CLOUD (PART 3) VMWARE ou REDHAT? Un (vrai) déchiffrage financier.
Qui n’a jamais rêvé d’être libre et ouvert aux autres ? Tout le monde ! Pourtant au royaume des nuages (le cloud), il semble que la foi dans l’orthodoxie (VMWARE) règne malgré l’avènement de nouveaux prêcheurs vêtus de jean (DOCKER) et affublés de chapeaux rouges (REDHAT). D’un côté les gros « Datacenters » surpuissants gavés d’ESX/VSphere et de l’autre de multiples « clouds » où s’installent des logiciels libres, gageure de flexibilité et de prix contraints. La Liberté n’a pas de prix, mais elle a un coût. Mettons en lumière ce paradoxe en épluchant les rapports financiers de ces grands faiseurs de logiciel hyperviseurs pour comprendre le succès de VMWARE dans le cloud privé et les opportunités de REDHAT dans les clouds publics.
Pricing « Power »: Le désormais célèbre (pour ceux qui ont fait un MBA) Management Guru, Michael Porter d’Harvard Business School théorise que le marché répond à cinq forces. L’une d’elle, et non des moindres est la puissance des producteurs à maintenir un prix élevé (si vous avez un Iphone dans la poche de votre veste, vous comprenez tout à fait ce que j’écris). Dans la lutte entre les logiciels propriétaires et les logiciels libres, cette règle est très importante. Regardons ensemble comment ce précepte se traduit dans la réalité du cloud et des hyperviseurs (vous savez tous que VMWARE est le leader des hyperviseurs propriétaires de serveurs avec son ESX, et que REDHAT est son pendant dans le monde libre avec RHEV)
On pourrait, comme d’habitude avec ces billets, étudier ligne à ligne les chiffres et comparer les tendances. Mais j’ai décidé d’être bon avec vous cette année, et de vous simplifier la lecture laborieuse de ces tableaux en adjoignant un graphique qui capture la quintessence des chiffres.
Figure 1 - Comparaison des ratios de profitabilités entre VMWARE et REDHAT.
Toutes les courbes dans le schéma précédent sont relatives au revenu, et l’échelle est en logarithme 2 (c’est-à-dire que chaque incrément vertical représenté par une ligne horizontale multiplie par deux la valeur précédente – vous n’avez rien compris ? ce n’est pas grave, mais disons que deux courbes proches ne veulent pas forcément dire que les chiffres soient proches).
1. Le « Profit Margin » (Bleu): EGALITE. Aussi appelé « Gross Profit ». Il représente les coûts de production, et à 85% (B10 et F10), il confirme que le logiciel ne vaut pas grand-chose à fabriquer,
2. Les coûts Opérationnels (Violet). VMWARE. C’est une découverte de taille ! Comment un fournisseur de logiciel libre, qui reprend des codes crées par des contributeurs nombreux et gratuits peut avoir des coûts de développement aussi élevés qu’une entreprise isolée ? Les dépenses R&D sont identiques autour de 20% (B11 et F11). Les frais de commercialisation sont plus importants - 41% pour REDHAT en F12 contre 33% pour VMWARE en B12, soit un écart de plus de 30% alors que le logiciel libre appelle à une communauté militante, et les prix des suscriptions sont très inférieurs aux licences ESX (en moyenne 40% d’après mes lectures nocturnes sur le web). Ces écarts de niveaux de dépenses (71% pour REDHAT en F14 vs. 65% pour VMWARE en B14) se détecte par l’insouciante différence, presque imperceptible de la courbe violette entre la partie gauche et droite (vous comprenez maintenant l’effet de l’échelle logarithmique…),
3. La Marge Opérationnelle (Rouge) : VMWARE. L’impact sur la marge opérationnelle (ce que l’entreprise gagne avant de payer ses impôts, et de remplacer son appareil productif, et d’ajuster par rapport à des investissements externes) est immédiat. La différence nette de près de 5% est très visible sur la courbe écarlate – 20.3% en B15 pour VMWARE et seulement 14% pour REDHAT. Ce n’est pas mauvais dans l’ensemble, mais la différence est tout de même de 45% entre les deux!
4. La Marge Nette (Vert) : VMWARE. Le résultat à l’arrivée est sans appel avec 16.7% vs. 9.7%, soit 72% de différence. En plus, à regarder plus attentivement la courbe verte, on s’aperçoit que la tendance est baissière pour le libre et haussière pour le propriétaire depuis 3. L’écart se creuse régulièrement…
Un peu d’analyse est nécessaire à cette étape. REDHAT, en digne plénipotentiaire du libre démontre une tare congénitale de ce modèle, à savoir son incapacité à gérer ses prix. Les coûts de développement sont bien entendus moins élevés que ceux de VMWARE car partagés avec la communauté, et les frais de commercialisation d’un produit moins onéreux doivent normalement être inférieurs. Mais les critères de comparaison financiers sont relatifs (au revenu dans le compte de résultats). VMWARE qui opère une politique de prix monopolistique écrase ses coûts et augmente proportionnellement ses résultats en augmentant ses prix (régulièrement). Ce modèle est-il pérenne ?
Customer « Power »: Archimède l’a prouvé en se plongeant dans une baignoire : toute force exercée sur un corps génère une force contraire (normalement de vigueur égale). Porter a repris (intelligemment) le concept en opposant le « Customer Power – la puissance de l’acheteur » au « Pricing Power – la force du producteur ». Il implique que face à des prix trop vigoureux, les clients se détourneront vers des alternatives moins onéreuses (l’irrationalité des individus pimente forcément cette règle – la pomme chère à Jacques Chirac et à Steve Jobs légitime cette vérité sur les terrains politique et économique). Regardons ensemble comment s’applique l’axiome à notre étude en comparant résultats financiers (Pricing Power) et croissance commerciale (Customer Power).
Figure 2 – Croissance versus résultats financiers
Pas de logarithme pour ce graphique, mais un double axe d’ordonnées pour rendre plus compliqués mes propos. L’axe central s’applique aux courbes bleues et rouges, alors que l’axe à droite est attaché aux courbes vertes et violettes.
1. La croissance des licences/souscriptions (Bleu): REDHAT. Quel est l’impact sur la croissance de prix élevés ? On découvre en regardant la ligne bleue (des Vosges) que la croissance est nettement du côté du logiciel libre (15% pour REDHAT en H1, contre 3% pour VMWARE en B1). La tendance est aussi inquiétante pour la firme Californienne avec une décroissance plus proche d’une piste noire qu’une piste bleue, alors que la croissance de l’entreprise de Raleigh se maintient bien.
2. La croissance des services (Rouge). REDHAT. Même disposition pour les services d’accompagnement sur la ligne rouge. Une baisse continue coté VMWARE pour atteindre moins de 10% en 2016 (9% en D2), et un arrêt brutal de la croissance pour la formation autour de REDHAT (9% en H2). On peut aussi remarquer que les courbes sont synchrones pour VMWARE (en général le service accompagne la vente de licences), mais peuvent être décorellées dans le cas de REDHAT (l’acquisition de compétences peut accélérer ou freiner l’acquisition des souscriptions). C’est une deuxième imperfection du modèle libre, ou les clients une fois formés peuvent décider de ne plus recourir aux services du constructeur. La connaissance des codes sources autorise des décisions brusques de la part des clients, et génère donc de l’incertitude sur l’atteinte des chiffres.
3. L’EBITDA (Violette) : VMWARE. Malgré la baisse significative de la croissance, le résultat de VMWARE s’accroit constamment pour revenir au-dessus de 20% (20.8% en B18). L’augmentation des prix associée au contrôle des couts commerciaux permet d’atteindre des ratios de profits remarquables. Malgré la croissance, les résultats de REDHAT stagnent autour de 15% (13/4% en 2016 en F18). Au-delà du prix de vente que REDHAT ne contrôle pas, il semble que le marché adressable n’autorise pas une croissance suffisante pour augmenter les résultats.
4. Le « Return on Equity » (Verte): VMWARE. Quand la croissance est atone, il faut continuer à choyer les investisseurs en dopant le retour sur leurs investissements. Le critère qui mesure cette performance est appelée le ROE. Il rapporte les gains de l’entreprise sur la valorisation des actions. Un chiffre entre 15 à 20% par an est jugé très bon. Comme tout rapport, on peut améliorer le numérateur ou baisser le dénominateur. Le travail sur l’EBITDA (numérateur) par le management de VMWARE est remarquable puisqu’il atteint 19%. L’augmentation du ROE est aussi le fruit de rachat massif d’actions (dénominateur - 1,6b$ et -1,3b$ en 2016 et 2015 contre +300m$ en 2014). On peut légitimement se poser la question du futur quand seuls les ratios financiers sont remarqués, et que l’argent amassé est utilisé pour racheter des actions plutôt que d’investir sur des nouvelles sources de business. Vous objecterez que REDHAT présente depuis 2 ans un meilleur ROE que VMWARE (plus de 20% sur la ligne verte). Ce n’est pas parce que vous vendez des logiciels libres, que vous ne vous autorisez pas à jouer à l’apprenti-sorcier financier. REDHAT en 2015 a émis de la dette hors de la bourse pour racheter des actions, et a ainsi boosté son ROE (Ingénierie financière… quand tu nous tiens).
On comprend que la puissance des acheteurs joue un peu en la défaveur de VMWARE, mais pas de façon suffisante pour heurter à court-terme sa performance, et REDHAT bénéficie de la croissance des « clouds publics», mais pas assez pour dépasser son cousin. En fait, la bataille qui est en train de se jouer est liée à une dernière force, qui est celle des marchés. Où vont subvenir les énormes investissements sur le cloud et qui va en profiter ?
Investment « Power » :…. Posons la question à la manière du « Gartner Group », en utilisant un quadrant (pour exprimer une idée simpliste en prétextant d’une dose supérieure d’intelligence). L’axe vertical oppose les clouds privés et publics, et l’axe horizontal le logiciel propriétaire au logiciel libre. Plaçons ensuite quelques noms connus pour donner de la substance.
Figure 3 – Evolution du marché cloud et mouvements des acteurs
Comme dans la genèse, il y a un commencement, puis une histoire sans fin. Au départ, il y avait les Datacenters privés construits en priorité sur VMWARE, et ensuite sur MICROSOFT (à l’origine du tableau, si ce n’est du monde). Advint ensuite le cloud privé, où des acteurs comme RACKSPACE ou IBM ont tenté de capturer ou de conserver des clients en offrant un bon niveau de service à des prix plus compétitifs, s’appuyant sur du logiciel libre pour rationaliser les coûts. Surgit alors le cloud Public, mère de toutes les batailles, où des acteurs comme AWS, SOFTLAYER ont cherché (et continue pour AWS) a optimiser les coûts d’infrastructure dans une démarche utilitariste telle qu’elle entraine autant VMWARE que REDHAT (ou son porteur RACKSPACE) à utiliser la plateforme pour continuer de se développer. C’est l’avènement du cloud hybrid, système bâtard où tout est mélangé, ce qui incitent certains, comme DOCKER, à envisager des solutions de container qui tourneraient dans tous les environnements indépendamment des sous-jacents (public/privé, propriétaire/libre). MICROSOFT pour sa part continue son petit bonhomme de chemin, en créant sa propre offre publique avec AZURE, concurrençant à la fois VMWARE et AWS fort de la puissance de sa base installée et de sa suite Office.
La croissance des acteurs se trouve quelque part dans ce magma bouillonnant, mais il semble bien que l’effervescence découle des cloud publics, et sa mouture subordonnée, l’hybride. Quels moyens possèdent VMWARE et REDHAT pour exécuter des stratégies gagnantes sur ce nouveau terreau ?
Figure 4 – Capacité d’investissement entre VMWARE et REDHAT
En premier lieu, il convient de prêter attention à l’échelle (logarithmique en base 5 cette fois-ci) qui écrase les différences entre les courbes. Disons simplement que VMWARE produit en moyenne cinq fois plus de tout que REDHAT, même si les tendances sont identiques et définitivement à la hausse. Ceci démontre la bonne santé du cloud. Revenus (ligne bleue) et EBITDA (ligne rouge) traduisent la performance opérationnelle des deux entreprises, mais la capacité d’investissement est représentée par le « Free Cash Flow – FCF » généré (ligne verte) et la valeur des actions – « Equity » (ligne violette)
1. Free Cash Flow - FCF (Vert). EGALITE. Ceci représente la somme d’argent frais que l’entreprise génère et qui est disponible pour des investissements ou pour contenter les actionnaires (rachat d’action ou distribution de dividendes). Avec 675 M$ pour REDHAT et 2.28 Milliards de $ pour VMWARE en 2016, cela représente respectivement 31% et 33% du revenu. Le FCF est aussi la martingale des financiers pour prévoir les cours d’actions futurs, et donc la plus-value possible de nouveaux investisseurs qui sont prêts à investir dans les nouveaux projets de la direction
2. L’EQUITY (Violette) : VMWARE. La promesse de gains boursiers permet ainsi de lever de la dette pour investir sans avoir à payer des intérêts pour rembourser la mise. On s’aperçoit à la lecture des courbes que VMWARE fait mieux que REDHAT. L’ « equity » de VMWARE reste au-dessus des revenus à plus de 8 Milliards, alors que REDHAT croise négativement la courbe des revenus à 1.3 Milliards. La confiance de Wall Street reste du côté de VMWARE.
Quelle conclusion tirer de cette étude entre logiciel propriétaire et logiciel libre, et comment répondre au paradoxe, « La Liberté n’a pas de prix mais elle a un coût » ?
Figure 5 – Métriques financières entre VMWARE et REDHAT
En constatant que les stratégies des deux entreprises sont comme deux faces d’une même pièce, LE PRIX, contrainte par la pesanteur du marché a retombé sur pile ou face, alors que « Nul vainqueur ne croit au hasard » disait Nietzsche. Prix trop cher pour VMWARE qui obère la croissance, Prix trop friable pour REDHAT qui empêche son développement réel.
A l’heure où DOCKER s’interroge sur son modèle pour vaincre ses grands rivaux sur un marché cloud public qui explose, Peter Levine, Partenaire à Andreessen Horowitz propose une alternative, l’Open-Source as a Service (Open SaaS). Plutôt que de proposer des licences libres à des tiers, on propose un service libre qui s’appuie sur des licences libres pour en libérer les coûts tout en gardant la main sur les prix. N'est pas déjà ce que AWS ou GOOGLE ont commencé à faire...
quelle belle étude JC!!! (comme l'autre !?!?) je te retrouve bien là...de la méthode, de la précision et de la finesse!!! bon va falloir travailler encore l'usage du "tableur"😂
Director Global Alliances, Strategic GSIs at SUSE
7 ansUne dimension est la fiabilité d'une stratégie d'entreprise dans le temps. Quelle confiance peut on faire dans une entreprise, dans le fait qu'elle va continuer à apporter de la valeur à ses clients dans le temps. Cela passe par sa capacité à innover, à faire des alliances pertinentes, à se remettre en cause même sur ses produits "cash cow", etc... A ce jeu, il me semble que VMware domine plus sa stratégie que Redhat, ne penses tu pas? En tout cas, merci pour ton analyse, et encore une fois ton style, Jean-Charles!
Commercial Account Executive
7 ansTrès intéressant. Merci Jean-charles