaient de le faire dans les trois années à venir. «Si les métiers manuels ont la cote, ils sont loin d’être les seuls. Les emplois plus 'artistiques' comme la photographie ou le graphisme et dans le numérique attirent aussi. En fait, plus qu’une question de changement de métier, la reconversion est souvent liée à une quête de sens et une envie de vivre le travail autrement», analyse Anaïs Georgelin, cofondatrice de So Many Ways qui conseille et accompagne les jeunes professionnels en transition. Difficile pour autant de mesurer le phénomène tant les voies sont nombreuses (création et reprise d'entreprise, travail indépendant, mobilité interne...).
Qu’il s’agisse d’une reconversion choisie (passion personnelle, projet familial, etc.) ou subie (perte d’emploi, difficulté d’insertion, chômage, etc.), cette tendance «traverse les âges et les secteurs, même si elle reste selon moi encore assez marginal», affirme Pierre Lamblin, directeur du département Etudes et Recherches à l’Apec. Contrairement à une idée reçue, les plus jeunes actifs représenteraient une part non négligeable des candidats à la reconversion. «Selon notre étude parue en 2015, 14% des jeunes diplômés de niveau Bac+5 ou plus déclarent avoir vécu un changement significatif d’orientation professionnelle dans les deux années ayant suivi l’obtention de leur diplôme. En cause souvent, une expérience professionnelle décevante ou un trop fort décalage entre le choix d’orientation scolaire et la réalité du monde du travail», détaille Pierre Lamblin.
"Je me sentais inutile"
Anaïs Gambey en sait quelque chose. Une fois son Master 2 de psychologie sociale en poche en 2008, la jeune bisontine aujourd’hui âgée de 32 ans, s’élance dans la vie active. Après une première expérience de quelques mois au Québec dans un centre dédié à l’accompagnement professionnel des personnes handicapées, elle revient en France et décroche un poste de praticienne de bilan de compétences pour les demandeurs d’emploi à Montbéliard. «Ma chef était tyrannique, l’ambiance très mauvaise. Le public que je suivais, des chômeurs de longue durée pour la plupart, était totalement démotivé pour retrouver du travail. Bref, je me sentais inutile. C’était l’horreur, je venais la boule au ventre, raconte-t-elle. Je me suis dit que c’était n’importe quoi d’avoir 25 ans et de ne pas exercer un métier qui me plaisait vraiment. Au bout de neuf mois j’ai tout arrêté.»
La jeune femme blonde se tourne alors vers son rêve d’enfance, celui d’institutrice. «Je suis revenue habitée chez mes parents et me suis inscrite à une formation à distance pour passer les concours. A côté, j’étais maître d’internat dans un collège. Après deux tentatives, j’ai réussi à décrocher le concours à Créteil en banlieue parisienne.» Un changement de carrière qu’elle ne regrette pas du tout aujourd’hui, au contraire. «Depuis 2016 je travaille dans une unité localisée d’insertion scolaire. J’enseigne à une douzaine d’enfants souffrant de troubles cognitifs. Finalement, je suis parvenue à trouver la synthèse entre les deux domaines qui m’intéressaient au départ, l’enseignement et la psychologie», se réjouit-elle.
Parcours du combattant
Si Anaïs est parvenu à se réorienter, elle garde néanmoins le souvenir d'une période compliquée. «Outre le sacrifice financier, j'avais très peur de me planter et de perdre mon temps. Même si j'ai su m'entourer, le plus dur a vraiment été le regard des autres qui ne comprenaient pas mon choix.» Il faut dire que la bascule d'une vie professionnelle à une autre peut être très périlleuse pour la personne, comme sa famille. «Changer de métier ne s’improvise pas, ça s’anticipe et se prépare. Il faut se poser les bonnes questions et se faire accompagner», insiste Pierre Lamblin de l’Apec. «Se reconvertir prend souvent beaucoup de temps, en moyenne au moins deux ans. Si vous avez en plus besoin de suivre une formation pour vous mettre à niveau, il faut pouvoir compter sur un matelas financier conséquent, les aides de Pôle emploi étant par exemple rarement suffisantes», souligne Anaïs Georgelin, la cofondatrice de So Many Ways.
Pour 62% des Français interrogés dans le cadre d’un sondage Odoxa pour OpenClassrooms, publié le 6 juin dernier, le frein principal à leur reconversion professionnelle est justement la difficulté d’accès aux formations efficaces et à prix abordable. «Changer de métier reste donc quelque chose de difficile pour 67% des Français», relève l’étude. «De la motivation à l'investissement personnel en passant par le manque de compétences, les facteurs d'échecs sont nombreux. Et le marché du travail ne va pas vous faire de cadeau à la sortie», pointe Pierre Lamblin.
D’où l’importance, selon la cofondatrice de So Many Ways de bien diagnostiquer d’entrée de jeu sa situation avant d’initier quoi que ce soit, surtout une démission. «Il faut être capable d’identifier ce qui ne va pas. Parfois, ce n’est pas le métier qui est le problème, mais l’entreprise ou l’équipe dans laquelle on évolue.» Reste ensuite à se confronter directement à la réalité du métier visé en se documentant, en rencontrant des professionnels du secteur ou encore en réalisant des stages d’immersion. «Tous les métiers ont des contraintes, l’idée est donc de valider ainsi son choix par l’action», recommande-t-elle.
De l'idéal à la réalité
C’est à ce stade qu’Alice*, 31 ans, a fait machine arrière en 2014. Installée depuis peu en Haute-Savoie, cette journaliste de formation alors en recherche d’emploi s’interroge sur son avenir professionnel. «Je me suis dit que c’était peut-être le moment de tester la fleuristerie, l’autre métier qui me faisait rêver depuis toujours.» Pendant deux semaines, elle suit grâce à un dispositif de Pôle emploi, un stage conventionné chez un fleuriste. «Là, j’ai un peu déchanté. Même si j’avais bien anticipé la pénibilité du métier (on passe beaucoup de temps en chambre froide, on se coupe les doigts, on reste debout...), j’avais un peu idéalisé le volet relation client du métier. Je m’attendais à beaucoup plus d’échanges avec les gens. Dans les faits, le contact avec les clients se résumait à un 'contact caisse'. J’ai aussi pris conscience des contraintes horaires et de la précarité du métier. Résultat, même si le travail de fleuriste en lui-même était intéressant, je me suis rendu compte que cela ne me passionnait pas assez pour engager une reconversion aussi lourde, qui supposait entre autres que j’investisse dans une formation d’un an a minima», raconte-t-elle. Et d’ajouter: «J’ai aussi compris que mon métier d’origine allait me manquer.»
«A l’inverse, si cette première confrontation avec la réalité du terrain se passe bien, il faut planifier toutes les actions à mettre en œuvre ensuite, des éventuelles certifications à décrocher à l’achat d'équipements en passant par le développement du réseau. Autant d'étapes au cours desquelles peuvent se présenter nombre d'obstacles», ajoute Anaïs Georgelin. C’est bien grâce à ses rencontres avec des producteurs de fromages, ses visites de salons professionnels, ses stages en fromageries et sa formation cofinancée par Pôle Emploi que Maxime Sarrade s’est senti conforté dans son choix. Pour lui, «l’important est de décider ce qu’on veut faire, après ça roule!». Reste que la fin a beau justifier les moyens, le chemin de la reconversion, n'a souvent rien d'une promenade de santé. Le vaste plan d’investissement de 15 milliards d’euros dans la formation professionnelle promis par Emmanuel Macron pour favoriser la mobilité des travailleurs français, va-t-il faciliter la donne?
*Le prénom a été changé à la demande de la personne interviewée.