Comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer le climatoscepticisme
Peter Sellers, Dr Folamour, 1964

Comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer le climatoscepticisme

Il est facile de devenir climatosceptique, plus facile encore de le rester. La prise en compte du changement climatique implique de considérer comme vraies un ensemble de 7 propositions qui viennent de plusieurs disciplines scientifiques et intellectuelles : climatologie, physique, sciences de l'ingénieur, sociologie, psychologie, Histoire politique, Histoire des idées. Pour ne pas le prendre en compte, il suffit de contester, au choix, une seule de ces propositions.

Les 7 arguments

Prendre la mesure du réchauffement climatique et décider de participer à en limiter les effets suppose de s'entendre sur les affirmations suivantes:

  1. Le climat évolue vers une augmentation de la température moyenne
  2. Ce réchauffement est dû à une augmentation de la concentration en gaz à effet de serre (GES).
  3. Cette augmentation est causée par l'activité humaine
  4. La cause principale est l'exploitation des énergies fossiles : charbon, bois, gaz, pétrole et ses dérivés : essence, diesel, fioul de chauffage, kérosène etc.
  5. Les effets sont connus et désastreux : montée du niveau de la mer, inondation de New York, Miami, Ostende, difficultés d'approvisionnement alimentaire, famine, sécheresse, maladies, mouvements migratoires, conflits, guerre...
  6. Les remèdes sont connus : réduction de nos émissions de GES et en particulier du CO2 par une réorientation de l'économie, des politiques publiques et des pratiques individuelles : réduction du volume des déplacements, mobilité douce et multimodale, transports en commun, isolation des batiments, commerce local, nouvelles réglementations, promotion des innovations réductrices de notre empreinte carbone.
  7. Je dois et je peux agir à mon niveau dans mon mode de vie, mes choix de consommation, mon action politique et ma contribution au fonctionnement socio-économique de la société.

Les 7 contre-arguments

Choisissez la proposition qui vous convient le moins, vous trouverez rapidement à la contredire:

  1. Six ou sept petits degrés de plus n'auront pas un impact considérable sur notre mode de vie. Il y a toujours eu des variations de la température moyenne, et puis les espèces s'adaptent, on trouvera bien.
  2. Il peut y avoir d'autres facteurs comme les taches solaires
  3. 99% du CO2 qui se trouve dans l'athmosphère n'a pas été produit par l'humanité. Notre impact est très marginal.
  4. Le gaz est beaucoup moins émetteur de CO2 que le pétrole. Et les nouvelles SUV polluent beaucoup moins que les modèles anciens.
  5. Ca reste à prouver. Non au catastrophisme. Le futur est par essence indéterminé. Personne ne peut prédire ce qui se passera dans 30 ans, encore moins dans 100 ans. Et puis la technologie est là : les hollandais ont construit des digues dans les années 50, il est désormais possible de cultiver des légumes dans des fermes verticales climatisées. La technologie (ou la solidarité) nous permettra de nous adapter.
  6. La production de panneaux solaires, d'éoliennes, de vélos ou de voitures électriques génère aussi du CO2. Et puis on ne va tout de même pas vivre dans des grottes et s'éclairer à la bougie!
  7. A condition que ce soit basé sur une libre décision de chacun. Moi, par exemple, je ne bois que du jus de pommes local. Mais je dis non à l'écolo-fascisme. Et puis ce sont les X (au choix : les Chinois, les Indiens, les Américains) qui polluent le plus. A eux de faire le premier pas.

Je suis convaincu que vous vous êtes reconnu dans au moins un des 7 contre arguments. Et c'est pourquoi la grande majorité de l'humanité demeure aujourd'hui climatosceptique. On a beau expliquer. Il y a au moins un des 7 points qui ne passe pas. Et cela suffit pour inhiber l'action individuelle, contester les mesures publiques, retarder des changements dans les modes de consommation.

La raison peut en être déchiffrée dans l'Histoire des idées.

Le scepticisme

Il y a tout d'abord le scepticisme. Indépendamment de la question climatique, chacun éprouve à des degrés divers, au moins depuis Platon, des doutes sur les affirmations qui lui sont faites.

  • Vérité aujourd'hui, erreur demain
  • Vérité au-dessus des Pyrénées, mensonge au-delà
  • L'erreur est humaine
  • Les scientifiques ne sont pas d'accord entre eux
  • On entend tout et son contraire
  • Il y a toujours eu des gens pour penser que le monde allait s'écrouler demain
  • A tout argument s'oppose un égal argument.
  • Impossible de savoir avec certitude si...
  • Une telle catastrophe n'est jamais arrivé, je ne vois pas pourquoi ça commencerait
  • Méfions-nous des annonceurs de mauvaises nouvelles, en général ils ont quelque chose à nous vendre

Le climat

Le climat n'est pas la mécanique. C'est une science compliquée qui s'appuie sur un raisonnement statistique, or très peu de gens comprennent les statistiques. La plupart des promoteurs des mesures visant à limiter le réchauffement climatique à 1.5 degrés à l'horizon 2100 sont obligés de croire les scientifiques, de les suivre dans leurs conclusions, mais pas exactement dans leur leur raisonnement. La posture est plutôt celle d'une foi dans la science et une confiance dans un consensus entre 97% des scientifiques.

L'habitude

Le changement qui nous est demandé est assez colossal : manger autrement, se déplacer autrement, consommer autrement, se chauffer autrement. Modifier ses projets professionnels, ses vacances, ses loisirs, c'est beaucoup pour un seul homme.

Les symboles

Les mandataires politiques qui négocient les accords sur le climat sont filmés arrivant en limousines noires. Moi aussi je veux une limousine noire ! Je ne suis pas n'importe qui.

Le projet

Dans une société sans Dieu, le projet est la prospérité matérielle et ses attributs : piscine, automobile, villa de style fermette... Demander de renoncer à ça est aussi énorme qu'exiger une conversion à une nouvelle religion.

La peur

A mesure que la vérité gagne du terrain, on se rend compte qu'elle est terrifiante et le doute fait place au déni car le danger prend plus de place dans l'imagination que les propositions de solution ou de "limitation" qui sont avancées par les experts. Cette peur peut avoir un effet paralysant quant au projet d'action. Elle prend deux formes dans le discours public:

  1. Il est trop tôt pour agir : "Continuons à réfléchir, à attendre, ne nous précipitons pas, demandons-nous qui doit commencer, faisons confiance à la science future pour trouver des solutions. La fusion nucléaire en 2030 pourra résoudre notre problème énergétique." On trouve des adeptes de cette position un peu partout, y compris dans les rangs de l'élite technique et scientifique.
  2. Il est trop tard pour agir : "Il ne faut plus lutter contre le réchauffement climatique mais uniquement s'y préparer, s'y adapter en créant notamment des liens de solidarité." C'est la conclusion à laquelle aboutit la théorie de la collapsologie et ses variantes : "préparons-nous à la catastophe, car elle est inévitable."

Le résultat de ces deux postures est identique : l'absence de prise de décision effective quant à la mise en oeuvre immédiate de mesures visant à réduire mon impact sur le climat.

Que faire?

Si vous souhaitez devenir ou rester climatosceptique : rien. Continuez sur votre lancée. Vous êtes presque arrivé. Pratiquez l'ironie, profitez des débats publics pour faire valoir la puissance de votre sens critique et dénoncer les solutions "simplistes".

Si vous souhaitez non seulement réduire votre propre empreinte carbone et militer pour une action à plus grande échelle, mais aussi réfléchir à la manière la plus efficace de faire évoluer les mentalités, une des choses à faire est de comprendre les mobiles psychologiques, philosophiques et symboliques de l'inaction pour agir sur les freins un par un.

C'est à remplir cette complexe mission d'appréhender la psychologie, la peur et les symboles que s'appliquait Stanley Kubrick dans: Docteur Folamour ou : comment j'ai appris à ne plus m'en faire et à aimer la bombe.

NIZAR SAID

Business developer. Allier enjeux économiques, sociaux et environnementaux pour bâtir un modèle d’entreprise durable, désirable et rentable. Premier rendez-vous gratuit.

4 ans

Merci Thomas pour ce partage! il est totalement vrai que le sujet de climat restera toujours un sujet à discuter !

Amokrane Mariche Ⓜ

Consultant en Image de marque | Formateur LinkedIn | Conférencier 💎 Ma mission est de soutenir les entrepreneurs dans le développement des affaires et les professionnels dans l’avancement de leurs carrières 🚀

4 ans

Anne-Solène Rioult tu devrais lire ça :)

J'ai lu ton article il y a quelques semaines déjà. Tu tapes juste. J'y pense régulièrement tant cela vient percuter frontalement certaines de nos préoccupations. Adhérer au principe que l'activité humaine est pour une bonne partie du réchauffement climatique, et pour l'emballement des changements climatiques, est une chose. Renoncer à notre confort de tout instant pour participer à ralentir le processus, voir avoir l'ambition d'inverser la tendance en est une autre. Voilà un autre argument sceptique : et même si je réduisais mon emprunte de 95%, cela ne suffirait pas et je passerai pour un pigeon à renoncer à cette profusion de calories, de richesses, de confort pendant que d'autres profiteraient des resources à l'envie. Non, c'est tout le monde ou personne. Ou alors est-ce dans la catégorie du déni ? Et puis as-tu mis de côté sciemment le mobile économico-politique, le motif de la recherche du pouvoir et de la richesse personnelle ? Merci Thomas pour ce point de vu enrichissant.

Derine Alexis

Facilitateur-Formateur-Coach

5 ans

Salut Thomas, excellent article, cela peut être un socle de discussion pour notre projet 

Bérengère DEPREZ

Éditrice aux Presses universitaires de Louvain

5 ans

Touché, mon cher Thomas ! Pas mal du tout, cette synthèse. C'est de la vulgarisation au sens noble du terme, si j'ose cet oxymore. Je m'en vais partager ça à quelques connaissances.

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