Clauses abusives dans les conventions d’honoraires : tel est pris qui croyait prendre
Dans ce domaine – comme dans beaucoup d’autres- l’avocat est un professionnel comme un autre face à un particulier.
C’est ce que rappelle un arrêt de la deuxième chambre de la cour de cassation du 27 octobre dernier (https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046510495?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=juri)
Un avocat a formé un pourvoi contre une ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris dans le litige l'opposant à une ancienne cliente qui lui avait confié la défense de ses intérêts dans une procédure l'opposant à son époux.
En effet une convention d'honoraires avait été conclue prévoyant un forfait, non remboursable, de 3 500 euros TTC, en cas de dessaisissement de l'avocat par le client et une clause d'indemnité de dédit prévoyant, dans la même hypothèse, que l'honoraire restant à courir serait dû, plafonné à 2 500 euros HT (3 000 euros TTC), la cliente a mis fin au mandat et a saisi le bâtonnier d'une contestation d'honoraires afin d'obtenir le remboursement des honoraires versés.
Le premier président a réputé non écrites les deux clauses de dédit de la convention, par application des articles L. 212, alinéa 1er, et L. 241-1 du code de la consommation, fixé à 900 euros TTC les honoraires dus à l'avocat et, ce faisant, condamné l'avocat à lui rembourser 2 600 euros TTC ...
Mécontent, l’avocat soutenait que la procédure spéciale de l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 ne s'applique qu'aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats et que ni le bâtonnier ni le premier président n’avaient pas le pouvoir de connaître, même à titre incident, des différends portant sur l'existence ou la validité du mandat confié à l'avocat : en jugeant que la clause de dédit devait être réputée non écrite comme étant abusive au sens de l'article L. 212-1 du code de la consommation, le premier président aurait donc excédé ses pouvoirs et violé l'article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.
Subsidiairement, il soutenait que ne sont abusives que les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et que ce déséquilibre significatif doit être apprécié en fonction de l'équilibre général des prestations réciproques et du principe de liberté contractuelle ;
Or, soutenait l’avocat, en jugeant que la clause de dédit insérée à la convention d'honoraires créait un déséquilibre significatif au détriment du client, en ce qu'aucune clause de dédit n'était réciproquement prévue au profit du client en cas de dessaisissement anticipé par l'avocat, sans rechercher si, ainsi que le mentionnait expressément la convention d'honoraires, la clause de dédit ne trouvait pas sa contrepartie, favorable au client, dans la fixation d'un honoraire forfaitaire ferme sans aucun dépassement d'un montant largement inférieur à celui qui aurait résulté de l'application d'un taux-horaire, le premier président aurait privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 212-1 du code de la consommation.
L’avocat a tout faux selon la haute Cour qui rappelle d’abord que la CJCE « a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, [C], C-243/08). »
Puis, relevant que, selon l'article L. 212-1 du code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat,
elle relève que « l'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat, ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. »
Or, poursuit-elle, dès lors qu’il « entre dans les pouvoirs du premier président, statuant en matière de fixation des honoraires d'avocat, d'examiner le caractère abusif des clauses des conventions d'honoraires lorsque le client de l'avocat est un non-professionnel ou un consommateur (....) C'est (...) sans excéder ses pouvoirs que le premier président, qui ne s'est pas prononcé sur la validité du mandat de l'avocat, a retenu que les dispositions du code de la consommation sont applicables aux conventions d'honoraires d'avocats et a examiné le caractère abusif des clauses de la convention litigieuse. »
Cherry on top the cake, la Cour relève enfin « qu'en l'espèce, les deux clauses, respectivement prévues par les articles III-1 et V-5-5 de la convention d'honoraires, étaient contradictoires quant à leur montant,
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le premier article prévoyant qu'en cas de dessaisissement de l'avocat par le client, les honoraires forfaitaires de 3 500 euros TTC restaient dus en totalité
et le second que les indemnités de dédit ne pouvaient dépasser 2 500 euros HT, soit 3 000 euros TTC,
il a retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que ces clauses ont, chacune, pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre entre les droits et les obligations des parties au contrat, dès lors que,
d'une part, l'avocat obtiendrait de sa cliente, le paiement de la totalité des honoraires ou leur quasi-totalité alors qu'il n'avait effectué que deux prestations sur les six qu'il s'était engagé à effectuer pour le montant forfaitaire fixé et que les deux montants du dédit apparaissaient disproportionnés avec les diligences réalisées,
d'autre part, qu'il n'est nullement prévu, en cas de « dessaisissement » anticipé par l'avocat, une clause de dédit en faveur de la cliente. »
Bref, comme l’enseigne La fontaine (Le rat et l’huitre) :
Cette fable contient plus d'un enseignement.
Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d'étonnement :
Et puis nous y pouvons apprendre,
Que tel est pris qui croyait prendre.