Comment "changer le monde" ?
Lisa, la fille de Homer dans Les Simpsons me fait penser à ma génération. Nous ressentons tous les jours que quelque chose ne tourne pas rond sur cette planète : pour le ressentir davantage, il suffit d'allumer la télévision.
La théorie de Raskolnikov
Comme tous les jeunes contemporains, Raskolnikov, personnage principal de Crime et Châtiment de Dostoïevski s'attaque aux grands problèmes de son temps. Il traite des hommes et de la société. Selon lui, il existe deux catégories d'humains : les supérieurs et les inférieurs. Les supérieurs sont brillants et dignes et les inférieurs sont inutiles et mauvais. De fait, les Napoléons devraient avoir un droit de vie ou de mort sur les Quasimodos. " Quelle horrible théorie ! " direz-vous. Mais c'est le fruit d'un cynisme qui n'est pas si rare que ça. C’est alors qu’un soir, dans un bar, un autre étudiant évoque une théorie similaire en présence de Raskolnikov. Il propose indirectement à Raskolnikov, un être inférieur précis à effacer et l'occasion de prouver qu'il appartient à la caste qui détient le pouvoir, ceux qui ont le courage de se baisser pour le ramasser. Il est inutile de préciser que je ne recommande pas de devenir un Raskolnikov.
La culture et la conversation
Raskolnikov a passé de nombreuses journées tout seul, dans une chambre sale et étriquée. Il a eu tort de s'isoler. Jordan Peterson (cet article est la preuve que je suis un grand fan) me souffle que la discussion permet de construire des vérités meilleures lorsque les amis qui la mènent s'écoutent et disent la vérité. Mais puisqu'il n'y a pas de vérité absolue, qu'est-ce qu'on reproche à Raskolnikov ? Pourquoi les Raskolnikov n'auraient-ils pas le droit d'apporter leur contribution pour construire un monde meilleur ? Le problème c'est que Raskolnikov est un radical qui a la prétention de réinventer le monde. L'espèce humaine existe depuis si longtemps dans un environnement si chaotique que, si elle a réussi à survivre, c'est grâce à des choix qu'elle a institutionnalisés et qui ont un sens que personne ne comprend suffisamment. Je ne prétends pas que ses choix étaient bons. Mais on peut suspecter un bien fondé dans les cultures et faire l'effort de les interroger, humblement.
Recommandé par LinkedIn
Une raison de vivre
Pourtant, j’ai aussi le sentiment qu’il faut à tout prix conserver cette envie de changer le monde. Autrement, il peut arriver de se sentir inutile. Des pulsions destructrices peuvent accompagner le sentiment que la vie n’a pas de sens. Je ne les recommande pas. Ce que je prétends, c'est qu'inévitablement, la vie vient avec son lot de souffrances : avoir pour but le bonheur est naïf et s'en rendre compte tard peut être catastrophique. Un engagement pour la famille, l’être aimé, la communauté, la nation, la charité, la science, la planète etc., formulé comme un idéal, de telle sorte que la vie en devienne une continuelle réalisation, pourra peut-être justifier l'acceptation du fardeau existentiel.
S'engager pour le monde
Le monde a besoin de nous pour le sauver parce que les Raskolnikov ont tôt fait de passer à l’action. Ils ont déjà agi à grande échelle : il suffit de regarder le siècle dernier. De plus, comme le suggère la seconde loi de la thermodynamique, l’existence humaine est créatrice de désordre. On peut le voir littéralement ou de manière abstraite. C’est toute l’idée du péché originel. Nous sommes incapables de ne pas faire le mal. En contrepartie, il serait souhaitable que nous soyons incapables de ne pas faire le bien. Mais, comment identifier le microcosme dont on pourra s’occuper ? Je pense que la génétique, la famille, l'environnement, l'éducation, les expériences, les lectures, etc. conditionnent nos croyances qui finissent par faire partie de nous. C'est là qu'il faudra chercher les maux qui nous atteignent suffisamment émotionnellement pour nous motiver à nous mettre en action. Ladite mission est susceptible de se transformer au fil du temps : c'est le phénomène de l’évolution et c’est grâce à ça que nous sommes l’espèce que nous sommes aujourd’hui.
Construire la vérité
Il faut des gens pour imaginer, créer, construire, préserver, progresser, anticiper, guérir, et que ceux là travaillent harmonieusement pour faire face aux destructeurs. Pour devenir un destructeur, un chemin facile est de refuser de composer avec les autres et de ne pas sérieusement chercher la vérité. Un autre, caché et plus vicieux, c’est d’être obsédé par une théorie qui s’oppose en tous points à la culture et de la mettre trop hâtivement en application. Si on veut tout changer, il vaut mieux avoir de bonnes raisons. Il faudra prouver qu'on a déjà tout compris du système précédent, et qu'on a cerné tout l'impact qu'il a sur la société. Dans tous les cas, je pense qu'on peut effectivement avoir l'intuition de la nécessité du changement d'une chose particulière qu'on a bien comprise et dont on maîtrise les paramètres. Ensuite, d'autres personnes auront probablement un avis contraire qu'il faudra vouloir sérieusement écouter. Ecouter et risquer d'avoir tort et d'être transformé en une personne nouvelle. Evoluer pour la survie de l'humanité.