Chronique n°4 par le blog littéraire “Fattorius”
Voir la chronique originale ici.
Un très joli 16/20 !
"Les petits yeux étoilés", c'est un titre qui fait référence au regard particulier des personnes atteintes du syndrome de Williams & Beuren. L'un d'entre eux, Simon Renaud, est au coeur du deuxième livre de l'écrivain angevin Bruno Madelaine. Et le roman "Les petits yeux étoilés", c'est aussi un point de vue optimiste sur une maladie orpheline (touchant une personne sur vingt mille), sur la manière de la vivre et sur les bonheurs que cela réserve, malgré les difficultés. Et une belle manière d'y sensibiliser le lecteur.
Simon Renaud, c'est un personnage philosophe que le lecteur découvre, séduit, à différents âges de sa vie. L'auteur donne plusieurs points de vue à son récit, narré par Simon Renaud lui-même: âge adulte, adolescence, enfance. Par le biais de carnets rédigés par son personnage, il permet un retour sur le passé. Retour à la fois poétique et empreint d'humour: comment ne pas sourire, malgré tout, face à l'idée qu'un embryon, dans le ventre de sa mère, ait voulu faire de ses gènes un jeu de construction? Cela, malgré les lourdes conséquences que cela peut avoir sur une vie. Le lecteur se réjouit d'ailleurs de découvrir ces pages de journal, lieux d'intimité savoureuse.
Force est par ailleurs de noter que si l'humour consiste à savoir rire de soi-même, Simon Renaud s'en sort avec les honneurs: loin de l'apitoiement sur une vie certes difficile tant pour soi que pour l'entourage, il s'en accommode avec le sourire, et assume ses goûts, qui ne sont pas ceux de chacun: un bruit de motocyclette l'émeut, il montre des dispositions pour la musique (comme beaucoup de personnes atteintes du même syndrome) mais reste totalement réfractaire aux mathématiques, et il se nourrit au moyen de poches injectées directement dans l'estomac - par le biais d'une "gastrostomie", un mot à la fois proche de "gastronomie" dans sa sonorité, et très éloigné du point de vue sémantique... Cela peut surprendre, mais face à l'adversité que constitue la maladie ou le handicap, l'humour est une arme.
Handicap versus normalité: c'est une question que l'auteur pose, et par le biais du rêve, il envisage ce que cela peut avoir de pire. Mais voyons plutôt le meilleur, puisque c'est cela que l'écrivain tient à mettre en avant! "Vous dites que je suis différent, or moi je pense que vous êtes tous les mêmes", répond Simon Renaud, philosophe, relevant avec aisance les contradictions des humains qui se prétendent normaux, ou simplement conformes à une normalité qui leur permet de vivre sans trop d'encombres dans le monde qui est le leur. Est-il par exemple vraiment normal de manger du foie gras, produit d'un mode d'élevage pénible pour l'animal? Voilà l'une des questions que Simon Renaud pose, parmi tant d'autres, interrogeant le lecteur sur son propre fonctionnement. L'auteur intègre parfaitement le point de vue de son personnage, avec sensibilité, présentant au lecteur un personnage crédible et sympathique. Et philosophe qui plus est: en exergue de chaque chapitre, apparaît une phrase que le lecteur pourrait méditer.
On pourrait certes relever la distorsion de focalisation qui survient au chapitre 20, improbable du strict point de vue technique, même si l'on admet qu'en relatant ses souvenirs, le personnage principal y adjoint peut-être des choses rapportées. Cette faiblesse déroutante paraît cependant utile pour donner toute sa force à cet ultime chapitre, qui ouvre la porte à l'amour, enfin - un amour qui casse le rythme du roman et trouve son issue, à la fois inouïe et presque attendue, dans l'épilogue qui suit immédiatement.
Mais quoi? Au-delà de son vécu au contact d'une personne atteinte du syndrome de Williams & Beuren, un vécu qui va le faire évoluer, l'auteur laisse affleurer sa propre vision de la vie, une vision positive héritée du bouddhisme. Tout en donnant matière à réflexion sur les obstacles de la vie et la manière de les surmonter (en particulier, la séquence où Simon Renaud apprend à manger, précédée des efforts solidaires consentis par tout son entourage pour financer cet apprentissage peu évident, s'avère exaltante), l'auteur propose avec "Les petits yeux étoilés" un coup d'oeil lumineux sur le handicap - un handicap qui n'empêche pas l'accès au bonheur, ni à cet amour qui, selon l'image classique et consacrée, fait jaillir des papillons dans le ventre.
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Amicalement