Ces inconnus que j'ai connu ... !

C’est un peu pour vous mettre tous dans le bain d’un quotidien social, spirituel et culturel d’un médecin, en dehors des formalités et discussions scientifiques ou techniques.

C’est l’hôpital vu de l’intérieur, c’est l’humain vu dans la souffrance, dans le besoin, dans la nécessité, dans la peur…

C’est l’homme qui devant la maladie ne peut que se prosterner devant la Grandeur de son Créateur puisqu’il n’est fait que d’un corps ingrat, fragile, traitre et éphémère !

Et Comme on dit « Le corps est éphémère, le soi, le moi profond est éternel ».« Mes amis, retenez ceci, il n'y a ni mauvaises herbes ni mauvais hommes. Il n'y a que de mauvais cultivateurs. » Victor Hugo, les misérables

Y’a eu cette Femme très jeune, hospitalisé en neurologie pour une tetraparalysie (qui n’est d’autre que la paralysie des quatre membres).

Cette patiente son état s’est compliqué d’une dépression lors de son hospitalisation due à sa situation sociale : son mari l’avait quitté une fois malade et il a ramené avec lui ses enfants, et dont la mère une femme âgée de plus 80 ans venait chaque jour avec son sac plein de ration pour prendre soin de sa fille religieusement.

Dans le même couloir y’avait cette autre femme qui soutenait son mari paralysé, atteint d’une complication neurologique d’une maladie souvent contracté par des personnes aux mœurs légères certainement lors de son jeune âge, il y’a de cela très longtemps.

Elle était là à le soutenir alors qu’il était impotent dans sa chaise roulante tout en se permettant de l’insulter matin midi et soir…

Mais elle avait certainement compris déjà, que la maladie lui a fait perdre les nerfs.

« Il n'y a pour l'homme que trois événements : naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, il souffre à mourir, et il oublie de vivre. » [Jean de La Bruyère]

« Il ne se sent pas naître » ==) correspond à ce nouveau-né que j'ai connu qui n'est pas si chanceux ou l'est peut être, il n'avait pas vécu assez pour faire ses premiers pas. Et pendant qu’il était en train de nous quitté par faute de place en réanimation, ses parents impuissants se querellaient en évitant vraiment de s’écouter puisqu’ils l’ont compris, il était déjà trop tard il était mourant…

« elle souffre à mourir » ==) J'ai connu (ou pas) cette femme qui était la voisine de la patiente dont je devais m’occuper. Et qui lors de mon premier jour au service j’étais juste en face d’elle mais je n’avais pas vraiment fait attention, distraite je l’étais, je suppose. Et je regretterai toujours de ne pas avoir regardé de son coté, de n’avoir pas donné un peu de temps à voir au moins son visage. Puisque le lendemain à la toute première heure de ma journée, je trouverai son médecin traitant en train de la réanimer, elle était plus de notre monde.Elle l’a certainement quitté dans son sommeil, je n'aurais connu que ce regard sans vie,…

Alors qu’hier seulement, elle respirait, était vivante, j’aurais pu la saluer, lui parler, je ne sais pas… Depuis ce jour, quand je rentre dans une salle, je salue tout le monde, je regarde tous les visages, je prends mon temps…

« et il oublie de vivre… » ==) J'ai connu ce Militaire en psychiatrie qui a du fuir lors d'un assaut son meilleur ami et voisin de chambre. Son ami etait pris en piège sous leur voiture, il avait la jambe entière en dessous de la voiture. Ce patient n'arrivait plus à dormir et il est devenu plus que névrosé, hallucinant à chaque fois qu'il se remémorait les implorations de son ami lors de l’incident : il les avaient tous supplier de son vivant lui et leurs coéquipiers de ne pas le laisser derrière eux, qu'ils n'ont qu'à lui sectionner la jambe même, mais qu'ils ne laissent pas derrière eux. Le choc de l'assaut ou de l'attaque inattendue était tout minime à cote du sentiment fatal de culpabilité qu'il avait sentit le lendemain. Les ennemis avaient mutiles son ami, et il a vu la tête de son ami loin de corps. Jamais m'avait il dit qu'il n'oubliera une telle scène et aucun médicament ne pouvait le lui effacer, et qu’il était loin encore le jour ou il arrivera à dormir sans cauchemars.

==) « Ce n'est rien de mourir ; c'est affreux de ne pas vivre. » Victor Hugo, les miserables…

Jai connu cette patiente névrosée hystérique qui venait chaque jour aux urgences de l’hôpital ou j’étais affecté. Elle était connue par tous les médecins, elle venait chaque jour pour avoir droit à l'éternelle injection d'antalgique. Oui, la pauvre pour attirer l’attention, ces personnes hystériques simulent des symptômes et voire même une maladie imaginaire. Tout ce qu’ils veulent c’est d’avoir un peu d’attention.

 « "Il y a autre chose qu'elle préfère à son désir; elle préfère que son désir soit insatisfait afin que l'Autre garde la clé de son mystère" »

Avec tous ces inconnus que j'ai connu, j'ai vu comment un mari a pu quitter sa femme en plein maladie, j'ai vu comment la mère prenait soin de sa fille alors qu'elle avait besoin elle-même qu’on s’occupe d’elle.

J'ai vu comment dès les premières heures de notre vie, notre destinée était déjà tracée, et comment à quelques détails prés chacun dès la naissance pouvait être marquer à vie..

J'ai vu l'humain en toute ses composantes:

*dans la joie d'une famille à l'arrive d'une petite personne qu'ils attendaient depuis déjà assez longtemps,

*la colère ou le désespoir d'un malade à qui on annonce sa séropositivité au VIH,

*l’impuissance d'une famille entière devant la maladie qui dévore les entrailles de leur père...

J'ai vu aussi dans beaucoup d’yeux de la haine, de la peur, de l'indifférence, de la simulation, du mensonge.

J'ai vu des couples très modestes mais des plus heureux, j'ai vu une solidarité féminine exceptionnelle.

J'ai vu du partage, de l'amour, de l'amitié...

Dans la maladie on connait l'homme, sa valeur: la VRAIE!

Ce n'est qu'un aperçu d'un long parcours du combattant de tout médecin dans les couloirs des hôpitaux, avec notre quotidien balancé entre l'espoir de guérir , le devoir de prendre en charge convenablement, et l'impuissance devant le coté souvent difficile socio-economique des patients.

Ps: A l'occasion de la fin de mes stages, j'ai voulu partager avec vous ce coup de gueule, un aperçu de ce monde qui est très souvent inconnu à ceux qui ne sont pas dans le domaine...