Chronique #8 Urbanistes, Promoteurs, la mobilité n’est pas qu’une question d’infrastructures !
On entend en ce moment un peu partout que le monde de l’urbanisme, de l’aménagement, de l’immobilier va faire sa grande révolution pour prendre en compte cette « nouveauté » apparue au grand jour dans le cadre de la pandémie du COVID 19 : il faut refaire la ville ! Vaste sujet avec des objectifs très intéressants notamment en lien avec les projets d’urbanisme circulaire dont on peut saluer le Manifeste de Dixit sur le sujet qui pose certainement des base intéressantes pour ne pas continuer dans les mêmes « erreurs » commises depuis des décennies.
Bien entendu, repenser l’urbanisme et le « faire la ville » impose de traiter la question de la mobilité et de la place des différents modes et je voudrais donc apporter ici un éclairage très «spécialisé » et centré sur les seules questions de mobilité, en particulier dans le cadre des projets immobiliers ou urbanistiques. Le principe n’est donc pas de revenir sur l’impératif de cet urbanisme circulaire qui nous semble un incontournable, mais de décliner concrètement ce à quoi peut correspondre un véritable projet d’urbanisme circulaire intégrant réellement la question de la mobilité. Car, dans le cadre de mon activité professionnelle, j’ai été amené à travailler sur certains projets immobiliers s’approchant peu ou prou d’une logique d’urbanisme circulaire, et j’ai été malheureusement plutôt étonné d’une faiblesse, voir absence de traitement de la question des mobilités, au-delà des « simples » problématiques de gestion des voiries.
Ainsi, les concepteurs de projets immobiliers semblent encore assez loin dans une prise en compte optimum de la mobilité et ne voient généralement que matériel des choses, des infrastructures, parce que c’est sans doute cela qui impacte le plus le projet et qui se voit le plus. Il m’a donc semblé intéressant de partager ici ce qui me semble fondamental dans la prise en compte de la mobilité pour un projet immobilier quel qu’il soit, à savoir à la fois le traitement des infrastructures, mais aussi des services.
Donc résumons l’objectif d’un projet d’urbanisme ou immobilier que je pourrais qualifier d’exemplaire. Il devra avoir une logique de moindre impact possible avec l’environnement, notamment par son emprise et par son fonctionnement, notamment les déplacements. Donc, tout projet immobilier ou urbanistique vise avant tout à réduire les déplacements. C’est le E de éviter, énoncé dans toutes les analyses environnementales. Alors comment fait-on dans la pratique. Bien évidemment la question de la localisation sera déterminante, mais aussi la question des fonctions du projet. Dans le cas de projets urbains, la question est généralement assez bien traitée du fait d’un périmètre plutôt vaste. Dans le cadre d’un projet immobilier, cette question est souvent moins bien intégrée. Par exemple, toute construction (ou réhabilitation) de logements devrait systématiquement comporter un local permettant le télétravail avec les équipements ad’hoc. La gestion de cet équipement pourrait être assurée par les habitants de l’immeuble ou par une structure tiers. Cet aménagement pourrait à la limite ne pas être réalisé sous réserve qu’un équipement de coworking ou télétravail soit présent dans un rayon de 500m par exemple. Ceci impliquerait aux promoteurs de proposer la « neutralisation » d’une partie d’un logement pour cette activité. On peut également imaginer que l’immeuble comporte en son sous-sol un box de garage dédié au stockage de matériel partagé comme du petit ou gros outillage, du matériel de cuisine, de loisir… permettant aux habitants de l’immeuble de disposer d’une offre de service leur évitant d’aller chercher à droite ou à gauche des équipement ou d’encombrer leur propre garage ou appartement avec un matériel servant très ponctuellement. On peut d’ailleurs se demander pourquoi les sociétés de location de matériel de bricolage ne se sont pas encore emparée du concept en proposant des « kits » de matériels en location pouvant être implantés dans des garages et permettant un accès aux matériels à l’image de l’autopartage. JE ferais peut-être une petite chronique sur ce sujet d’ailleurs.
De même le traitement des pieds d’immeubles est primordial, comme le rappel d’ailleurs l’ouvrage de Sylvain GRISOT. L’intérêt d’un tel aménagement est de permettre évidemment aux personnes habitants l’immeuble de ne pas avoir à se déplacer sur un long parcours pour se rendre à leur travail, et donc d’EVITER le déplacement.
Mais cet évitement de la mobilité n’est bien sûr pas possible pour tout le monde et il faut alors CHANGER de mode et encourager les modes alternatifs à l’automobile ou décourager les utilisateurs de la voiture. Ici l’infrastructure joue un rôle déterminant, c’est évident. L’aménagement des voies de circulations, des cheminements pour les piétons pour les vélos, sont des éléments qui inciteront les personnes à plutôt utiliser un mode que l’autre. Les bases simples ici sont un stationnement automobile le plus éloigné possible des entrées, sauf à utiliser les parkings souterrains, des circulations à sens unique imposant des détours pour décourager l’utilisation de la voiture. A l’inverse, les cycles sont stationnés au plus près des portes, sans avoir à descendre au sous-sol notamment. Les circulations sont simples, éclairés, bien entretenues… Pour les piétons, les cheminements sont équipés de bancs avec un éclairage adapté… Bref, tout cela, les promoteurs et aménageurs savent souvent bien le faire. En revanche, ce que l’on oublie, c’est que pour promouvoir l’usage du vélo de la marche et des transports en commun, on peut aussi aller beaucoup plus loin.
Commençons par les cycles. C’est bien de mettre des pistes cyclables, des stationnements pour les vélos (en pensant qu’il en faut pour les résidents, mais aussi pour les visiteurs et les livreurs…) mais il faut aussi pouvoir proposer les services qui vont avec. Par exemple, pourquoi ne pas mettre des vélos en libre service en lien avec l’appartement. Vous achetez un appartement et bien, il n’a pas de garage, par contre il inclut la mise à disposition de xx vélos en libre service en fonction de la taille du logement. Les vélos pourraient être stockés en pied d’immeuble et seraient accessible via les systèmes classiques (carte, code…). Ici encore, les exploitants de ce type de services sont nombreux et il est tout à fait possible de prévoir cet équipement comme une « charge » de copropriété par exemple. Il est également possible de prévoir la mise à disposition d’un box de garage pour l’entretien des vélos par exemple. Il s’agit donc d’aménager un box avec le matériel de base pour l’entretien de quelques vélos comme par exemple une arrivée d’eau, des prises, un système de support de vélos…
Passons à l’automobile et ici aussi, si nous contraignons l’automobile, nous pouvons aussi en proposer des usages alternatifs performants. Comme pour le vélo évoqué précédemment, pourquoi l’acquisition d’un logement ou d’un bureau ne permettrait pas de disposer également d’une voiture… partagée ? Dans votre loyer, dans l’acquisition de votre logement, vous avez parfois (même souvent) payer un parking ou un garage qui ne vous sert à pas grand-chose si vous avez fait le choix de ne pas avoir de véhicule. Pourquoi ne pas changer la donne et proposer une voiture en partage plutôt qu’un garage. Sur ce point, la loi va sans doute nous limiter puisqu’elle continue d’imposer un minimum de places de stationnement, mais peut-être qu’il faudrait tendre vers une évolution en couplant une offre maximale de stationnement et une offre minimale de véhicules partagés. Bien entendu, en complément des véhicules partagés, qui seront logiquement en partie électrique ou avec des motorisations spécifiques, il est nécessaire de prévoir une alimentation électrique pour les véhicules des particuliers. Pour cela, il sera également intéressant, dans une démarche de circuit court, de faire en sorte que cette alimentation électrique reste locale ou réversible. Par exemple, certains projets portent sur un principe de réinjection de l’électricité des véhicules en soirée lorsqu’ils ne sont pas utilisés et que la pointe de consommation s’opère.
Terminons ici par les transports en commun et, plus généralement par l’information sur les mobilités alternatives. Aujourd’hui de nombreuses personnes sont équipées de smartphone et des applications qui vont bien pour s’informer en temps réel sur les transports et les solutions de mobilité. Mais pourquoi ne pas proposer que l’entrée de l’immeuble soit équipée d’un écran d’information donnant les informations sur les circulations des transports en commun, des disponibilité de vélos ou de voitures en libre service. Ainsi, toute personne sortant de son immeuble saurait si son bus est à l’heure, s’il reste un vélo disponible … On retrouve parfois ce type d’information dans des restaurants ou cafés près des gares, qui retransmettent les informations SNCF, pourquoi ne pas l’envisager au pied des immeubles, ou, si la technologie le permet par les biais des interphones et autres outils de communication de l’immeuble. Plus basiquement, prévoir un plan très explicite au pied de l’immeuble et montrant les temps d’accès aux différents équipements de proximité, dont les transports, devrait aussi être un impératif.
On pourrait enfin rajouter les principes de consignes ou de conciergerie permettant aux habitants de l’immeuble de se faire livrer sans avoir à retourner sur des lieux de livraison externes. Ces conciergeries devant cependant s’entendre à une échelle plus vaste que le imple « immeuble » pour permettre des économies d’échelle.
Voilà, il ne s’agit que d’idées de base qui peuvent être développées mais je voulais simplement montrer qu’aménager l’infrastructure ne suffira pas à inciter le public à changer de mode. Il faut aussi lui donner envie de changer par des offres servicielles intéressantes, adaptées et efficaces. Alors, allons-y, changeons nos façons de concevoir l’espace urbain.
Continuons d’être des homo mobilis raisonnés !