Comment un patient considère-t-il son bras artificiel ?
Faut-il qu'il le voit comme un bras biologique pour se sentir bien avec?
C'est la question que doivent se poser les chercheurs qui innovent dans ce domaine, et c'est le sujet d'une conférence vraiment très intéressante que j’ai eu l’occasion de suivre ce printemps, même si je ne travaille pas dans ce domaine…
Il s’agissait de recherches sur “l’embodiment” ou l'intégration des prothèses pour les patients qui les porte. Autrement dit, c’est la capacité d’acquérir des informations à travers un objet externe, de la même façon qu’avec son propre corps. Jusqu'à présent, je croyais que plus le patient considère une prothèse artificielle comme son propre corps, mieux se passera son utilisation au quotidien. Je pensais même que c’était une chose essentielle. C’est aussi ce que beaucoup de scientifiques cherchent à accomplir, mais les travaux du groupe de Tamar Makin à l'UCL* présentés lors de cette conférence m'ont beaucoup étonnée et je les ai trouvés fascinants.
Pour commencer, on sait que le cerveau est un organe très “plastique”, ce qui veut dire qu’il peut se réorganiser pour s’adapter à de nouvelles conditions. On le sait tous, lorsqu’un sens ne fonctionne plus, les autres en sont décuplés. Dans le cas dont je parle, cela lui permet de s'adapter à la restauration d'un bras par exemple. Mais cela fonctionne à différents niveaux, et on peut même dire d’ailleurs que je suis en train d’utiliser cette fonction en ce moment même, en tapant mon texte sur un clavier AZERTY au lieu de mon habituel QWERTY...
Il faut également que la personne s’approprie la prothèse. Dans le cas d’un bras, on peut par exemple voir si la personne l’utilise naturellement en parlant, comme on le fait tous, même en parlant au téléphone. C’est ce qui a été fait par le groupe qui présentait son travail. Ils ont recruté des personnes portant une prothèse de bras, sans leur indiquer l’objet de leurs recherches, leur ont fait visionner un cartoon, puis leur ont demandé de le raconter. La plupart du temps, les personnes utilisent naturellement leur bras biologique, puis seulement lorsqu’ils sont enthousiastes ou que l’histoire devient vraiment entrainante, ils utilisent leur bras artificiel. Fait plutôt logique, ils ont remarqué également que plus la personne est habituée à porter et utiliser sa prothèse, plus elle l’utilise naturellement dans ce genre de contexte.
Enfin, nous parlions plus haut de l’intégration. Est-ce vraiment nécessaire?
Ces mêmes chercheurs ont fait une autre étude. Ils ont montré des images à des utilisateurs de prothèses: des images de mains, d’objets divers et des prothèses fonctionnelles ou cosmétiques (non fonctionnelles, mais très ressemblantes à un bras biologique). Pour vérifier les associations qui sont faites, ils ont observé les différentes zones du cerveau qui s'activent lorsqu'on voit ces images (une image d'un objet active une autre partie du cerveau qu'une image d'une main).
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Voici les associations qui sont faites chez des personnes “contrôle” versus des utilisateurs de prothèses.
Sur ces graphiques, on voit que pour une personne qui ne porte pas de prothèse, si elle est ressemblante à une main, elle y sera associée, tandis qu’elle sera plutôt un outil le cas échéant. Pour un utilisateur de prothèse, une main est considérée comme étant à part. Les prothèses se rapprochent plutôt d’un outil, que ce soit une prothèse cosmétique ou fonctionnelle.
Pour aller plus loin, ce groupe a fait appel à des utilisateurs experts de pinces ramasseuses de déchets. Pour ces travailleurs qui pourtant utilisent leur pince toute la journée, une main est considérée comme étant différente d’un outil, que ce soit leur outil quotidien, ou un autre. Mais malgré ce fait, ils se sentent parfaitement à l’aise lorsqu’ils l’utilisent.
⇒ Tout cela a poussé ces chercheurs à penser que la réappropriation d’une prothèse ne nécessite pas forcément une intégration stricte pour une bonne utilisation. En d'autres termes, un bras artificiel n'est pas forcément considéré comme un bras biologique, sans que cela soit un frein à son utilisation.
* Ces résultats ont été publiés dans l'article suivant : Maimon-Mor RO, Makin TR (2020) Is an artificial limb embodied as a hand? Brain decoding in prosthetic limb users. PLoS Biol 18(6): e3000729. doi:10.1371/journal.pbio.3000729