Ce que sont les jeunes, ce qu'ils nous disent, ce qu'ils veulent
Jacques Bousiquier

Ce que sont les jeunes, ce qu'ils nous disent, ce qu'ils veulent

2017 a consacré la jeunesse. Avec en France pour point d’orgue l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, et en creux — car la jeunesse, c’est toujours par rapport à quelque chose de plus ancien — le délitement, la quasi-disparition des partis traditionnels, pour ne pas dire des vieux partis et de leurs chefs en proie désormais à ce qu’Alexandre Soljenitsyne aurait appelé un sentiment d’accablement et de déréliction.

Génération Y ? Z ? Digital natives ? Les noms et leur succession dans le temps importent peu. Plus intéressant, ce que sont les jeunes aujourd’hui, ce qu’ils veulent.

Tout d’abord, ils veulent trouver du sens dans ce qu’ils font. Ce qu’il faut aussi traduire par leur demande d’être utiles sans être utilisés. Pas vraiment fan de l’autorité (même si j’y reviens avec d’autres nuances ci-dessous) ; individualistes (mouais, pas si sûr) ; connectés (par définition) ; impatients (sûrement) ; à la recherche d’un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, à entendre sans doute dans sa plus simple expression, avoir du temps et les moyens pour se faire plaisir, faire ce que l’on veut... Pour faire court, les jeunes d’aujourd’hui sont l’illustration quasi-parfaite du triangle de Merleau-Ponty, dans l’ordre : moi, le vrai, les autres.

Au-delà, et au-delà même des technologies, et de leurs interfaces désormais souvent incontournables dans beaucoup des rapports humains, il me semble que la grande différence entre plus jeunes et plus anciens (dans leur tête au moins) tient dans leur compréhension du monde. Plus exactement dans ce que j’appelle la valeur d’usage.

Plaidoyer de la jeunesse pour la valeur d'usage

Une valeur d’usage, comme nous le verrons dans un premier temps, dont le premier aspect peut être dit à vocation individualiste. À savoir qui concerne mes propres intérêts, ce que finalement le monde peut m’apporter à moi.

Une valeur d’usage, comme nous le verrons dans un second temps, dont l’autre aspect peut être dit à vocation humaniste. Qui touche quelque chose de plus grand que moi, qui me dépasse en quelque sorte. Une valeur d’usage beaucoup plus collective celle-ci et qui, je crois, réfère à un besoin de cadre et de sens éthique.

Pour parler de la valeur d’usage, dans son premier aspect, il faut comprendre — marqueur entre les différentes générations — ce qui est venu remplacer, pour partie au moins, ce qui hier encore était le désir de possession. Plus que posséder, ils veulent pouvoir répondre et le plus facilement possible à leur(s) besoin(s).

Pour vous faire toucher du doigt ce retournement en quelque sorte, préférer l'usage à l'avoir, et qui est une révolution, je vais prendre l’exemple de l'évolution de notre relation à la voiture. Marqueur des générations plus anciennes, génération X et, avant celle-ci, celle des baby-boomers, posséder une voiture était alors si fort, que beaucoup lui donnaient un nom, pouvaient se surprendre à lui parler, et même à l’encourager à voix haute dans quelques montées. Le lien à la voiture était si fort que la prêter, même à son meilleur ami, n’était pas simple. Crainte que sa conduite ne modifie les réglages, la façon de réagir du véhicule... Crainte plus simplement qu’il ne l’abime... Depuis Blablacar, Uber, et, dans d’autres domaines, Airbnb, et bien d'autres, sont passés par-là.

La compréhension de cette première valeur d’usage — de l’utilisation des choses, des services, mais aussi de la fonction des personnes (j'y reviens juste ci-dessous) — pour les jeunes bien sûr, mais aussi parce qu’elle influence et s’impose petit à petit aux autres générations, est fondamentale. C'est elle qui explique, pour beaucoup pour ne pas dire pour tout, des bouleversements que nous vivons.

Je reviens, pour illustration, à l'une des leçons des élections présidentielles de 2017. Avant même les vieilles histoires droite-gauche, la question que se posent maintenant, jeunes en tête mais aussi beaucoup d’entre nous, est quelle valeur d’usage, et n’y voyez pas un manque de respect pour la fonction, je peux retirer du Président de la République ? En quoi celui-ci va-t-il ou non répondre à mes besoins ? Là où on a voulu, pour la nième fois, ne voir à l’aune de l’abstention qu’un désintérêt des Français pour la chose politique, j’affirme au contraire que l’intérêt des Français pour la politique n’a jamais été aussi grand.

Simplement, la politique ce ne sont plus les partis, peut-être même plus les hommes (à entendre évidemment hommes et femmes), moins encore les luttes de pouvoir. La politique ce doit être du concret. De la valeur d’usage !

Autre exemple, quelle valeur d’usage je peux retirer de l’autorité. Là où l’on pense que les jeunes ne supportent pas l’autorité, j’affirme au contraire que jamais les hommes et les femmes, à commencer par les nouvelles générations en tête, n’ont eu autant besoin et même envie d’autorité. Simplement, et cela fait toute la différence, ils ne veulent plus d’une autorité établie comme on l’entendait hier sur la force, le grade ou le niveau hiérarchique.

Les jeunes veulent une autorité basée sur la valeur d’usage. Une autorité qui leur apporte quelque chose. La reconnaissance de l’autorité va donc se faire sur la reconnaissance d’une compétence, la compréhension que sous la direction de cette personne qui me dirige, je vais apprendre, je vais grandir.

Plaidoyer de la jeunesse pour un cadre éthique

Pour parler de la valeur d’usage dans son second aspect, la valeur d’usage à vocation plus humaniste, je partirai de la demande de sens des nouvelles générations. Non pas que le sens ne faisait pas sens pour les générations plus anciennes, mais cela, clairement, est très marqué chez les jeunes.

Comme les jeunes, à titre individuel, sont prêts à certaines conditions à respecter l’autorité, ils aspirent, à certaines conditions, parce que leurs actions alors participent au monde commun, à inscrire leurs actions dans un cadre éthique.

Pleinement conscients de ce qu'ils veulent, mais aussi de ce qu'ils ne veulent pas, pleinement conscients du monde qui les entoure et de l'impact positif qu'ils peuvent avoir sur celui-ci, pleinement conscients du sens de ce qu'ils font, les jeunes, parce qu’ils sont moins dans l'avoir que leurs aînés, davantage dans la compréhension d'un sens plus profond à donner à leur vie, davantage en résonance et connexion avec le monde qui les entoure, font ouverture à de nouveaux possibles.

Promoteurs de ce que j'appelle une écologie humaine, ouverture à la paix économique qui valorise, comme la définit Dominique Steiler, notre nature coopérative et fait contrepoint à la guerre économique qui, elle, valorise notre potentiel agressif, nous devons, si nous ne voulons pas les perdre (je pense à l'incompréhension, voire la crainte d’être terrassés, de nombreux managers, dirigeants et politiques face aux nouvelles générations) les entendre.

À une vie qui ne connaît qu’une option pour apaiser nos peurs ou assouvir nos désirs, à entendre l’argent et une logique agressive de consommation-possession, nous devons préférer travailler, comme le veut Dominique Steiler, au bien commun en renforçant la consistance de notre tapisserie commune et ainsi, pour de vrai, contribuer à améliorer le bien-être de la société.

Si les générations montantes crient haut et fort, et elles ont bien raison, c'est d'ailleurs là un des derniers vestiges d'un conservatisme intergénérationnel, « Place aux jeunes », elles ont la sagesse pour ne pas dire la gravité d’avoir fait leurs, sans doute sans l’avoir jamais lu, les mots d’un plus ancien, Albert Camus, et compris qu’il ne s’agissait pas tant pour elles de vouloir refaire le monde que d’empêcher que le monde ne se défasse.

* * *

Clé de voûte du développement durable, condition indépassable à la réduction des inégalités sociales et au respect de notre environnement, 100 ans après 1918, à la paix des armes qui marquait la fin de la première guerre mondiale, la jeunesse d'aujourd'hui et nous avec elle devons nous employer à construire une autre forme de paix, la paix économique cette fois. 

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Note : Cet article — 10e d'une série intitulée "Penser le futur", après #Grenoble (avril 2017), #FCG (mai 2017), #Macron (juin 2017), #Migrants (juillet 2017), #Démocratie (septembre 2017), #Écologie (octobre 2017), #Bordel (novembre 2017), #Engagement (décembre 2017) et #GEM le 5 janvier 2018 — a été publié dans Les Affiches le 2 février 2018 sous le titre #Jeunesse. Il est reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'équipe de direction de l'hebdomadaire.

Franck Talleux

Facilitateur managérial & commercial, Management à distance, Consultant , Manager de transition, storytelling Start 'Up,PME et TPE Coach/médiateur: Tiers de confiance externe

6 ans

Ainsi, la génération X aura au moins fait quelque chose de bien: La jeunesse d'aujourd'hui!

Fabienne Leloup

Agrégée HC de lettres modernes École Boulle/ Écrivain

6 ans

Analyse fine et sensible.

LAURE ROSENSTIEL

Conseil, Coaching, Préparation mentale (MT), Médiation (Prévention des RPS, Méthode Target®; Qualité relationnelle, bien être et performance) - ALBATRA

6 ans

j'aime ! Usage versus possession : d'un statut, d'un bureau, d'une équipe, de données... un paquet de déclinaisons à faire pour renverser nos habitudes de travail et de relations au travail ! Que se développe la recherche d'un sens, pour soi et commun !

Jean-Luc Solignat

Artisan Logiciel / Libre penseur

6 ans

Back to basics...

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