Chroniques vingt-et-unièmes — Pas besoin de jouer aux dés
On les appelle des « blockbusters ». Ce sont des films à gros budget auxquels rien ne résiste. Et ceux de l’été ont pour titres Oppenheimer et Barbie. Xavier, Émeline et Ludivine ont regardé le premier « en famille », ce qui ne s’est pas vu depuis au moins quatre ans. Ils ont exclu d’emblée Barbie que malgré les critiques élogieuses Ludivine ne considère pas servir la cause des femmes. Pourtant, contre toute attente, n’a-t-on pas écrit que la poupée Barbie « s’est jouée des stéréotypes sexistes pour devenir un symbole féministe » ? Xavier aurait toutefois bien apprécié y apercevoir Ryan Gosling en Ken, lequel avec ce rôle va peut-être endosser le costume de superstar en montrant qu’il sait habilement changer de peau après ses interprétations remarquées dans La La Land, Blade Runner, 2049 et First Man où il incarnait Neil Armstrong.
Avec le premier film, Christopher Nolan s’est lancé dans une aventure folle pour décrypter la personnalité complexe de Robert Oppenheimer, le « père de la bombe atomique », mais aussi, accessoirement, le premier à affirmer dans les années 1930 la possibilité de l’existence de « trous noirs » à la suite de l’effondrement gravitationnel d’étoiles, hypothèse qui fera l’objet de développements théoriques fondamentaux trente ans plus tard avant d’être validée par l’observation.
Personnalité complexe, car comment qualifier autrement le parcours de cet homme, directeur scientifique du projet Manhattan débouchant sur la mise au point de la bombe A en 1945, et qui passa le reste de sa vie à combattre le danger de prolifération nucléaire et à s’élever contre la superbombe H dont le risque selon lui était de détruire l’humanité ?
Le long-métrage, très réussi techniquement, est tout aussi complexe, avec ses trois timeline, selon le jargon cinématographique, trois épisodes enchevêtrés entre lesquels l’action rebondit constamment.
« Je n’ai rien compris », s’est écriée Ludivine en sortant de la séance, et c’est le reproche que pourrait faire Xavier : si on n’a pas un minimum de connaissances sur la carrière de ce brillant physicien, du projet qu’il a dirigé et des attaques dont il a été victime pour les positions qu’il a défendues, on peut objectivement s’y perdre. Mais ils n’ont pas eu le temps d’en discuter, Ludivine s’est aussitôt éclipsée en courant afin de prendre un train pour Orléans où l’attend le « convoi de l’eau ». Se retournant, elle a simplement averti ses parents qu’elle s’y rend en soutien, s’insurgeant elle aussi « contre un accaparement de l’eau par l’agro-industrie ».
Dont acte.
On retrouve évidemment dans le film de Nolan la fameuse phrase d’Albert Einstein, « Dieu ne joue pas aux dés », que le savant a prononcée pour marquer son opposition à la théorie probabiliste de la physique quantique, et qui présente l’intérêt d’avoir été formulée par quelqu’un qui croit certes à un esprit supérieur, mais pas au sens des religions monothéistes, ce qui l’entoure d’une part de suspicion quant à son intention : s’agissait-il d’une pirouette ou d’une tentative de convaincre un public majoritairement chrétien et forcément perméable à toute allusion à un dieu punisseur ou rédempteur ?
On ne le saura sans doute jamais, pense Xavier.
Malgré sa complexité, il a aimé ce film. Comme Émeline.
Par contre, il hésite à propos de celui de Justine Triet, Anatomie d’une chute, récemment auréolé de la Palme d’or à Cannes.
Et ce, indépendamment de la déclaration de la réalisatrice, en direct devant le monde entier, lorsqu’elle a reçu la récompense. Il a regretté qu’elle y dénonce un gouvernement « néolibéral » voulant « casser l’exception culturelle française », cette exception qui lui a pourtant permis de mener à bien son projet. C’est un problème franco-français et il estime que ce n’était pas le lieu.
Non, c’est le sujet qui le gêne : le décès inexpliqué d’un homme au pied de sa maison en montagne, suivi d’une enquête convergeant sur sa femme et la conduisant au procès. Il rapproche ce thème de celui du dernier Goncourt, Vivre vite, roman de Brigitte Giraud, à l’« écriture autobiographique » l’ayant aidé selon ses mots à se « réapproprier son histoire », qui s’appesantit sur la force de tous les événements ayant concouru à l’accident fatal de son mari en moto plusieurs années auparavant. Le mystère de la mort d’un conjoint serait-il aujourd’hui au cœur des préoccupations artistiques ?
Sans doute est-ce dans « l’air du temps ». Mais ce sont pour Xavier des intrigues trop peu éloignées de la vie quotidienne, alors qu’il recherche plutôt l’évasion ou la découverte en s’installant dans les salles obscures.
Un instant de rêve ou de transition, une échappatoire à la réalité étouffante. Une façon aussi d’oublier la disparition de Prigogine et les putschistes au Niger.
Sans avoir besoin de jouer aux dés.
FIN
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@GDambrev – Gauthier Dambreville - Chroniques vingt-et-unièmes
28 août 2023