Chronique d'un Trump annoncé
Donald Trump remporte l'élection présidentielle américaine. De nombreux citoyens se réveillent groggy et écarquillent les yeux face à une « nouvelle réalité ». Une sidération qui n’est pas sans rappeler le lendemain du Brexit.
Doit-on, pour autant, jeter l’opprobre sur ces Américains, qui auraient fait le « mauvais choix », comme d’aucuns tançaient hier les Britanniques ?
Dans ces deux cas comme dans d’autres récents, ce sont davantage les raisons sous-jacentes au verdict des urnes qui doivent nous interpeller. Car elles sont, en partie, l’expression d’un rejet et le triomphe du populisme.
Dans une société-mirador où il est devenu commun de pointer l’autre comme coupable de tous les maux, le risque de repli sur soi est alarmant. Comme l’est le danger de manquer le signal lancé ces dernières années par de nombreux citoyens.
La campagne présidentielle américaine s’est focalisée sur des thématiques négatives, faisant l’économie du débat de fond. Les discours simplistes l’ont emporté sur les explications complexes ; les phrases assassines, largement relayées par les médias, ont étouffé la réflexion.
Mais les États-Unis n’ont pas le monopole du prêt-à-penser et des raccourcis. Au sein d’États de l’Union européenne, comme à ses frontières, il n’est pas rare que, poussés dans le dos par l’électoralisme et les populistes émergents, les représentants de partis traditionnels sombrent, eux aussi, dans la caricature, au détriment de véritables projets de société.
Comment s’étonner dès lors que des citoyens qui, depuis des années, se sentent délaissés, des individus chez qui grandit chaque jour un sentiment de désarroi et d’exclusion, soient sensibles aux sirènes des extrémistes ? Ces bonimenteurs qui soufflent sur les braises de la colère et promettent d’anéantir l’establishment.
Ces personnes ne sont pas issues uniquement de milieux précaires. Les partisans de Trump, qu’ils soient fervents ou le soutiennent « par défaut », appartiennent aussi à la classe moyenne. Notamment celle qui peine à se relever de la violente crise financière de 2008.
Aux États-Unis, les laissés-pour-compte sont légion, leur ressentiment est trop souvent sous-estimé, trop rarement pris en considération, et ils n’ont plus confiance en des dynasties politiques, telles que les familles Bush et Clinton.
L’élection du fantasque Donald Trump en est un symbole. Elle n’est donc pas l’expression des seuls rednecks d’Amérique profonde, racistes et férus d’armes à feu.
Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de traverser l’Atlantique pour être inondés d’images stigmatisantes et de propos sensationnalistes qui quelques fois réduisent la pensée à 140 caractères.
Celles et ceux à qui l’on a promis que « le changement, c’est maintenant » ont rejoint peu à peu le camp des déçus et misent par désespoir sur des tribuns dangereux.
Les représentants politiques doivent saisir sans tarder l’importance du message, entendre le mécontentement, ses raisons profondes, et y répondre par les actes, plutôt que par les mots.
Ces dernières années, le libéralisme débridé, l’élitisme, l’éthique à géométrie variable, le « business as usual » et la déflagration de crises successives, ont eu sur la démocratie un effet de souffle : les séquelles extérieures sont moins importantes que les blessures internes, qui ne cessent de s’aggraver tant qu’on n’en prend pas la pleine mesure. C’est aussi ce trauma qui échappe à l’auscultation des sondages, et disparait sous le bruit assourdissant de l’infotainment.
Le patron de la chaine CBS concédait à propos de Trump : « C’est peut-être mauvais pour l’Amérique, mais c’est sacrément bon pour nous ». Si la remise en question doit être l’affaire de la classe politique, elle doit aussi concerner le fonctionnement des médias à l’heure du tout immédiat.
Puisqu’on dit que la fonction fait l’homme, il nous reste à espérer que le personnage de Donald Trump change de costume une fois confronté à la realpolitik. Mais seul un réveil des consciences et le sens commun des responsabilités obligeront les populistes à tomber le masque.
Tu as tout à fait raison Stéphane, il est trop facile de dire que les partisans de Trump sont juste bêtes ou juste racistes, comme on le lit trop souvent. Ce faisant, on passe à coté de l'essentiel car ils ont voté Trump pour plein de raisons, qu'il est important de comprendre si on veut y répondre.