Comment parvenir à juguler ses peurs ?
Du Yi Jing à Nietzsche

Comment parvenir à juguler ses peurs ? Du Yi Jing à Nietzsche

Il existe dans le Yi Jing un hexagramme de situation qui se nomme « S’entraîner au passage des ravins ». C’est l’hexagramme 29. Ce qu’en dit le texte : c’est un moment de confrontation à une situation difficile où il faut apprendre à ne pas se laisser entraîner par le vertige et l’angoisse. Les gouffres sont bien souvent intérieurs, or il existe un courant de confiance sur lequel il est possible de prendre appui afin de les franchir. Il s’agit de le trouver et d’éviter ainsi que le cœur ne se disperse. Il faudra alors agir, et répéter inlassablement ses efforts. De cette manière, la situation se révélera fertile. Vaincre sa peur en se forgeant dans l’épreuve amène à prendre conscience de ses capacités. 

Il se trouve que la pensée de Nietzsche est très proche de la puissance de cet hexagramme 29.

Pour ce philosophe l’existence n’est pas un trajet linéaire. Les pensées ont à voir avec l’évolution du corps (il est un des premiers à affirmer que l’on pense avec son corps – pas seulement des viscères et des os, mais aussi les perceptions, les rencontres, les expériences vécues etc.-). « Agir amène à se surpasser » (Jugement du 29). Le trajet est donc différent pour chacun de nous. Nietzsche parle de deux forces qui s’exercent en permanence en nous, intimement liées : la vie ascendante et la vie descendante. Les ravins... 

Ce que Nietzsche appelle la « volonté de puissance » (et qui a été si mal comprise), est en fait la volonté de la Vie, cette force incroyable qui fait que la plante se tourne et tend vers la lumière, vers le haut. La volonté de puissance, c’est cette petite plante qui pousse dans le ciment fendu. Le « Je pense » de Descartes (philosophie dominante) est remplacé par « quelque chose pense ». C’est la métamorphose des plantes, logique vitale (ou vitaliste), le « soi » créateur, l’énergie créatrice. 

Comment recouvrer cette force qui nous tire vers le haut, vers la lumière ? Par l’action quotidienne et répétée : « On sculpte sa propre vie » (comme l’eau sculpte la pierre), dit Nietzsche. 

Grande Image de l’hexagramme 29 :
L'eau s’écoulant de façon répétée arrive à tout
S’ENTRAINER au passage des RAVINS
L’Être Accompli ainsi
agissant avec une attitude continue
apprend et enseigne par la RÉPÉTITION

Faire de sa vie une œuvre d’art.… ! C’est en quelque sorte la « mise en forme » d’une pierre, à petits coups, à partir de son état brut. On dépasse ainsi ses ravins intérieurs, on parvient à les planifier, à se surpasser et on arrive à ce que l’on croyait impossible (par peur). C’est en quelque sorte une démarche, un passage initiatique pour apprendre à grandir, à prendre forme. On se forge l’âme par la répétition dans l’action quotidienne. C’est ainsi que la pensée se transforme, se métamorphose. C’est le « soi » créateur, c’est « se tailler une existence à ses propres mesures » car on ne peut pas vivre ce qu’un autre nous propose ou décide à notre place. Donner une forme, c’est « informer » : donner sens. Une forme qui nous est propre et peut donc perdurer tout en se transformant. 

Mais Nietzsche dit qu’il faut « le vouloir ». Or, le trigramme Kan (l’Eau, la Ravine, la terre qui manque sous les pieds) qui compose cet hexagramme 29 est lié en médecine traditionnelle chinoise au Rein qui est lui-même lié à la volonté. 

Accepter le vide pour y prendre appui, c’est savoir « unifier son cœur ». C’est accepter ce qui advient : c’est l’amor fati, le sain « dire oui » à la vie, au monde tel que nous le rencontrons, même dans les pires situations. Ne pas refuser les ravins mais s’y entraîner. Dans cette acceptation nous trouvons alors la possibilité de la troisième et dernière métamorphose (dans « Ainsi parlait Zarathoustra »), à savoir celle du Lion qui devient Enfant. 

L’Enfant qui est dans l’innocence du devenir, une pure potentialité aimant la vie. Alors, (pour ceux qui connaissent le Yi Jing), comment ne pas penser alors à l’hexagramme 25, « Spontanément » où l’on trouve immédiatement l’accord juste avec la vie, sans idées préconçues ? 

C’est pourquoi Nietzsche fustige ce qu’il appelle les « arrières-mondes », c’est-à-dire toute forme d’idéologie qui ne fait qu’accompagner la vie dans le déclin. 

J’ajouterai, puisque tout se tient, que nous retrouvons dans l’hexagramme opposé du 29, le 30, « Filet d’oiseleur » l’idée de l’éblouissement donnée par toute idéologie. Dans cet hexagramme, il est essentiel d’avoir une clarté intérieure, c’est-à-dire un regard délivré des influences et des illusions afin de pouvoir rayonner, éclairer et clarifier le dehors.

Dominique Bonpaix, mars 2020



Très beau texte, nourrissant. Dans quel texte peut-on trouver cette référence à la vie ascendante et descendante ?

En effet, les gouffres sont toujours à l'intérieur de soi. La plupart du temps le Yi Jing nous tire vers la lumière et nous amène à grandir à redevenir un enfant. Être en totale présence. Le vrai sens de spontanément. Ce qu'on vit actuellement est révolutionnaire. C'est emballant. Profitons-en.

Emmanuelle CASATI

HR Consultant & Experte Accompagnement de la Douance SPIRALE Conseils - Accompagnement à la prise de Décisions Stratégiques par les Arts Stratégiques Chinois // Région d'intervention : Ile de France et Rhône Alpes

4 ans

"S'entraîner au passage des ravins" ou comme l'écrit Nietzsche "ce n'est pas au premier coup d'aile que le papillon conquiert l'envol", Merci Dominique pour la lecture que tu nous proposes

Très beau texte Dominique. Merci

Serge Blanchard

Thérapeute Taoïste chez Les mains taoïstes

4 ans

Génial. Merci Dominique, quelle évidence !

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