COMMENT LA CRISE DU COVID-19 A  PERMIS AUX ARMATEURS 
D’ARPENTER LE CHEMIN DES AIRS ?

COMMENT LA CRISE DU COVID-19 A PERMIS AUX ARMATEURS D’ARPENTER LE CHEMIN DES AIRS ?


 "Celui qui commande la mer commande le commercecelui qui commande le commerce commande la richesse du monde, et par conséquent le monde lui-même"

Une citation de Sir Walter Raleigh au XVII siècle, montrant l’enjeu stratégique de la mer représentant 90 % des échanges mondiaux, grâce à l’évolution du transport maritime de marchandises au fil des siècles.

Cela emmène les États à apporter leur soutien aux compagnies maritimes quand celles-ci rencontrent des difficultés principalement financières et de positionnement sur le marché.

En effet, la crise des surprimes en 2007 et la dernière crise sanitaire liée au Covid-19 en sont des exemples concrets.

L’État français s’est porté garant à hauteur de 70 % pour un prêt de 1,05 milliard d’euros pour le géant maritime français CMA-CGM pour faire face à la pandémie.

Le rôle protecteur des instances étatiques vis-à-vis des compagnies maritimes est indéniable pour préserver leur santé financière.

Cette assistance perpétuelle des états soulève de nombreuses interrogations :

o  Le principe de la libre concurrence est-il respecté ?

o  Les États ne dépassent-ils pas leurs prérogatives initiales ?          

Le groupe maritime hollandais « Maersk » a dénoncé fermement ces aides, les jugeant : « totalement inacceptables », pour ces compagnies, qui n’ont pas généré de bénéfice depuis 10 ans, ciblant les compagnies maritimes asiatiques HMM et YANG MING.

Notons tout de même que de nombreuses compagnies maritimes ont eu une santé financière fragile malgré ces aides. Rappelons-nous de cet article de 2008 publié par le Monde : « le transport maritime connaît un coup de frein brutal ».

Le secteur a été frappé de plein fouet par la crise des surprimes de l’été 2007 entrainant un ralentissement de l’activité économique, suivi d’une baisse de la demande mondiale, allant à contre-courant des prévisions annuelles de 10 % du marché.

Par ailleurs, un marché en surcapacité dû à des navires de plus en plus grand, sur les 50 dernières années on est passé de 1.530 équivalent 20 pieds (TEU) en 1968 à 24.000 (TEU) en 2020. "Il est plus grand que la Tour Eiffel et plus large que l' Arc de Triomphe" disait Jacques R. Saadé, fondateur et pdg de la CMA CGM en parlant du Kerguelen.

En 2008 avant la crise des subprimes, les commandes de navires neufs étaient au plus haut soit 60 % de la flotte mondiale en activité. Laissant 11% de la flotte mondiale inutilisée, poussant ainsi les taux de fret au plus bas (prix d’un conteneur 20 pieds Europe-Chine de 1.400 $ à 1.100 $).

Les surcharges (General rate increase) des compagnies maritimes pour compenser la perte engendrée n’ont pas eu l’effet escompté. Les armateurs ont donc du prendre des mesures drastiques :

o  Annulation des livraisons de porte-conteneurs neufs.

o  Destruction des navires anciens.

o  Réduction de la vitesse des navires en navigation (slow streaming).

Cette situation a entrainé la disparition de la compagnie coréenne Hanjin Shipping et les fusions en 2018 d’autres compagnies maritimes (OSK lines + NYK) donnant naissance à Ocean Network Express. Ainsi la mise en place d’Alliances est devenue une nécessité pour réduire les coûts fixes exponentiels des armateurs.

En 2009 au premier semestre, l’endettement colossal de CMA-CGM :  5.6 milliards de dollars avec des pertes de 515 millions d’euros, montre la situation difficile à laquelle fait face la compagnie maritime. Nécessitant l’intervention de Bercy, afin de pouvoir bénéficier d’un crédit de 500 millions de dollars auprès des organismes bancaires.

Aujourd’hui, 10 ans après, les capacités de transport sont plus rares et les conteneurs aussi, faisant atteindre des niveaux records aux taux de fret (9.000 $ à 12.000 $ en fonction des trades loin des 2.000 $) : une situation favorable aux armateurs car une meilleure rentabilité et une meilleure marge. Cela concerne principalement les taux spots, qui représentent entre 25 à 35 % des contrats du marché.

Au deuxième trimestre 2021, CMA-CGM a ainsi réalisé un chiffre d’affaires de plus de 12.4 milliards de dollars avec un résultat net de 3.49 milliards de dollars. A l’image de Maersk deuxième compagnie maritime mondiale qui a multiplié par six ses bénéfices sur la même année.  

Le covid-19 a très fortement perturbé la chaîne logistique : les clients sont de plus en plus soucieux des délais d’acheminement et des surcoûts engendrés du fait de cette situation exceptionnelle.

Pour y répondre les armateurs renforcent leur offre « porte à porte » : en investissant ou en consolidant leurs activités dans le transport aérien de marchandises (ex : le secteur pharmaceutique). 

En 2020 selon IATA, la crise sanitaire a très fortement chamboulé le fret aérien, avec une baisse de 75 % du nombre de passagers. Ainsi les soutes des avions servant initialement à transporter le fret aérien ont été remplies de moitié par rapport à janvier 2019.

Une demande croissante, qui a poussé les compagnies aériennes à transformer les avions passagers en avions Cargo. Afin d’acheminer les masques et les vaccins en provenance d’Asie (Chine etc…). En 2021, du fait de cette nouvelle stratégie, la part du fret aérien dans le revenu global d’Air France est passé de 10 % à 30 %. Une manne financière qui attire également les amateurs.

En 2020, le fret aérien a représenté 65 % du chiffre d’affaires de Maersk contre 30% pour le maritime. L’entreprise est présente dans ce secteur depuis 1987 avec sa filiale « Star Air » au départ de l’aéroport de Copenhague au Danemark (une quinzaine de Boeing 767 pour le freight cargo avec 160 pilotes).

« Senator International » le nom d’une nouvelle acquisition, qui vient renforcer son offre. En effet, ce commissionnaire de transport allemand est spécialisé majoritairement dans le fret aérien des pièces automobiles urgentes (19 vols cargos par semaine).

Selon Andrea Gruber (IATA) en janvier 2021, la capacité cargo mondiale a augmenté de 29% par rapport à janvier 2019. Au vu de ces chiffres, Maersk poursuit ses investissements dans ce secteur avec l’achat de deux Boeing 777F neufs, qui seront livrés en 2024 et la location de trois Boeing 767.

La stratégie des compagnies maritimes est de contrôler directement 33 % de leur fret cargo aérien, en s’inspirant de la même stratégie, que celle menée dans le secteur maritime (mix entre navires en propre et navires loués), sous-traitant ainsi les 67% restants aux compagnies aériennes et aux opérateurs de vols charter.

Un modèle qui inspire de plus en plus de compagnies maritimes dont le géant français CMA-CGM avec sa nouvelle entité « Air Cargo », qui possède déjà quatre Airbus A330F en propre et deux Boeing 777F pour livraison au deuxième trimestre 2022, à cela viendra s’ajouter quatre A350F (le nouvel avion Cargo d’Airbus).

Par ailleurs, MSC première compagnie mondiale s’allie à Lufthansa pour acquérir une participation majoritaire d’ITA Airways, pour bénéficier des effets de synergie entre le transport de fret et de passagers. En effet, MSC s’inscrit ainsi dans la même stratégie que ses concurrents directs (Maersk et CMA-CGM).

Le nouveau mot d’ordre pour les compagnies maritimes semble « l’intégration verticale », dans un monde où les chaînes d’approvisionnement sont perturbées et les surcoûts de plus en plus élevés.

Allons-nous assister à la disparition de certains transitaires ou à une réorganisation du secteur ?   Du fait du contexte mondial de plus en plus compétitif, lié au covid-19 et à la guerre en Ukraine.


Sources :

1 / Usine Nouvelle : " CMA CGM obtient un prêt de 1,05 milliard d'euros garanti à 70 % par l’Etat français » Avec Reuters (Jean-Philippe Lefief, édité par Blandine Hénault).

2/ Le journal de la Marine Marchande : "Aides d’État : quelles compagnies y ont goûté ?"  par Adeline Descamps.

3/ Le Monde : " Le transport maritime connaît un coup de frein brutal" par François Bostnavaron.

4/ L'antenne : " 2008-2020 : deux crises, deux ambiances pour le shipping".

5/ L'antenne : « 2009-2018 : crise et restructuration de la ligne maritime régulière".

6/ L'EXPRESS : "Avis de gros temps sur le transport maritime ».

7/ L'EXPRESS : " Le plan de CMA-CGM pour éviter le naufrage".

8/ Le Marin : « Le chiffre d’affaires de CMA CGM en hausse de 77 % au deuxième trimestre ».

9/ Les Echos : « CMA CGM porté par la forte reprise du trafic et la hausse des taux de fret ».

10/ Les Echos : « Maersk se renforce dans le fret aérien avec ses bénéfices record ».

11/ Usine Nouvelle : « Malgré la crise, le fret aérien résiste ».

12/ Le journal de la Marine Marchande : « Lufthansa et MSC, ensemble pour acquérir la majorité d'ITA Airways » par Adeline Descamps.

13/ Figaro Economie : « La crise économique pèse sur le transport maritime de marchandises » par Fabrice Amedeo.

14/ Le Point Economie : « Fret maritime : inflation, tension logistique et bénéfices records » par Lancelot Bédat. 

Camille Bitsutsu Gielessen

Chargée de communication digitale chez Société Générale Luxembourg 📲

2 ans

Merci beaucoup Loïc pour cet article 🤩! C’est hyper instructif, je ne connaissais pas du tout ce secteur 😨

Filipe R. TATI

J'accompagne les entreprises dans leur transformation digitale avec des solutions IT innovantes et performantes 💡 #Cybersécurité #Réseau #SmartData #Cloud #EnvironnementDigital

2 ans

Merci pour la profondeur et l'analyse sur ce sujet !

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