Violence et dépression

Violence et dépression

J’ai envie aujourd’hui d’associer ces deux notions pour voir comment elles interagissent ensemble. La dépression qui peut être définie comme une forme de violence à soi-même et la violence qui elle aussi vient d’un mal être ouvert ou latent.

La violence et la dépression ont les mêmes racines :

Les personnes violentes ou dépressives voient le verre à moitié vide. Elles trient tous les évènements qui sont arrivés ou qui arrivent en ne gardant que le négatif. Leur regard n’arrive plus du tout à faire la part des choses avec un peu d’objectivité. Elles sont influencées par toutes leurs peurs, leurs colères et leurs tristesses. la plupart du temps tout cela est inconscient.

Les personnes violentes ou dépressives racontent les événements en priorisant ce qui ne va pas, ce qui ne va pas pouvoir se faire et ce qui est douloureux. Les expressions qui sortent de leurs bouches peuvent ressembler à cela :

 « C’est une cata », « cela va comme un lundi », « cela ne va pas être possible », « je suis désolé », « oui mais », « le pauvre », « on va droit dans le mur », « il faut punir » , « c’est un scandale » , « tu dois changer », « c’est une honte », « je suis nulle », « pardon d’exister »

 Violence et dépression basent leurs modèles du monde sur des jugements négatifs, sur eux-mêmes prioritairement pour le dépressif, sur les autres prioritairement pour la personne violente, sur les situations de vie pour les deux.

Les personnes violentes et dépressives ont aussi un langage similaire : le langage de la plainte fait de généralités, d’opinions clivantes ou binaires qui sont utilisées pour se défouler sans pouvoir envisager une amélioration.

Dans les deux cas seules les stratégies de défense se mettent en place.  Les personnes dépressives comme les personnes violentes sont dans les trois grandes stratégies de défense.

  • La première stratégie est la fuite. Elle est la plus fréquemment utilisée par le dépressif : la personne se plaint, ne sait plus comment faire pour arranger la situation et culpabilise de ne pas pouvoir agir. La violence est alors tourné prioritairement vers elle.
  • La seconde stratégie est l’agressivité. Elle est la plus fréquemment utilisée par la personne violente : elle s’oppose à elle-même et aux autres par les jeux psychologiques de « qui à tort, qui a raison » et « qui perd, qui gagne ». La violence est un exutoire de mal être.
  • La troisième stratégie est la manipulation qui consiste à mettre de la confusion là où il y a de la clarté, à faire culpabiliser l’autre en jouant sans dire la règle du jeu, en passant de la flatterie au discrédit. La duperie, le mensonge, l’exagération sont les armes d’une violence cachée qui propose un piège. Cette troisième stratégie est utilisée à la fois par la personne dépressive et par la personne violente. Elle est la plupart du temps inconsciente sauf en cas de personnalité perverse.

Il n’y a pas d’échelle de valeur de ces trois stratégies : toutes les trois sont la manifestation de quelque chose qui fait souffrir et qui mène à la violence vers soi-même et vers les autres.

Les passions tristes comme les décrivent Spinoza ne sont pas digérées et tiennent le gouvernail de ces personnes. C’est hélas très contagieux et cela se propage à toute vitesse : les réseaux sociaux, le buzz médiatique donnent des caisses de résonnance instantanées et mondialisées à tout cela.

Nous surconsommons à longueur de journée de la violence et des manifestations de dépression. Le paradoxe étant que nous croyons qu’en contrepartie, consommer du bien être va pouvoir contrebalancer tout cela.

Dans cette hyper consommation de la violence, seules deux émotions négatives se montrent au monde.

Les peurs et les colères.

Une émotion n’est plus du tout au gout du jour. Elle devient taboue, tout à fait incorrecte dans la sphère publique, professionnelle et même personnelle : c’est la tristesse.

La maladie, le handicap, la vieillesse, la mort et le deuil sont cachés au fin fond des hôpitaux et il n’est pas bien vu de mettre trop de temps à être triste.

Et c’est là, je crois,  la clef qui explique cette montée des dépressions et des manifestations de violence. Quand la tristesse n’est pas accueillie, écoutée et qu’il n’y a pas autour de la personne triste des personnes qui savent attendre et consoler, alors la tristesse reste et elle mène vers des états dépressifs en agglomérant avec elle les colères et les peurs.

La tristesse est pour autant la seule voie connue pour aller vers un chemin de compassion pour soi d’abord et pour les autres ensuite, si et seulement si, elle n’est pas combattue mais qu’elle peut exprimer fortement son besoin de soutien, de consolation et de patience.

Nous sommes assez démunis pour faire face à cette montée des violences et des dépressions.

Alors nous allons nous chercher une bulle qui nous protège et nous fait du bien.

Le corolaire de la violence et de la dépression est la montée de tous les corporatismes et de tous les communautarismes : c’est un repli naturel où chacun resserre les liens avec des personnes qui ont le même modèle du monde. Le même milieu, la même religion, la même pensée politique, la même manière de vivre et de faire des choix.

On assiste aujourd’hui à une montée de tout cela et nous assistons de plus en plus à des mondes qui ne se parlent plus, ne se côtoient plus. Chacun excluant l’autre s’il devient un peu ou totalement différent de moi.

Alors la boucle est bouclée. La peur de l’autre, la colère et la tristesse augmentent et cela est le terreau d’encore plus de violence et d’encore plus de dépression. 

Alors comment se sortir de tout cela ? Comment continuer à vivre sans être dans le déni ni dépressif ni violent ? Ni pour soi-même ni pour les autres ?

La non-violence et la sérénité ne sont-elles réservées qu’à un petit nombre de personnes complètement barrées et éloignées de toute réalité ?

Quand j’observe dans mes entretiens comment font les personnes qui sans être totalement béates et hors sol sont dans la sérénité et dans la non-violence je m’aperçois qu’elles ont toutes fait un chemin. C’est un chemin qui passe d’abord par une prise de conscience et ensuite par des choix courageux.

La prise conscience, certains disent la prise de recul est de ramener les choses à un peu plus de rationalité : c’est prendre le temps de se regarder, de regarder les autres et sa vie le plus objectivement possible. Une expression dit cela « Il faut raison garder ». Il s’agit d’arrêter la machine à ressasser et à se projeter sur un futur catastrophique.

Il s’agit d’être là totalement et pleinement dans le moment présent. Et d’accueillir ce qui vient dans la tête, dans le cœur et dans le corps totalement et inconditionnellement.

Ensuite ces personnes analysent les évènements en fonction de ce qui dépend d’elle-même. Elles ont compris qu’il est inutile de s’inquiéter de s’énerver et de se rendre triste si nous sommes impuissants à changer les choses.

Quand je parle avec elle de la planète en danger par exemple. Il suffit de lire les rapports des scientifiques pour se dire que le monde court à sa perte. C’est extrêmement simple d’imaginer les populations sans eau, criant famine et victimes de toutes sortes de cataclysmes. Le film de l’apocalypse se déroule sous nos yeux . On ne peut pas ne pas voir. Quand je parle avec les personnes de ces sujets-là, elles me disent qu’elles ne peuvent pas changer le monde mais pour autant elles peuvent changer leurs modes de vie : Elles apprennent le tri des déchets. Elles choisissent une consommation raisonnée et raisonnable. Elles font leur propre bilan carbone. Elles choisissent la provenance des aliments et des biens de consommation .. Cela leur apporte de la paix intérieure et de la joie alors même qu’elles savent que cela est une goutte d’eau. Elles se disent qu’elles ne sont responsables que de deux choses : de leurs choix et aussi d’essayer d’éveiller les consciences de leur entourage. Elles apprennent à gérer leurs frustrations et leurs peurs sur tout ce qui ne dépend pas d’elles même.

Quand j’observe ceux qui sont totalement dans la vie et pour autant non violents et non dépressifs, voici ce que peux encore observer :

Ces personnes font un chemin qui passe par l’apprentissage de la nuance, du compromis, du lâcher-prise. Elles accueillent leurs émotions et sensations négatives ( souffrances morales et douleurs physiques) comme étant non pas quelque chose dont il faut absolument se débarrasser, mais comme étant des signaux faibles ou forts de points d’attention qu’il faut écouter et entendre pour agir positivement et concrètement.

 Elles savent être le plus souvent possibles dans le non-jugement, en le remplaçant par l’écoute de soi et des autres et par l’expression des émotions et des sentiments et de leurs besoins psychologiques.

Elles font le choix de l’altruisme, de  l’empathie de la compassion, avec une visée de paix passant avant une visée d’efficacité. Elles apprennent à faire le tri entre ce qui dépend d’eux et ce pour lequel elles n’ont pas de levier. Elles ont le désir de faire ce qui est en leur pouvoir pour améliorer ce qu'elles peuvent améliorer en confiance. Elles sont indulgentes avec les erreurs, ne sont plus hantées par la perfection, la rapidité. Elles cultivent la joie, le plaisir, le rêve, la créativité.

Les personnes non violentes et non dépressives que je côtoie ont toutes fait un choix à un moment où à un autre de leur vie et ce choix est refait et refait surtout lors des instants difficiles en demandant de l’aide quand le chemin est sinueux ou douloureux.

Je crois que ce chemin-là n’est pas totalement humain. Je crois même que c’est la part divine en nous. C’est pour autant un chemin d’humanité où nous sommes tous conviés si nous voulons sauver l’humanité et notre terre qui crient une fin annoncée.

J’ai eu récemment l’immense honneur d’animer une formation pour un groupe de personnes ayant tous une reconnaissance de travailleurs handicapés. Jamais dans toute ma carrière, je n’avais été prise dans une ambiance aussi belle. Je ne sais même pas comment expliquer ce que j’ai ressenti, mais j’ai pris une grande claque. À un moment une stagiaire m’a interpellé à une pause et elle m’a dit « Je crois que vous avez mal en ce moment ? et si c’est le cas , dites-moi si je peux aller vous chercher à boire ou autre chose » c’est mon travail de prendre soin des autres, ce fut la première fois que j’avais en retour l’expression si délicate de quelqu’un qui avait observé, compris et exprimé un tel retour.

Ce stage fut pour moi l’occasion de vivre l’entraide, le non-jugement, la solidarité, la compassion, l’authenticité, la non-compétition, l’accueil du fragile, la gaité simple.

En sortant de ces 6 jours avec eux, je me suis demandé s’ils en étaient là à cause des épreuves de la vie. Si pour être dans la non-violence pour soi et pour les autres il fallait être passé dans le douloureux.

Je n’ai pas de réponses à cette question. Je crois que chacun vit des souffrances et des douleurs et qu’aucune vie n’est épargnée par des difficultés. Mais je crois profondément que c’est quand on fait en conscience le choix de la non-violence et de la joie que l’on peut aller vers la paix intérieure.

Alors violence et dépression ne servent plus à rien. Les barrières et les armes tombent. La fragilité prend du sens. Elle devient un cadeau pour soi et pour les autres et elle est la forme la plus puissante pour agir concrètement à sa juste place à l’amélioration du monde.

Violences et dépression sont deux manières d’envoyer un signal d’alarme, comme une sirène retentissante pour crier son mal être au monde. Pour crier ses besoins psychologiques.

Alors , vous qui me lisez, posez -vous deux minutes, et demandez-vous quel est votre besoin psychologique ou physiologique le plus important à cet instant .

juin 2022

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets