Comment l’Europe est devenue le meilleur soutien de Kiev
Isabelle Lasserre
Le Figaro
21/07/2023
ANALYSE - Les uns montent lentement en puissance, tandis que les autres ralentissent la cadence. Depuis le début de la guerre, les États-Unis sont les principaux pourvoyeurs d’armes à l’Ukraine, tandis que les Européens, engourdis par la léthargie dans laquelle les avaient plongés les dividendes de la guerre et leur croyance en la «fin de l’histoire», ont mis longtemps à s’éveiller à l’idée qu’il faudrait réarmer le continent et sont restés longtemps aussi divisés sur la nature du soutien à apporter à Kiev. Sans l’aide américaine, les Ukrainiens n’auraient sans doute jamais réussi à résister aux Russes. Dix-sept mois plus tard, les vents soufflent-ils encore dans la même direction?
Depuis le début de l’année, les divergences européennes ont été réduites. La voix, désormais unique, se dit déterminée à aider l’Ukraine à obtenir une victoire sans ambiguïtés. Les uns après les autres, les pays les plus sensibles aux pressions russes, les plus souples vis-à-vis de Vladimir Poutine, ont renforcé leur soutien à Kiev et haussé le ton vis-à-vis de Moscou. En Italie, la première ministre, Giorgia Meloni, malgré une coalition de droite formée par des partis historiquement pro-russes, est devenue l’un des principaux soutiens de Kiev. L’Allemagne, longtemps considérée comme l’un des pays les plus réticents à s’éloigner de Moscou, a elle aussi infléchi sa position. Quant à Emmanuel Macron, qui en 2022 cherchait un engagement diplomatique avec Vladimir Poutine, il a clarifié sa politique russe à Bratislava en affirmant que la seule paix possible devait respecter le droit international et être choisie par les Ukrainiens.
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Tous ces pays se sont rapprochés des positions dures défendues depuis le début de la guerre par la Pologne et les pays Baltes, qui ont toujours eu raison sur la nature du régime russe. Avec retard, ils ont compris que la sécurité du continent européen passait par une aide à Kiev, et que la guerre menée par Moscou à sa frontière sud avait des répercussions bien au-delà de l’Ukraine. Alors que le défi paraissait impossible à relever, les économies européennes ont réussi à réduire drastiquement leur dépendance à l’énergie russe. Au niveau politique, plus personne n’appelle, en tout cas publiquement, à des négociations entre Kiev et Moscou.
Parallèlement, l’Administration Biden se montre de plus en plus prudente, surtout depuis les difficultés rencontrées par la contre-offensive ukrainienne. Elle est contrainte par trois impératifs: la politique intérieure américaine, la priorité accordée au défi chinois et la peur d’une confrontation directe avec Moscou. Le cœur du pouvoir américain est divisé face à la guerre en Ukraine. Le secrétaire d’État Anthony Blinken, francophone, francophile, attaché à l’Europe, plaide pour un soutien actif et de long terme à l’Ukraine. Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale, aimerait au contraire convaincre le pouvoir ukrainien de négocier. Il considère que la priorité de Washington n’est pas la Russie mais la Chine, et que les États-Unis ont besoin de toute leur énergie militaire et politique pour se préparer à la confrontation que beaucoup annoncent. «En révélant la faiblesse de Vladimir Poutine, la rébellion de Prigojine a donné un nouvel argument à ce courant, qui considère que l’Europe peut bien se débrouiller seule avec ce problème», explique un diplomate français. Quant à Joe Biden, il représente une ligne médiane entre ces deux courants.
Au sommet de l’Otan à Vilnius, le président américain a réitéré son soutien à l’Ukraine, assurant qu’il ne faiblirait pas. Mais c’est aussi Washington qui a douché les espoirs de Volodymyr Zelensky en lui refusant l’invitation officielle et le calendrier d’entrée à l’Otan qu’il espérait. Depuis le début de la guerre, l’Administration américaine, tout en fournissant la plupart des armes à Kiev, a ralenti les efforts de certains pays européens qui voulaient fournir, d’abord des chars lourds, puis des avions de chasse F16. Dans les rangs des républicains, la minorité demandant l’arrêt de l’aide à l’Ukraine grossit. Le sujet deviendra central en 2024, pendant la campagne électorale pour l’élection présidentielle. Donald Trump a déjà commencé la sienne, en accusant Joe Biden de risquer une troisième guerre mondiale en livrant à l’Ukraine des armes à sous-munitions. Il promet, sans dire comment, de mettre fin à la guerre en 24 heures.
Le réveil militaire des Européens est loin d’être suffisant pour qu’ils puissent prendre le relais des AméricainsAu fil des mois, les divergences entre les États-Unis, très éloignés géographiquement de la Russie, et les pays européens, qui resteront pour toujours ses voisins, se sont accentuées. Aujourd’hui, même le sens de la victoire ukrainienne a des significations, ou plutôt des nuances, entre les deux côtés de l’Atlantique. Pour les pays européens, tirés par l’est du continent, la victoire de l’Ukraine, comme la défaite de la Russie, doit être claire.
À Washington, on espère qu’une défaite militaire russe permette une sortie de crise par des négociations. Cet espoir est aussi partagé par Emmanuel Macron mais il est pour l’instant rejeté par Volodymyr Zelensky et ses alliés polono-baltes, comme par l’Italie et les pays du nord, qui considèrent qu’il ne peut y avoir de règlement tant que tous les territoires ukrainiens ne seront pas récupérés et que toute sortie de crise qui serait négociée avec Vladimir Poutine serait une chimère. À Vilnius, le président ukrainien a affirmé que la prudence de Joe Biden avait ouvert «une fenêtre d’opportunité pour négocier l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan par des négociations avec la Russie». Dans les mois qui viennent, les nuages pourraient bien venir de l’autre côté de l’Atlantique. Mais le réveil militaire des Européens est loin d’être suffisant pour qu’ils puissent prendre le relais des Américains.