Cliniques: Une effrayante rentabilité

Cliniques: Une effrayante rentabilité

En France, les polycliniques ont fleuri autour des grandes villes. Ces groupements de cliniques sont des machines à chirurgie dans un secteur devenu un marché très lucratif. Véritables "hôtels" de soins, certains établissements proposent des prestations "premium" avec des chambres au confort accru (canapé, mini-réfrigérateur, climatisation) frisant parfois le ridicule comme le service sous cloche des repas et une présentation plus soignée de produits de cantine. Il n'est donc pas étonnant que quelques patients se prennent pour des clients. En tant que professionnel de santé, il m'est déjà arrivé de m'entretenir avec un patient qui était pleinement dans cette optique. Il était très mécontent car nous n'étions pas assez disponibles pour lui. Il disait qu'il avait payé pour un type de services promis, au préalable, par le chirurgien. Un autre patient agité criait dans une chambre proche de la sienne. Il voulait qu'on le fasse taire et qu'on l'enferme dans une pièce lointaine. Nous lui disions que c'était impossible et que nous pouvions juste fermer la porte. Cette réponse ne lui plaisait pas. Il rétorquait qu'il n'était pas pris en compte comme le client qu'il était et que ce vieux monsieur jouissait de plus de droits que lui. Dans le fond, il avait raison. Le système de ces établissements fonctionne ainsi. Cette recherche constante de profits gangrène le monde de la santé. Dans ce type d'institutions, le matériel de confort futile, comme les immenses écrans plats, prime face au matériel paramédical essentiel à la bonne tenue des soins. Parfois, il n'y a même pas de fontaine d'eau fraîche. Les patients doivent se coltiner l'eau tiède de leur salle de bain. Le confort basique a un prix.

Pourquoi de telles différences entre le public et le privé? Les deux ont des avantages et des inconvénients complémentaires. Par exemple, les infirmier(e)s du privé sont plus autonomes mais sont trop souvent esseulés face aux situations d'urgence. En revanche, ceux du public sont plus dépendants des médecins mais disposent de leur immédiate disponibilité. Face aux complications, le service d'un établissement privé est désemparé. Beaucoup d'événements stagnent dangereusement et végètent dans un flou total pour l'équipe paramédicale. Le fait que les médecins ne soient pas forcément sur place provoquent une impuissance inquiétante dans de tels moments. Certains n'ont même pas envie de se déplacer car ils sont en consultations externes (rentabilité oblige). Ils peuvent effectuer des prescriptions sans voir la personne en état d'urgence absolue. Les infirmières, face à elles-mêmes, peuvent être obligées d'injecter des produits en dosant au mieux le médicament avec un fort risque d'erreurs.

Une autre spécialité est aussi touchée par cette cupide invasion: La Cancérologie. Les patients atteints par cette pathologie dévorante viennent pour plusieurs cures espacées dans le temps. Ils deviennent des habitués. On les appelle presque par leur prénom. Des liens étroits se hissent au fur à mesure que le traitement avance. Le cancer est un fléau impitoyable mais les traitements (chimiothérapie, rayons) pour l'éradiquer en sont un autre. Bien que ceux-ci apportent de bons résultats, leurs effets secondaires sont horribles: nausées, vomissements, anémie, diarrhée, constipation, perte d'appétit, chute des cheveux, asthénie (grande fatigue). La liste est longue. L'estime de soi en prend un sacré coup. Face à tout cela et aux efforts que nous fournissons pour aider les patients à supporter cette phase destructrice, une chose me met en colère: la prise en charge de la douleur et des multiples effets indésirables. Dans ces structures, les médecins travaillent à leurs comptes. Une minorité d'entre eux s'en moque complètement. La logique économique engloutit littéralement l'aspect humain. Ils veulent traiter un maximum de cas au détriment d'une prise en charge optimale. Ces docteurs ne passent que quelques minutes (pour ne pas dire des secondes) auprès de leurs malades en prétextant être débordés. Cela est totalement insuffisant pour recueillir le ressenti vis-à-vis de la pathologie et de ses méandres. L'équipe soignante est obligée de se débrouiller avec des prescriptions bâclées et inconfortables pour le patient, première victime de cette médecine "low cost". La souffrance et l'angoisse sont partiellement considérées car elles ne rapportent rien et ne sont pas quantifiables. Face à la maladie qui peut reculer, ils ne font pas attention à la peur et au mal-être qui, eux, ne reculent pas forcément en même temps. La psychologie joue pour beaucoup dans le processus de guérison. Bien souvent, quand le médecin passe, les patients ont mille questions mais ne peuvent dissiper leurs interrogations auprès de lui, car certains docteurs font des monologues ne laissant aucune place au dialogue. Ils débitent ce qu'ils avaient préparé de dire pour ne pas perdre de temps. Il faut rentabiliser les entrevues. Le paiement à l'acte fait beaucoup de mal à notre domaine car il engendre également une boulimie de prescriptions médicales inutiles et invasives. La constitution d'un parc économique de malades génèrent une banalisation de l'être humain. Certes, le progrès est dans la recherche de nouveaux traitements mais il doit aussi passer par la considération totale des malades confrontés au cancer.

Cette gestion inquiétante ronge le cœur de nos métiers. Ce sont les patients qui en subissent les conséquences les plus graves. La réduction des effectifs face à l'augmentation de l'activité est propice aux glissements de tâches. Une imprudence en provoque une autre. Dorénavant, cette facette de l'univers médical prend une place gigantesque et ne cesse de grandir chaque année. Jusqu'à quel degré d'inhumanité devront nous aller pour obtenir ces gargantuesques bénéfices?




Dr. Bernhard Stein

Médecin Anesthésiste-Réanimateur , Gesundheitsökonom

6 ans

Bien d‘accord avec ce témoignage. Le système est malade de ces incitants mal ciblés et cette vision économique qui ronge notre profession.

Marie-Pierre Beaucher - Mondoloni

Infirmière chez AP-HP, Assistance Publique - Hôpitaux de Paris

6 ans

Ou quand un patient se plaint de ne pas trouver sur son lit à son arrivée, un peignoir et des chaussons ! Le room service 5 ⭐️ de l’infirmière ? Le « prendre soin » et l’exigence de qualité passent après... dommage ! (C’est du vécu !)

Bernard BASSLEER

Médecin retraité, spécialiste hospitalier universitaire.

6 ans

Belle plume mais un peu trop corporatiste. Croyez moi, beaucoup de médecins font mieux que vous ne le dites. Ils ne sont plus nécessairement responsables du système qui a été mis en place. La roue tourne vite et, sans une vision globale des soins de santé, il y aura encore des difficultés.

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