Cibler les jeunes, une idée fixe pas très nette

Cibler les jeunes, une idée fixe pas très nette

Il y a quelques semaines, ce petit entrefilet dans le journal du soir a retenu mon attention: Accor investit dans le PSG. « Ce partenariat va nous donner accès à une clientèle beaucoup plus jeune », estime Sébastien Bazin. 

Un tantinet étonnant tous ces grands patrons qui sont littéralement obsédés par l’idée de séduire cette cible élusive que sont « les jeunes »: Telle marque va faire du « marketing émotionnel » à la Accor, telle autre va draguer les influenceurs sur les réseaux sociaux, ou encore dans des emails ciblés « djeuns » apposer un petit smiley en guise de signature. Ces efforts touchants mais souvent maladroits cachent à n’en pas douter une fébrilité certaine qui interroge. A vouloir à tout prix harponner cette catégorie de consommateur, les marques ne risquent-elles pas de se fourvoyer en coulant leur désir (de plaire aux jeunes) dans une généralité (le concept de « jeune »)?

Séduire les jeunes générations, un Everest donc pour le patron quinqua du CAC 40 qui y voit une cure de jouvence synonyme de réussite, une stratégie garante d’un avenir radieux. Pour l’accompagner dans cette conquête, notre dirigeant peut compter sur de fidèles sherpas, à savoir ces fameuses sociétés d’étudesspécialisés en marketing générationnel et leur cargaison de présentations en tout genre sur ces « djeuns ». Un business pétillant comme du bon champagne comme nous le verrons, et un prisme générationnel qui n’est pas sans danger pour les entreprises, comme nous le conclurons.

Fût un temps où il fallait bien une guerre ou une pluie de pavés pour qu’une génération ait droit à son label, baby boomers et soixante-huitards en tête. Fi donc, chaque génération a désormais son appellation d’origine contrôlée: Millennials, Génération X, Y, Z et demain sans doute AA, AB… de vrais petits poulets de Bresse. A peine sortis du cocon, nos chérubins passent donc illico presto sur le canapé d’instituts de tous bords. A chaque décennie sa palanquée de rapports aux accents Lévi-Straussiens qui dressent un portrait robot du jeunot d’aujourd’hui.

Oui, il existe de vraies différences entre générations et les entreprises doivent identifier ces évolutions et en tenir compte. Les instituts d’études y contribuent. Je pense par exemple à l’adoption par les plus jeunes de telle ou telle application au dépend d’une autre, Snapchat vs. Facebook par exemple. Oui bis, il y a des distinctions dans la façon dont une tranché d’âge accède à des services, à la façon dont plus généralement elle satisfait à ses désirs. 

Non, les désirs, les motivations intrinsèques ne sont pas homogènes à l’intérieur d’une population donnée. Au sein d’une même tranche d’âge cohabitent des populations aux comportements, aux motivations radicalement différents. A l’opposé, on trouvera des traits de caractère, des aspirations identiques entre personnes de générations différentes: Quand on est con on est con, comme l’a chanté Brassens, le temps  ne fait rien à l’affaire – et l’époque non plus. Cela vaut d’ailleurs pour les cons comme pour les rebelles, les conservateurs etc…

En résumé en conclusion, sommes-nous donc si différents de nos ainés? Je ne le pense pas.

C’est pourtant ce que nous suggère ce profiling générationnel cher aux instituts de sondage. En nous parlant des « jeunes » comme d’un groupe homogène, en nous dressant un portrait robot en profondeur du « jeune » stéréotypé et sans rapport avec une réalité plus nuancée, ces futorologues de l’espace nous enfilent des perles, que dis-je, des boules de billard. On notera au passage que ce profiling insiste toujours sur l’idée d’une fracture entre générations, chaque génération faisant état d’identités bien affirmées et bien distinctes de la précédente: Tous les djeuns dans un même sac et les vieux sur le bord de la route.

Une certitude: c’est un très bon business. Chaque étude, chaque rapport intitulé « Comment les entreprises doivent séduire la génération XYZ » est à la littérature d’entreprise ce que Houellebecq est au classement Edistat, qui fait état des meilleures ventes de livres: une vache à lait qui ne caille jamais.

Ce n’est point grave me direz-vous, cela crée des emplois. Soit. Le hic c’est que ces rapports ne font pas que prendre la poussière sur des étagères à la Défense. Que nenni, il sont épluchés, discutés, et influencent des décisions clés de développement produit et de campagnes de com. Tout cela ne va pas sans quelques conséquences un brin fâcheuses pour l’entreprise:

Uno: on laisse entendre en dépeignant une floquée de clients potentiels (les jeunes) qui ne ressemblent en rien aux générations précédentes qu’il y a là un nouveau Eldorado à conquérir, une nouvelle génération XYZ à cueillir au berceau, une cible – qui n’en est pas une d’ailleurs – qui monopolise dès lors toute l’attention des équipes Marketing/Ventes, au détriment de leur coeur de clientèle. Quitte à cibler une tranche d’âge, pourquoi les publicitaires privilégient-ils systématiquement les jeunes au détriment de personnes plus âgées qui ont en moyenne plus d’argent, sont plus faciles à atteindre et en règle générale plus fidèles consommateurs?

Due: Confronté à l’irruption permanente de nouvelles technologies et de nouveaux entrants voulant faire fi du passé, beaucoup de patrons ont tendance à développer une peur certaine d’être labellisés ringards, dépassés, frappés d’obsolescence prématurée. Les experts auto-proclamés « new generation », ces Raspoutine aux petits pieds savent en jouer et déverser des tonnes de bullshit aux oreilles de ces CEOs qui veulent désespérément rester dans le coup.  Certains dirigeants en arrivent parfois à totalement abdiquer toute forme de jugement personnel, au prétexte « qu’ils n’y comprennent rien » et « qu’ils ne sont pas la cible ». Ils s’en remettent alors à des équipes de djeuns survalorisés censés coller à la cible mais qui manquent souvent cruellement d’expérience. C’est paresseux et c’est dangereux.

Tre: Ces rapports poussent in fine le management à développer des produits pour des personnes qu’on leur présente comme complètement étranges et étrangères, pour des personnes qu’ils ne comprennent pas. A l’arrivée des produits maison pour personne en l’occurrence, des produit que les employés eux-mêmes n’utilisent pas (même si c’est gratuits pour eux), dont ils ne voient pas l’intérêt, à juste titre souvent d’ailleurs, ces produits ayant été développés pour une clientèle type qui n’existe pas vraiment, en tous les cas pas en grand nombre. Résultat: de cuisants échecs, des équipes perdues, un peu de ridicule, et souvent une marque qui a contre toute attente pris un sacré coup de vieux en voulant se faire un lifting. Récemment, Air France a ainsi plié sa filiale Joon, compagnie aérienne « pensée » pour les millenials avec ses stewards et stewardess en tenue streetwear, ses jus vitaminés, ses casques virtuels etc… Dans un éclair de lucidité, Benjamin Smith, le nouveau CEO d’Air France, a reconnu « qu’il ne comprenait pas lui-même le positionnement ou l’identité de Joon ». Dont acte.

Chaque génération poussant l’autre aux oubliettes, le targeting démographique est comme une boussole qui pointerait sans arrêt dans une direction différente. L’entreprise en essayant de coller à cette cible mouvante risque fort de s’éparpiller façon puzzle, voire de s’égarer complètement. Elle peut y perdre sa raison d’être, son ADN qui n’est jamais corrélé avec une année de naissance, et ses dirigeants leur instinct pourtant si précieux quand il s’agit de fixer un cap à l’entreprise. 

Je trouve les dirigeants de grands groupes bien moins sûrs de leur fait qu’au début de ma carrière. Poussés par la nécessité, ils descendent plus volontiers dans l’arène. Combien de dirigeants se font à présent les émules de Steve Jobs en présentant eux-mêmes leur nouveaux produits au public lors de grands shows à l’américaine? Plus accessibles, plus à l’écoute, nos dirigeants du CAC 40 ont envie de comprendre, ils ont envie qu’on leur explique.

C’est très positif mais cela n’est pas sans risque. Plutôt que de céder aux sirènes des bateleurs de « new generation » que sont nos chers instituts d’étude, encourageons plutôt nos dirigeants à « tirer l’éternel du transitoire ». Charles Péguy le résumait parfaitement: « Homère est nouveau ce matin, et rien n’est peut-être aussi vieux que le journal d‘aujourd’hui. »

Olivier Hascoat

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