Combattre l’inégalité au nom des différences

Combattre l’inégalité au nom des différences

J’ai assisté la semaine dernière à l’évènement annuel de WoMen@IBM France. La même semaine, le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes a publié un Guide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Un guide vraiment bien fait : simple, court, pragmatique.

Au cours de la matinée WoMen@IBM France, j’ai pu écouter plusieurs interventions, dont celles de Nicolas Sekkaki (président d’IBM France), Bénédicte Tilloy (DG RH et Secrétaire générale de SNCF Réseaux) et Patric Jean (auteur et réalisateur). Des échanges eux aussi de bonne qualité, en ce qu'il ont parlé de l’essence de la question de l’égalité femmes-hommes, notamment dans le milieu professionnel.

Quel est le problème ?

C’est sans doute la partie la plus facile de la question. Le point le plus célèbre est certainement l’inégalité de rémunération, qui fait qu’une femme est — suivant le périmètre des études — entre 10 % et 30 % moins payée qu’un homme au même poste. On vient ainsi de récemment passer l’equal pay day, c’est-à-dire le jour de l’année où un homme aura gagné depuis le 1er janvier la somme pour laquelle une femme devra encore travailler jusqu’au 31 décembre.

À côté de la question de la rémunération, on connait aussi le « plafond de verre », phénomène par lequel les femmes accèdent moins souvent que les hommes à des postes de responsabilité. Avec une variante « transverse » : le faible nombre de femmes dans les métiers techniques ou scientifiques. Ce qui rejoint d’ailleurs le sujet de mon article précédent : De la fierté d’être développeur à la volonté de transmettre.

S’ajoutent à cela la transposition dans le monde professionnel des inégalités qui se manifestent dans la société. Par exemple, la répartition inégalitaire des tâches domestiques qui se transpose en temps partiel contraint plus élevé chez les femmes. Ou encore les « comportements déplacés » des hommes à l’égard des femmes, du sexisme quotidien au harcèlement sexuel.

Pourquoi est-ce un problème ?

Une part importante de l’exposé de Patric Jean s’attaque à une question qui peut sembler aller de soi, mais qui mérite qu’on se force à lui proposer une réponse raisonnée : pourquoi voudrait-on résoudre ce problème ? Le processus de réponse à cette question devient d’autant plus intéressant lorsqu’on la décline comme suit : pourquoi, en tant qu’entreprise, voudrait-on modifier les (dés)équilibres qui existent depuis toujours ? pourquoi en tant qu’homme, voudrait-on modifier un fonctionnement qui a assis une domination multi-séculaire, et dont les changements ne pourraient que provoquer la perte de privilèges ?

Une version courte de la réponse fournie par Patric Jean (cette vidéo et d'autres donnent une version plus développée) est : parce que c’est juste. Foin de vision utilitariste, la réponse est : parce que l’égalité entre hommes et femmes est juste. Malgré le côté frustrant de cet argument si bref, qui frôle l’argument d’autorité, j’y retrouve une formulation positive de mon sentiment confus que « ces situations inégalitaires, c’est simplement débile ».

Nicolas Sekkaki donne une vision plus détaillée du même argument : se sentir bien avec soi-même. Il élargit cette idée à l’entreprise, dont on ne suppose généralement pas qu’elle soit sensible à un argument de justice : il faut résoudre le problème des inégalités parce que cela améliore le fonctionnement des groupes, professionnels en l’occurrence.

Il explique cela de façon intéressante, en établissant un lien entre les diversités visibles et invisibles, externes et internes — les termes sont de moi. Les diversités visibles, externes sont le genre, la couleur de peau, l’âge, etc. Les diversités invisibles, internes sont les différences de personnalité, de sensibilité à telle ou telle chose. Un groupe fonctionne mieux s’il est riche de diversités invisibles, internes. Mais il y a un lien, même s’il n’est pas direct (surtout pas !), entre les diversités externes et internes. Ainsi, favoriser les diversités visibles au sein d’un groupe, d’une équipe, d’une entreprise, renforcera les diversités invisibles et enrichira ces groupes.

Au passage, c’est précisément le fait que ce lien existe stochastiquement plutôt que bijectivement, au niveau des groupes et non des individus, qui permet d’une part d’échapper à l’injonction d’uniformité entre hommes et femmes, d’autre part de lutter contre les stéréotypes de genre. C’est aussi ce qui motive le titre de cet article : c’est parce que nous sommes tous différents que nous devons tous être égaux.

Comment s'y prendre ?

De nombreux témoignages relatent au cours de cette matinée des actions efficaces, qu’il s’agisse de sensibilisation, de formation, ou de remédiation. À titre d’exemple, une participante cite l’accord sur l’égalité professionnelle signé chez Total en mai 2010, dont une disposition fut que la paie d’octobre 2010 a rectifié les écarts de salaires injustifiés entre hommes et femmes.

Cet accord fait notamment suite à la loi du 23 mars 2006, comme la publication du Guide que je cite plus haut est un résultat de la loi du 4 août 2014, elle-même une conséquence d’une recommendation européenne de 2008. Car il semble aujourd’hui admis qu’une action politique directive est nécessaire, tant que la masse critique nécessaire à une amélioration spontanée n’est pas atteinte.

Et lorsqu’une volonté politique se manifeste à chaque niveau, de l’État à l’équipe en passant par l’entreprise ou le département, alors souvent les membres du groupe adhèrent à la démarche de réduction des inégalités. Bénédicte Tilloy nous a ainsi fait part d’une action de sensibilisation d’envergure au sein de la SNCF, dont les effets ont pu être ressentis jusqu’aux conducteurs. Faut-il en conclure que les gens sont moutonniers, dans un sens comme dans l’autre ? On peut être cynique (les gens sont des veaux) ou rousseauiste (ils ont un bon fond qu’il suffit de réveiller), le résultat est là : quand le chef donne le ton, dit explicitement que tel comportement est inacceptable, ou fixe un objectif positif, les équipes suivent la plupart du temps.

On retrouve ici, dans les démarches de résolution, la dualité présente dans le problème lui-même. Le problème est à la fois une question de comportement personnel et une question de société. La solution vient tant d’une attention personnelle que d’une action de groupe. Nicolas Sekkaki a relevé qu’en la matière, « le bon sens ne fournit pas forcément les bonnes solutions. » Sa règle empirique est que tout groupe qu’il constitue doit compter au moins 30 % de chaque diversité. Il explique qu’il prépare cela en amont, en faisant en sorte que son « vivier » de talents soit suffisamment divers pour lui permettre de respecter sa propre règle.

Et maintenant…

Il s’agit donc, lorsqu’on dirige une entité comme dans son quotidien individuel, d’une part de s’observer pour détecter les occasions où nous sommes « défaillants » : victimes des stéréotypes, par exemple. D’autre part de saisir — voire de provoquer — les occasions d’adopter une démarche volontariste.

D’ailleurs c’est bientôt Noël, alors voici une petite BD de Chris Hallbeck pour le plaisir :

Laurence Lebourdais

AUTEUR SCENARISTE MULTIMEDIA - Conception Rédaction Senior Freelance - Stratégie - French consultant

9 ans

Super article. Bravo. En plus, j'ai appris un nouveau mot intéressant : "stochastiquement". Je ne sais pas si je vais avoir beaucoup d'occasions de l'utiliser en soirée, mais je suis déjà dans les starting blocks. Je n'ai plus qu'à me trouver des amis matheux...

Contente de le savoir !

jacques vermeulen Jacques Alain

strategic & business development manager allan griffin jacques.a.vermeulen@gmail.com

9 ans

Raison pour laquelle j'ai toujours refusé le statut de salarié, ne suis payé QUE sur mes résultats,ceci depuis 45 ans, dont 5 ans à N.Y., 4 ans en Chine. Le partage d'une certaine éthique reflète votre image et votre personnalité. If you pay peanuts, you get monkeys, of course.

Emmanuelle Jossot

♟️ Stratégie et gestion des risques RH | ☢️ Gestion de crises | ☀️Accompagnement des transformations | 🚀Transformation de mindset / Coaching

9 ans

Bonjour, merci pour cet article. Et si le problème était ailleurs? Le seul point gênant, IMHO, est que vous parlez, vous aussi, des diplômes pour justifier la rémunération alors qu'en réalité, ce qui devrait compter, ce sont les résultats obtenus. Malheureusement, avec cette idée de classes sociales dictées par la culture du diplôme, on s'éloigne des objectifs de compétitivité de l'entreprise et on entretient le système actuel, quelque soit les bonnes mesures contraignantes imposées aux entreprises.

Bruno Berstel-Da Silva, I don't think Chris Hallbeck is seeking for glory...Otherwise he would do another job!

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