C'est quoi le brief ?

L’été s’achève pour beaucoup ☀ Batterie rechargée. Prêts à attaquer de nouveaux briefs !

Comme chaque année mes vacances en Sicile furent ponctuées de quelques passages en un lieu atypique qui m'inspire aujourd'hui ces quelques lignes.

Il y a quelques années, Ignazio Barbagallo, bientôt 60 ans, propriétaire de père en fils d’un vignoble, décida, sur les conseils de ses proches et de ses plus fidèles collaborateurs, de diversifier ses revenus en restructurant une partie de la propriété en agrotourisme. Le « brief » était simple : une piscine, un terrain de foot, un potager, des poules, des biquettes, des lapins, des cochons, un âne, quelques chambres d’hôtes, une salle de réception et le tour était joué. Mais Ignazio est un fantasque et ne s’en tiendra pas au « brief ».

Dans les métiers de la communication on encourage souvent le « out of the box » même si dans les faits on a rarement carte blanche. Diplomatie prudente et compromis s'invitent dans la construction d'un projet aux multiples contraintes branding et enjeux économiques. Mais, parfois, s'impose une idée surprenante, clivante, innovante. Si cette prise de risque contribue à la notoriété et au succès de la marque tout le monde saluera cette audace qui a su naviguer au milieu de "classiques". Malheur en revanche à ceux dont l'audace se solde par un échec et une communication de crise. "C'est le jeu" comme on dit.

Le jeu, Ignazio y a pris goût  faisant fi des avis Google parfois amusés, circonspects ou haineux (4 étoiles sur 5 quand même !). L'Agriturismo Blandano c'est un peu sa Sagrada Familia, son œuvre en constante évolution faite de bric et de broc poussiéreux récupérés dans les brocantes alentours, de recyclages improbables, de panneaux aux jeux de mots cocasses, de structures colorées délirantes. Entre autre chose on y trouve du tuning de vieux véhicules dans un style très éroticomique, un petit train sauvé de la benne et connu des plus anciens comme le manège de leur enfance, une forêt colorée de Fiat 500 plantés sur de hauts piliers ou encore un "sapin de noël" de 3 mètres composé d'une cinquantaine de cuvettes WC ornés de photos des membres du gouvernement italien avec tout en haut Giorgia Meloni souriant à l'étoile du Berger. 

Ce jour-là, Ignazio me propose de découvrir ses appartements, ceux inaccessibles au public. Après m'avoir fait patienter 5 minutes, j'entre et découvre une sorte de fête foraine du XIXème siècle où les mannequins s'animent, les lumières clignotent et la musique raisonne en tout sens. Il me tend un article découpé dans le journal local relatant comment, pour mettre fin à sa carrière de footballeur amateur dans le club de Viagrande, il a organisé, lors du dernier match de championnat, son propre enlèvement en hélicoptère (un "prank" largement relayé par les chaînes nationales à l'époque). Ce type est fou. Au fil de la conversation Ignazio m'interpelle : "Pourquoi donc être conventionnel quand on peut ne pas l’être?". Ma réponse serait conventionnelle, je m'abstiens donc 🤫

Ignazio a choisi d'écrire une histoire qui surprend, qui interpelle. Il ne se revendique ni artiste, ni inventeur, au mieux "uno scherzoso" (un blagueur). Il aurait eu 20 ans aujourd'hui il serait peut-être devenu une star des réseaux sociaux.

Je ne sais pas si, dans les services de comm et les agences de pub, la tendance est davantage aux réponses aseptisées de briefs mais je sais que nous sommes tous plus volontiers marqués par un storytelling qui surprend et tient en haleine.

Il y a bientôt 10 ans une marque aux valeurs et aux principes immuables a fait sa révolution. Je me rappelle que mon agence de l'époque avait d'abord essuyé un échec en proposant à Moët&Chandon une campagne monde propre et sans bavure mais relativement sobre et consensuelle. Plutôt que de rendre les armes nous avions demandé à nos interlocuteurs un second round où nous avions tourné en dérision notre déconvenue dans une longue présentation très imagée puis renversé le brief en cassant tous les codes de la marque. Le storytelling était osé avec un vrai rebondissement (à la Ignazio) : "Pourquoi donc être conventionnel quand on peut ne pas l'être?". Le champagne ne doit plus simplement être la boisson qui célèbre le nouvel an ou un mariage. Il nous invite à vivre intensément chaque instant. Toutes les occasions sont bonnes pour partager du champagne. Nous proposions l'impensable en galvaudant la consommation du champagne. Client séduit, tournage à LA avec un pool d'influenceurs, shooting photos toute l'année, +4% de ventes, la campagne "Open The Now" fut un succès qui inspira la concurrence 🚀

Il y aura toujours la tentation de limiter la prise de risque, de ne pas s’autoriser d’ « exubérance créative » pour s’éviter une potentielle polémique. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui ont adopté le néo-réflexe du prompt modérateur avec ChatGPT, Gemini ou encore Journey pour « lisser » leur narration (qu’il s’agisse d’e-mails , d’articles, de scripts ou de posts).

Mais est-ce que l’absence de surprise, de « coup de théâtre » ne nous éloigne pas de l’objectif de mémorisation de la marque ?

Il y a, j'en suis sûr, bien d'autres Agriturismo Blandano et d'Ignazio Barbagallo en sommeil qui ne demandent qu'à se révéler. 

Alors, en cette rentrée, ne craignons ni la stratégie « trop » ambitieuse ni la créativité « trop » audacieuse lors de nos prochaines réunions kick off et nos prochains brainstorming 😉