Chassez ces degrés que je ne saurais boire
Archives © yann kerveno 2022.

Chassez ces degrés que je ne saurais boire

L’Organisation mondiale de la santé vient d’appeler les pays du monde entier à augmenter les taxes sur les alcools et les boissons sucrées, en particulier les sodas. L’organisation espère ainsi réduire le nombre de décès imputables à l’alcool, estimé à 26 millions de personnes par an, et 8 millions pour les buveurs de boissons sucrées, sur la base d’une étude de 2017 qui tendait à prouver qu’une taxe qui augmente les prix des boissons alcoolisées de 50 % permettrait d’éviter 21 millions de décès sur 50 ans et d’engranger 17 000 milliards de dollars de revenus pour les États. Plus localement, les controverses n’en finissent plus pour savoir si le premier verre est dangereux ou si une consommation raisonnable est soutenable. On discute au Canada, on discute en Europe autour de la nouvelle réglementation irlandaise sur l’étiquetage des alcools qui a fait bondir tout ce que le monde contient de producteurs de boissons alcoolisées…

Alors, comment combiner le plaisir sans le danger pour la santé ? On peut parier sur la désalcoolisation qui prend une ampleur remarquable ces dernières années avec une multiplication des produits, en particulier dans les spiritueux (le gin) et le vin, qui embrayent derrière la bière. Dans le sud de la France, il y a un bon moment que le monde viticole tente de limiter l’explosion des degrés en vendangeant plus tôt et pour rester sur un marché de vins frais point trop alcooleux.

Mais pour ôter l’alcool du vin, il faut en passer par la technologie (sinon, c’est du jus de raisin !). Les premières tentatives ne datent pas d’hier, c’est un dentiste américain (et prohibitionniste) qui est crédité des premiers essais, en 1869, même si ce n’était pas du vin mais du jus de raisin non fermenté et pasteurisé, qu’il présentait comme « vin non-enivrant » pouvant être servi durant les offices de son église méthodiste. À la fin du 19e, des vignerons allemands se lancent dans l’expérience pour élargir la clientèle de leur riesling et déposent un brevet pour une méthode de distillation à basse température qui permet de désalcooliser sans dénaturer… L’entreprise existe toujours et expédie ses vins sans alcool dans 25 pays et l’Allemagne, est-ce un hasard, est le principal pays consommateur de boissons sans ou avec peu d’alcool… Depuis, les méthodes « modernes » ont évolué et datent en particulier des années 1980, elles sont trois majoritairement mises en œuvre : l’évaporation sous vide et distillation à basse température, l’osmose inverse, la colonne à cônes rotatifs. Vous avez tout là si vous vous intéressez à la technique.

Évidemment, Alain Deloire grognera (avec une certaine raison) que ce n’est pas du vin. Mais le marché est là, est promis à belle croissance. En 2022, les boissons désalcoolisées ont progressé de 7 % en valeur sur les 10 principaux marchés pour atteindre 11 milliards de dollars grâce notamment au recrutement de consommateurs chez ceux qui ne consomment habituellement pas d’alcool. Mais pas seulement, les trois quarts de consommateurs de ces produits boivent aussi de l’alcool et se reportent sur ces produits « sans » pour des raisons de santé, de porte-monnaie… La croissance pourrait rester de mise, + 9 % par an jusqu’en 2026 annonce IWSR. Ainsi, qu’on ne s’y trompe pas, le marché aiguise les appétits. Ce sera un des sujets du prochain salon professionnel Prowein en Allemagne.

Et qui sont les plus importants producteurs de vins sans alcool ? Selon precisionreports.co, on trouve quelques-uns des leaders mondiaux, Castel Frères, Treasury Wine estate, E&J Gallo, un syndicat a même été créé, et le marché devrait être tiré par l’Amérique du nord et l’Europe dans la décennie qui nous fait face. Reste que, dans ce domaine, la bière a une grosse longueur d’avance, le sans alcool représente déjà 7 % du marché. Et, c’est tout récent, des dégustations sont organisées à la manière de ce qui se fait pour les vins avec alcool avec des prix qui parfois font bondir, on est là souvent au-delà de 20 $ la bouteille. Pascale HEBEL , qui nous avait introduits avec justesse à cette notion socialement galopante du « sans », va pouvoir rajouter une couche à ses observations d’alors concernant cette appréhension nouvelle de l’alimentation basée sur l’absence (gras, sucre, danger) plutôt que sur ses qualités gustatives !

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