Comment des employés de l’ONU ont-ils pu participer aux attentats du 7 octobre en Israël?


Isabelle Lasserre

Le Figaro

31/01/2024


ANALYSE -

La tempête qui s’est abattue sur l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens grossit de jour en jour. La Suisse d’abord, puis les États-Unis suivis par l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie, le Canada, la Finlande, l’Australie, le Japon, l’Autriche et l’Estonie ont gelé leur financement de l’UNRWA, dont une dizaine d’employés sont accusés d’avoir participé aux attentats terroristes du 7 octobre.

Mais pas encore la France, qui constitue le 6e plus gros contributeur de cette agence de l’ONU dont le chiffre d’affaires de 1 milliard de dollars par an est alimenté à 95 % par des pays occidentaux, notamment européens. Paris, qui a versé 60 millions d’euros à l’UNRWA en 2023, évoque une affaire d’une «exceptionnelle gravité». Mais la France, qui n’avait pas prévu de nouveau versement au premier semestre 2024, a décidé d’attendre le résultat de l’enquête avant de décider «le moment venu, de la conduite à tenir».

Les soupçons qui pèsent sur la neutralité de l’agence des réfugiés palestiniens avec le Hamas ne sont pourtant pas nouveaux. Depuis le 7 octobre, l’organisation indépendante UN Watch, basée à Genève, a régulièrement dénoncé le comportement d’enseignants de l’UNRWA, qui auraient, sur les réseaux sociaux, célébré les pogroms, incité à l’exécution d’otages et qualifié les terroristes du Hamas de «héros». Des caisses de l’agence onusienne remplies d’armes auraient aussi été trouvées dans des maisons privées au nord de Gaza.

Les accusations sont antérieures aux massacres d’octobre. En 2022, un rapport d’UN Watch alertait déjà sur le comportement de 120 professeurs de l’UNRWA, qui glorifiaient les attentats terroristes et faisaient l’apologie de Hitler, à Gaza, au Liban, en Syrie ou en Jordanie. Depuis plusieurs années, le Hamas est soupçonné de détourner une partie de l’aide humanitaire reçue par l’UNRWA et d’entreposer des armes dans ses écoles.

UN Watch a consacré onze rapports accablants en dix ans sur les ambiguïtés et la complaisance de l’agence vis-à-vis du mouvement terroriste. Selon certaines informations, un quart des employés de l’UNRWA, qui sont majoritairement palestiniens, entretiendraient des liens avec le Hamas. Le commissaire général de l’agence, Philippe Lazzarini, a évoqué des «brebis galeuses». Elles ont depuis été licenciées.

«Mais il ne s’agit pas de quelques cas isolés. Cette agence a un problème structurel, philosophique et idéologique. Le soutien au terrorisme et l’incitation à la haine en découlent de manière logique, car le problème est plus profond», affirme Simone Rodan-Benzaquen, la directrice Europe de l’American Jewish Committee (AJC). Créée pour aider les réfugiés palestiniens après la guerre israélo-arabe de 1948, l’UNRWA s’est transformée en une agence dédiée aux réfugiés palestiniens à qui elle enseigne, selon un diplomate français, «l’idée que la Palestine s’étendra un jour “de la rivière à la mer” et que l’État juif est voué à la disparition».

Au lieu de servir la «solution à deux États» défendue par les Occidentaux, l’agence contribue, selon ses détracteurs, à la radicalisation du conflit. «L’UNRWA est plus qu’une anomalie humanitaire, c’est le reflet d’une politique schizophrène, où l’UE, les États-Unis et le reste de l’Occident, tout en prônant la coexistence entre deux États, financent une entité qui nourrit le conflit et le radicalise» poursuit Simone Rodan-Benzaquen.

Le problème dépasse l’agence dédiée aux réfugiés palestiniens. C’est l’ONU tout entière qui est critiquée par Israël et une partie de ses alliés occidentaux - qui la financent à hauteur de 75% - pour ses «prismes idéologiques», selon les mots d’un diplomate, dans les conflits actuels. Dans le collimateur, Antonio Guterres, le secrétaire de l’ONU, qui a «condamné» les massacres du Hamas mais en rappelant surtout qu’ils «ne s’étaient pas produits en dehors de tout contexte».

Depuis, il plaide pour un arrêt des combats à Gaza, même si cela doit jouer en faveur du groupe terroriste… Pendant la commémoration de la Journée de l’Holocauste, la semaine dernière, il a évoqué la Shoah sans jamais mentionner les victimes juives, ni désigner les bourreaux nazis. Quelques jours plus tôt, on l’avait vu serrer la main de Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères d’un régime coupable, a minima, de crimes de guerre en Ukraine. Avec son Conseil de sécurité paralysé par les veto russes et chinois et son essence remise en question ou détournée par de nombreux pays du Sud, les Nations unies sont en panne. «C’est le système international dans son ensemble qui est brisé. Le problème, c’est qu’on n’en a pas d’autre», commente la directrice Europe de l’AJC.

Le relativisme, les accusations inversées, le fait de mettre sur un même plan au Proche-Orient, sans les hiérarchiser, les attaques barbares d’un groupe terroriste et la réponse de l’armée d’une démocratie qui exerce, de manière musclée certes, son droit à l’autodéfense, sont aussi les réflexes politiques de nombreuses ONG. Certaines, comme Amnesty International, sont accusées de complaisance vis-à-vis du Hamas, considéré non comme un mouvement terroriste mais comme un «groupe armé». Amnesty avait déjà dénoncé, dans un rapport jugé «scandaleux» par Kiev et certains de ses alliés européens, les pratiques militaires des Ukrainiens, accusés de mettre en danger les civils…

«La dérive des ONG ne date pas d’hier. Elle dure depuis plusieurs décennies. La culture néomarxiste et postcoloniale, voire même parfois woke, de certaines ONG s’exprime de plus en plus ouvertement», affirme un diplomate européen. Les dernières révélations concernant l’UNRWA créent un dilemme en Occident. Pour Antonio Guterres, l’agence onusienne «ne doit pas faire l’objet d’une punition collective», car l’action humanitaire est indispensable à Gaza. Mais comment continuer à financer une organisation si certains de ses employés sont liés au Hamas?

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