C.CT 109 - Dérive jurisprudentielle quant à l'application de règles sur le licenciement déraisonnable dans les secteurs disposant de prescrits propres
L’article 2 de la CONVENTION COLLECTIVE DE TRAVAIL n° 109 stipule que celle-ci : « ne s’applique pas » (…) « aux travailleurs qui font l’objet d’un licenciement pour lequel l’employeur doit suivre une procédure spéciale de licenciement fixée par la loi ou par une convention collective de travail. »
La doctrine relève à cet égard que : « Les partenaires sociaux ont voulu viser ici les travailleurs qui font déjà l’objet, par une procédure particulière, d’une protection contre le licenciement et qui entraine d’elle-même la remise des motifs du licenciement. » (S. TILMAN, « Le nouveau régime du licenciement belge Regards croisés sur la convention n°158 de l’OIT et la jurisprudence de la C.E.D.H. du 10 juillet 2012 », Louvain-la-Neuve, 2014 – 2015, p. 35).
Il existe au sein de nombreux secteurs des normes encadrant les licenciements et imposant le respect de procédures plus ou moins strictes, plus ou moins lourdement sanctionnées, au titre de préalables à leurs réalisations éventuelles.
A cet égard notamment, au sein de la Commission Paritaire des Grandes Entreprises de Vente au Détail (secteur n° 311), la chapitre II de la CONVENTION COLLECTIVE DE TRAVAIL sectorielle relative à l’EMPLOI du 04 septembre 2017 relative à l’emploi fixe les termes et conditions d’une procédure devant mener à terme à un licenciement en cas de situation dite d’ « insuffisant professionnelle ». En cas de non-respect de cette procédure à l’occasion d’un licenciement et à défaut de réintégration du travailleur concerné nonobstant demande en ce sens, ce dernier peut se revendiquer, outre du droit à indemnité compensatoire de préavis usuelle, de dommages intérêts égaux à trois (03) mois de salaire. Plus précisément, les articles 4 et 5 de ladite CCT stipulent :
« Article 4 - Le travailleur considéré comme étant en état d'insuffisance professionnelle fait d'abord l'objet d'un premier avertissement écrit émanant de l'entreprise. A cette occasion, le travailleur concerné peut immédiatement demander l'intervention de la délégation syndicale auprès de la direction de l'entreprise. Si la qualité professionnelle de l'intéressé ne s'est guère améliorée, un mois après le premier avertissement, l'entreprise lui en fait parvenir un second.
Si l'entreprise ne constate pas d'amélioration dans les deux mois qui suivent le second avertissement, elle peut licencier le travailleur dans le respect des procédures légales. En cas de récidive de l'intéressé - c'est-à-dire dans la même fonction et durant les deux années qui suivent le premier avertissement l'entreprise peut immédiatement licencier le travailleur dans le respect des procédures légales. »
En cas de récidive de l'intéressé - c'est-à-dire dans la même fonction et durant les deux années qui suivent le premier avertissement l'entreprise peut immédiatement licencier le travailleur dans le respect des procédures légales.
En cas de contestation relative à un licenciement pour insuffisance professionnelle, la partie la plus diligente saisit le bureau de conciliation de la Commission paritaire.
Article 5 - Le non-respect de la procédure prévue à l'article 4 implique la réintégration par l'employeur du travailleur concerné au sein de l'entreprise. Si l'employeur ne procède pas à la réintégration, il sera tenu de payer une somme équivalente à trois mois de salaire sans préjudice des dispositions en matière de préavis. »
Du chef de l’existence de cette norme sectorielle instituant une procédure spéciale de licenciement, on est en droit de raisonnablement considérer que les entreprises actives dans le secteur se doivent de respecter, l'employeur de ce secteur n’est pas assujetti aux prescrits de la CCT 109 qui elle prévoit, en cas de licenciement manifestement déraisonnable, une indemnité (supplémentaire) égale à au moins 3 semaines et maximum 17 semaines.
Une certaine doctrine et jurisprudence tentent toutefois de nuancer cette exclusion et d’appliquer, envers et contre, tout la norme intersectorielle. Ainsi, plus particulièrement s’agissant de la CP 311, le Tribunal du travail de Bruxelles , au terme d’un jugement du 30 juin 2017, considérant que la protection accordée par la norme sectorielle était inférieure à la norme nationale (au motif que la première limite le droit à indemnisation en cas de licenciement irrégulier) à trois mois de rémunération, a conclu qu’il convenait de faire application des règles de la CCT 109 et d’éventuellement identifier l’existence d’un licenciement manifestement déraisonnablement nonobstant le bon respect, par l’employeur, des règles du secteur afférentes à l’insuffisance professionnelle.
Cette jurisprudence est critiquable. En effet :
- le texte de l’article 2 § 3 de la CCT n° 109 est clair (et ne souffre dès lors pas de possibilités d’interprétation). Il stipule : « La présente convention collective de travail ne s’applique pas non plus aux travailleurs qui font l’objet d’un licenciement pour lequel l’employeur doit suivre une procédure spéciale de licenciement fixée par la loi ou par une convention collective de travail. ». Il découle dès lors du prescrit clair de cette disposition que ladite CCT ne s’applique pas, en son entièreté, dès lors qu’une convention collective de travail, de quelque niveau que ce soit et de quelque manière que ce soit, prévoit, s’agissant du travailleur considéré, une procédure spéciale de licenciement (quelconque) ;
- dérogatoire au droit commun (quel qu’étendu que soit son champs d’application), la CCT n° 109 est évidemment d’interprétation restrictive quant à son champs d’application ratione personnae ;
- l’article 2 § 3 de la CCT n° 109 ne stipule nullement que l’exclusion prévue par elle ne s’applique que pour autant que la norme sectorielle édicte une procédure spéciale à suivre en cas de licenciement prévoyant des obligations de motivation au moins égale à celles stipulées par la CCT n° 109 (laquelle ?) et /ou un système de protection au moins équivalent à ce celui prévu par celle-ci et/ou une indemnité au moins égale à celle prévue par la CCT n° 109 en cas de licenciement irrégulier.
D’aucun l’on relevé : la C.C.T. n°109 « ne requiert aucun critère pour qu’une procédure soit considérée comme spéciale. Cette absence de critère peut s’avérer problématique dans la mesure où certaines procédures n’offrent pas de protections suffisantes aux travailleurs qui peuvent s’en prévaloir. Dès lors, on pourrait se retrouver avec des protections spéciales insuffisantes excluant malgré tout le travailleur du champ d’application de la C.C.T. 109. » (S. TILMAN, « Le nouveau régime du licenciement belge Regards croisés sur la convention n°158 de l’OIT et la jurisprudence de la C.E.D.H. du 10 juillet 2012 », Louvain-la-Neuve, 2014 – 2015, p. 36).
Ce constat (par ailleurs non pertinent s’agissant de la CP 311) n’innerve évidemment pas la clarté du prescrit de l’article 2 § 3 de la CCT n° 109.
En réalité, au terme de l’article 2 § 3 de la CCT n° 109 : (…) « on a formulé une exception générale pour éviter que la CCT n° 109 n’interfère sur les procédures de licenciement existantes au niveau sectoriel ou de l’entreprise et définies par CCT. Des procédures légales, comme celle prévue pour le licenciement d’un représentant des travailleurs, sont également exclues. Il doit s’agir d’un régime qui détermine effectivement une procédure de licenciement à suivre. Plusieurs scénarios peuvent être envisagés : par exemple l’obligation d’entendre le travailleur au préalable ou de l’avertir avant de procéder au licenciement… » (E. VANDERVELDEN, « Circulaire S.2014/019 de la F.E.B. « concernant la motivation du licenciement » du 12 juin 2014, p. 10).
S’agissant du degré / de la densité de la protection dont bénéficie le travailleur, on constatera également, au surplus, que, en application de la procédure pour insuffisance professionnelle visée par le secteur des grandes entreprises de vente au détail:
- le travailleur licencié pour insuffisance professionnelle connait très précisément les motifs liés à une exécution inadéquate de son contrat de travail et à la base de son licenciement (les règles sectorielles évoquées ci-dessus ne visant que la situation d’un travailleur dit en insuffisance professionnelle) ;
- le travailleur ne peut être régulièrement licencié du chef d’insuffisance professionnelle qu’en situation de récidive, ce que n’impose pas la CCT 109 ;
- les règles sectorielles sont également plus protectrices que les dispositions reprises au terme de la CCT n° 109 en ce que, préalablement à son licenciement, le membre du personnel en relevant doit nécessairement faire l’objet d’un avertissement écrit, ce que n’exige pas le texte national ;
- les règles sectorielles prévoient l’intervention de la délégation syndicale afin d’assurer la défense du travailleur concerné et son encadrement (quod non s’agissant de la CCT n° 109) ;
- le travailleur peut avoir recours au bureau de conciliation en cas de contestations tout à la fois sur le suivi de la procédure et ou les faits reprochés (quod non s’agissant de la CCT n° 109);
- l’indemnité visée par la CCT sectorielle et due au travailleur en cas de non respect de la procédure impose sa réintégration ou la mise en paiement, en sus de l’indemnité compensatoire de préavis, d’une indemnité spéciale de trois (03) mois, soit treize (13) semaines, soit un montant, en de nombreuses situations plus important que celui visé par la CCT 109.
Le débat n’est pas neutre. En effet :
- s’agissant de la norme sectorielle, un éventuel contrôle (de la Commission Paritaire (et du pouvoir judiciaire)) ne pourrait, essentiellement, que sur le bon respect formel de la norme. Dès lors que le travailleur est considéré en insuffisance professionnelle, il convient pour son employeur de lui notifier un ou deux avertissement(s) (écrits) (selon qu’il soit ou non en situation de « récidive ») avant de procéder au licenciement. La norme sectorielle ne donne pas à la commission paritaire (ou au juge) le pouvoir d’évaluer, de quelque manière que ce soit(même marginalement) la gravité du manquement commis par le travailleur discipliné. Il conviendra uniquement de vérifier si, préalablement à son licenciement, les notifications (avertissements) préalables furent notifiées ;
- s’agissant de la norme nationale, les praticiens du droit connaissant la pratiques de certaines juridictions s’arrogeant plus ou moins largement le droit développer un examen des motifs invoqués, analyse allant bien au-delà des prescrits limitant pourtant leur rôle à un contrôle marginal.
Devrait-on admettre l’application des règles de la CCT 109 nonobstant l’existence d’un mécanisme propre au secteur, la question du cumul des sanctions s’imposerait par ailleurs. En d’autres termes, un membre du personnel licencié pourrait-il être tenter de se revendiquer tout à la fois de la sanction de la CCT-sectorielle (=3 mois) et celle de la CCT –nationale (= maximum 17 semaines) en manière telle que, outre l’indemnité compensatoire de préavis usuelle, l’employeur pourrait être condamné à des dommages intérêts égaux à trois et 17 semaines ? En pareille analyse, le cumul des sanctions pourrait s’envisager dès lors que la nature du manquement réprimé est, semble-il, différent. La norme sectorielle vise à sanctionner le non-respect d’une procédure alors que la norme nationale vise, quant à elle, à sanctionner un licenciement qui serait manifestent déraisonnable.
Intéressant mon cher Étienne mais je ne partage pas totalement ton point de vue. Il est vrai que le rapport qui précède la CCT n°109 et les commentaires de l'article que tu invoques ne sont pas de nature à nous éclairer encore que finalement il n'appartient qu'aux partenaires sociaux de clarifier la situation. La confusion réside à mon sens sur ce qu'il y a lieu d'entendre par "procédures spêciales