Chère Judith,

Chère Judith,

Je crois hélas que les abus ne cesseront pas : c’est une triste certitude.

Il y aura toujours une forme d’admiration de la célébrité, de la gloire, de ceux dont la parole ou l’aura nous exaltent. Il y aura toujours une idéalisation naïve de ceux qui brillent, réussissent, dominent, et qui protègent aussi quelquefois. Il y aura toujours un immense besoin de reconnaissance, un sentiment merveilleux d’être distingué, ou distinguée, parmi la multitude ; de se sentir choisi, ou choisie, pour vivre un destin singulier, merveilleux peut-être.

Et l’illusion de de se croire honoré, ou honorée, de cette extraordinaire proximité, tellement inespérée, d'un être qu'on admire.

Du côté des personnes abusées, c’est ce qui fait d’elles des proies disponibles, faciles, et attirantes.

Du côté de ceux qui abusent :

Il y aura toujours des situations propices, des occasions sans risque manifeste, des repères floutés, des pensées permissives, et le sentiment d'être une exception à la règle, d'avoir un destin exceptionnel, ou d’être bien au-dessus des lois communes.

Et du côté des témoins, des proches, de la société qui se tait : il y aura toujours des gens qui n'osent pas dire, des gens qui ne savent que penser, n’ont pas les repères nécessaires pour oser s’interposer ; des gens qui ne voient pas, ne s'interrogent pas, ferment les yeux. Et des lâches. Tous ceux-là même à qui vous dites, avec votre simplicité désarmante, « je ne vous entends pas ».

Il y aura toujours cela, ce silence autour des enfants, des jeunes et des adultes abusés ou harcelés, à l’école, dans le sport, le cinéma, le journalisme, la cuisine, la politique, la religion, l’entreprise... et dans les familles aussi malheureusement, c'est impossible de l'éradiquer, impossible de prévenir, impossible de protéger.

Bien sûr, la prévention est capitale. Bien sûr, il faut aussi des lois de protection. Elles sont pourtant si faciles à contourner. Quant à la justice, nécessaire aussi, elle reste très largement inopérante et insuffisante – et très lente, et très éprouvante pour les victimes. La justice est comme endormie. Il faut autre chose pour aider les enfants, et ces adultes qu’ils sont devenus.

Ouvrir les yeux.

Ce que nous avons collectivement toujours énormément de mal à considérer, aujourd’hui encore, c’est :

-        la grande fréquence de ces blessures profondes,

-        l’immense difficulté d’en parler,

-        la vertigineuse étendue des dégâts causés dans une existence, y compris des décennies après.

La fréquence :

Les situations d’abus sont beaucoup plus répandues que nous ne voulons le croire. Mais nous résistons à voir, aujourd'hui encore, le nombre des enfants abîmés par les conduites abusives de leur entourage, de leurs proches, leurs groupes d'appartenance, ceux qui les encadrent ou sont chargés d'en prendre soin. Souvent, des expériences très dures.

Nous ne voulons pas voir. Nous ne savons pas voir, ni entendre des signaux de détresse qui pourtant crèvent les yeux.

On n'y voit rien :

Parce que la grande majorité des auteurs de ces agressions courantes nient en bloc avoir été violents. Ils ne savent pas, ou ne peuvent pas voir les dégâts qu’ils causent. Ou ne veulent pas. Et puisque les victimes ne parviennent pas à dire, le reste de la société n’en prend pas la mesure. L’entourage impuissant minimise. La culture dominante esquive le sujet qui la gêne. Une espèce d’invisibilisation s’ensuit.

Ce qui n’est pas vu n’existe pas. La conscience manque. Que faire ?

 

Cela ne signifie pas qu'il faille baisser les bras pour autant, qu'il n'y ait rien à faire, que nous soyons définitivement impuissants. Quelque chose est possible.

Ce qui est possible, c'est d'accompagner la reconstruction. Mais c'est long. Ce qui est nécessaire, c'est l'accompagnement de toutes les personnes qui ont été abusées. Toutes.

Cela passe par un lent travail de conscience. Un travail collectif. Apprendre à voir, à entendre, à reconnaître, à comprendre la longue traîne des lourdes conséquences pour chaque personne touchée par ce fléau. Apprendre à oser dire. Apprendre à savoir prendre le risque courageux que vous avez choisi de prendre.

Tout cela. Énorme chantier de conscientisation.

Et puis aussi créer des lieux, des espaces, des temps où les personnes abusées pourront prendre conscience du poids des conséquences de ce qu'elles ont eu à subir, malgré elles, contre leur gré, tout en croyant être consentantes et complices. Toutes ces conséquences si mal visibles, si difficiles à penser sans repères extérieurs fiables.

Des espaces et des lieux qui les aident à se désincarcérer de ce que cette expérience a fait d'elles, mais qui n'est pas fatal.

Merci de votre courageux témoignage. Clair, dépourvu d'esprit de vengeance aussi. Merci de l'aide précieuse que vous apportez pour aider tant de personnes à prendre conscience de ce qu'elles ont vécu, et d'une possible libération à venir.

#abus-sexuels #emprise #traumatismes #protection-de-l-enfance #bientraitance #maltraitances

Benjamin Duban

Entrepreneur, Accompagnant de Dirigeants / Sources / Entrepreneurs

12 mois

Cher Christophe, je te lis souvent, je suis très souvent touché, et je ne te remercie que rarement. Merci 🙏. Merci pour la justesse des mots, pour leur puissance aussi, et pour l’invitation à l’éveil collectif que tu fais.

Delphine HALLE

Boule d'amour et d'énergie pétillante | Détectons ton potentiel pour que tu construises la vie professionnelle dont tu rêves | Coaching, PNL, Pratiques Narratives, Formation, Codev | 7 ans d'expérience

1 ans

Ton propos touche l'enfance, le familial, le perso... Et il a toute sa place sur LinkedIn tellement les impacts sur les adultes que nous sommes devenus sont immenses, y compris dans l'entreprise. Je n'ai pas vécu cette situation. J'ai pourtant les boyaux serrés de te lire, comme à chaque fois que j'écoute une personne me raconter son histoire Dominant/Dominé, même sans parler d'abus sexuels. Notre rôle d'écoutant, d'accompagnant est majestueux. C'est dans cette optique que je suis devenue praticienne narrative. Pour redonner de la dignité aux personnes et les relier aux moments scintillants, aux situations brillantes et belles de leur vie. Nous ne sommes pas nos comportements. Nous sommes plus que nos difficultés, combats et vécus traumatiques. Tissons, pas-à-pas, la toile de récits qui nous rendent dignes et ai-mables. Merci Christophe de Vareilles

Yves Brien

Accompagnateur des démarches de transformation chez TOSCANE Accompagnement

1 ans

Merci Christophe pour ce partage profond et ces voies concrètes ouvertes.

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