Cloud Européen : Une utopie politique confrontée à une réalisation impossible ?
La souveraineté numérique des Etats est une ambition sur le papier tout à fait légitime, surtout face à l’hégémonie des géants américains ou asiatiques du Cloud, essentiellement résultante du virage tardif pris par les européens au début des années 2000 sans compter le manque de financements massifs sur notre sol. Cette ambition, moultes fois réaffirmée en étant déconnectée des réalités techniques, économiques et organisationnelles risque de se transformer en une quête vaine, voire contre-productive. Il est temps d'oser affronter les réalités.
Le député Philippe Latombe, dans une récente déclaration sur X (ex-Twitter) dont il est très coutumier, propose de créer un cloud européen inspiré du modèle suisse, petit pays pourtant bien pourvu en acteurs locaux (Infomaniak, Exoscale, etc). Une initiative louable sur le papier, mais qui révèle une méconnaissance des défis réels du secteur.
Voici pourquoi cette idée, telle qu’elle est formulée, pourrait s’avérer irréaliste...
L’échec répété des initiatives nationales
Le passé est un excellent professeur. La France a déjà tenté - par deux fois - de bâtir un cloud souverain avec Cloudwatt et Numergy. Ces projets, pourtant portés par des investissements publics conséquents, ont échoué à cause d’un manque de compétitivité (et de fonctionnalités immédiatement disponibles) face aux acteurs internationaux. Pourquoi penser qu’une troisième tentative réussirait, sans une remise en question profonde des approches ?
En Suisse, la souveraineté numérique repose sur des acteurs privés comme Exoscale ou Infomaniak, et non sur des initiatives publiques coûteuses. Cela démontre qu’un écosystème compétitif se construit sur l’innovation et l’agilité des entreprises, non sur des projets étatiques rigides, longs, onéreux...
Le problème est la stack logicielle, pas l’infrastructure
Aujourd’hui, ce qui fait la force des géants américains ou asiatiques, ce n’est pas seulement leur infrastructure Cloud (data centers, réseau international, etc) mais leur écosystème logiciel intégré. Du stockage sécurisé aux outils collaboratifs en passant par l’IA, leur domination repose sur une stack logicielle complète, propriétaire et robuste.
Rebâtir cet écosystème en Europe nécessiterait des dizaines de milliers de développeurs, des administrateurs systèmes, en bref, une mobilisation de talents colossale au sein d'une même entité. Ces briques technologiques ne sont pas dissociables ; elles forment un tout intégré. L’infrastructure seule ne suffit pas à créer un "cloud souverain".
Pour développer tout cela, les moyens humains nécessitent des moyens financiers dont le seul mot faramineux est encore trop faible. Sans parler du temps de réalisation inadapté au marché qui continue d'avancer chaque jour à grande vitesse.
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Des coûts colossaux et une adoption hasardeuse
Créer une alternative crédible exigerait un effort marketing titanesque pour convaincre les entreprises et administrations de migrer.
Or, ces clients ont déjà investi dans des solutions existantes, souvent imbriquées dans leurs processus. Changer implique des coûts et des risques opérationnels qu’ils ne sont pas prêts à prendre à la légère, encore moins dans une période d'inflation généralisée et donc de maitrise des coûts au plus juste : un projet IT d'entreprise ne se décrète pas dans la loi ou par une lubbie politique.
De plus, avec des initiatives comme une taxe sur la bande passante impulsée par le RN et défendue aussi curieusement par le député MoDem Latombe, la France envoie des signaux contradictoires. Ces mesures, au lieu de soutenir l’innovation locale, alourdissent les charges des acteurs existants et freinent leur compétitivité.
Soutenir l’existant est une voie plus réaliste
Plutôt que de rêver d’un "cloud souverain européen" ex nihilo, ne serait-il pas plus judicieux de soutenir les acteurs européens déjà en place ? Miser sur des entreprises comme OVHcloud, Scaleway, Outscale, Clever Cloud, Scalingo, Ionos, Leaseweb, Aruba, ou les acteurs suisses cités plus haut, permettrait de renforcer leur capacité à rivaliser sur la scène internationale. Et à s'inscrire dans les stratégies multi-Cloud déployées par de nombreuses sociétés ou organisations désormais.
Une politique pragmatique consisterait à encourager ces acteurs à innover, tout en évitant des initiatives coûteuses et inefficaces qui répètent les erreurs du passé. L’ambition nécessite le réalisme.
La souveraineté numérique est un enjeu crucial, mais elle ne peut pas reposer uniquement sur des déclarations politiques. Elle nécessite une vision claire, une compréhension fine des réalités techniques, et un soutien ciblé aux acteurs existants.
La proposition du député Philippe Latombe, bien qu’animée par une volonté louable de premier abord, semble déconnectée des dynamiques du secteur.
Le débat doit se recentrer sur des actions concrètes et efficaces pour ne pas disperser nos ressources et nos talents. Car c'est hélas ce que l'on peut observer depuis trop longtemps...
💬 Et vous, qu’en pensez-vous ? La souveraineté numérique passe-t-elle par la création d’un nouveau cloud européen, ou par le renforcement des acteurs existants ? Je vous invite à partager votre avis dans les commentaires.
Passionate about starting new Markets, globally
1 sem.Pas d’accord avec cet article. Comme le dit Eric, le monde change (tous les jours) et le monde open source apporte des briques interessantes de facon reguliere. Ce quil nous manque en Europe sont des acteurs qui peuvent regrouper des inititiatives de developpement et faciliter leur deploiement. Des technologies nouvelles qui vont balayer VMware ( comme qbo.io) vont donner des idees nouvelles de stack super efficaces et simplifiees.
Associé, DG Botanic , Gérant Medor et Cie, Chairman Earthworm Foundation
1 sem.Pour avoir co-initie Exoscale je ne suis pas aussi pessimiste que toi Nicolas. Les stacks open source existent et il y a encore beaucoup de On premise (serveurs dans les entreprises ), un marché réel et captable. Les coups de semonce tarifaires des leaders actuels de ce marché ( vmware par exemple) font réfléchir et bouger les lignes vers notamment l’open source. Le principe premier de la souveraineté serait déjà de stopper l’hémorragie. Pour remplir une baignoire on peut augmenter le débit du robinet mais aussi fermer la bonde. Commençons par donner l’exemple en utilisant des outils européens / open source et il y en a : GOFAST , Only Office, Zorin OS. Les services publics sont en avance mais dans le privé … on retombe sur le syndrome IBM des année 70/80 : tu choisis IBM meme si cela coûte un bras tu ne te feras pas virer. Les IBM d’aujourd’hui ce sont Microsoft google Amazon etc… Leur système de distribution est rodé et rémunérateur pour toute une flottille de prestataires qui assurent leur déploiement. Un peu de courage et de convictions !
Head of Platform Security at SiPearl
2 sem.La question n’est peut-être pas formulée dans les bons termes. Il ne peut pas y avoir de souveraineté numérique en passant par les acteurs existants US soumis au CLOUD Act, FISA et autres joyeusetés. La seule question qui reste est donc voulons-nous cette souveraineté et combien est-on prêt à y mettre. On peut choisir la réponse « non » mais il faudra accepter une vassalité numérique complète.
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2 sem.Merci Nicolas pour l'article. Toujours très factuel 👍