Comparaison des fonctions de paiement au regard de leur efficacité économique et sociale
Il existe beaucoup de définitions possibles de la monnaie. L'une des plus simples consiste à la définir comme une fonction de paiement. Nous savons le rôle essentiel de cette fonction pour tous les types d'échanges. Dans cette perspective, il est intéressant de se demander s'il existe des fonctions de paiement plus efficaces que d'autres au regard des objectifs économiques et sociaux des différents agents.
Pour répondre à une telle question, nous allons nous appuyer sur les travaux de Mr Ductor et de Mr Maudet sur les systèmes multi-agents. Ces deux chercheurs ont travaillé dans le domaine du Welfare Engineeering et les conclusions de leurs travaux sont extrêmement intéressantes. De tels travaux permettent de modéliser les relations contractuelles entre une multitude d'agents sous la forme d'un graphe afin de savoir quel serait le mécanisme de coordination qui serait le plus approprié pour réaliser une situation optimale.
Dans cette perspective, nous pouvons distinguer deux fonctions de paiement dont les effets sont différents, tant en terme économique que social.
La fonction de paiement compensatoire :
Principe : La somme de ce qui a été échangé entre tous les joueurs doit être égale à zéro.
Mr Maudet a démontré que la fonction de paiement compensatoire réalise l'optimum social et permet d'atteindre un maximum d'objectifs sociaux.
En langage économique, cela signifie la chose suivante : Cette fonction de paiement compensatoire fonctionne comme une balance comptable. Son objectif est l'équilibre général de tous les échanges. On peut donc l'appeler fonction de paiement consensuelle, car elle maximise à la fois l'utilité (la richesse de l'individu) et l'équité (la richesse du groupe).
Cette fonction de paiement compensatoire fonctionne comme un nombre rationnel. F(x) = A/B dans lequel A et B sont des opérations à équilibrer. On peut donc les représenter sous la forme de fractions ou de rapports entre deux quantités monétaires.
Ainsi des fonctions telles que :
Gain / Perte = 1
Hausse / Baisse = 1
Recette / Dépense = 1
Dépôt / Crédit = 1
Import / Export = 1
Excédent / Déficit = 1
Sont autant de fonctions de paiement compensatoires prenant la forme de grandeurs proportionnelles. Comme on l'a vu dans le précédent paragraphe, c'est de cette façon là également que se formalise le rendement (ce qui est très encourageant).
Les fonctions de paiement compensatoires sont des fonctions de paiement équilibrantes (face au déséquilibre, à l'inégalité et à l'injustice du monde) :
- Présentées sous la forme d'un rapport de valeurs (multiplication) leur résultat doit être égal à un. (coefficient de proportionnalité = 1)
- Présentées sous la forme d'une différence de valeurs (somme) leur résultat doit être égal à zéro. (solde des opérations = 0)
Un bon exemple de fonction de paiement compensatoire nous est donné avec les deux approches en opposition lors de la conférence de Betton Woods de 1944 visant à créer la nouvelle organisation monétaire mondiale. Le plan White soutenu par les américains préconisait un système monétaire international basé sur la concurrence des Etats dans lequel chacun doit maximiser ses exportations et minimiser ses importations afin de d'avoir des balances commerciales et des balances de paiement les plus excédentaires et les moins déficitaires possible. Il s'agit d'un jeu à somme nulle dans lequel il est structurellement impossible pour tous les Etats d'être en balance excédentaire et qui aboutit par conséquent à renforcer les inégalités de développement entre eux. On reconnaît bien là une logique de paiement transactionnel dans laquelle nous sommes encore totalement immergés actuellement. Face au plan White, il y avait le plan Keynes soutenu par les Européens, préconisant un système monétaire international basé sur la logique de compensation où les excédents des balances des Etats les plus riches serviraient à financer les déficits des balances des Etats les plus pauvres afin que tout le système soit à l'équilibre et que l'on réalise un optimum social planétaire. L'histoire n'a pas retenu le plan Keynes qui aurait pourtant permis de solutionner une infinité de problèmes, tel que celui de la dette publique et de l'augmentation exponentielle de la masse monétaire.
Dès lors que l'objectif de la compensation des opérations (équilibre général) devient la règle des échanges, alors la fonction de paiement compensatoire est efficiente avec n'importe quelle quantité de monnaie. En effet, ce n'est plus la quantité de monnaie échangée qui importe, mais la proportionnalité qui existe entre de telles quantités. Par conséquent, c'est le choix d'utiliser la fonction de paiement compensatoire qui autorise à travailler de façon cohérente avec un système monétaire infini. La fonction de paiement compensatoire admet le passage à l'échelle car elle est indifférente aux variations de quantités monétaires. Elle n'est donc pas susceptible de se bloquer elle-même en étant soumise à des variations de grandeurs importantes. Cela explique pourquoi Mr Maudet utilise des grandeurs monétaires infinies pour modéliser la fonction de paiement compensatoire sans que cela ne pose aucun problème. Cela explique aussi pourquoi dans les systèmes multi-agents, la clé de l'optimum social est le WelFare Engineering couplé à des protocoles de coordination qui permettent d'implémenter des évolutions de la société sans recourir à la monnaie.
2. La fonction de paiement transactionnel :
Principe : la somme de ce qui a été échangé par chaque joueur doit être égale à zéro.
Aristote fait de la justice commutative une base de l'échange. Il la représente sous la forme d'une simple égalité A = B. Ainsi un bien s'échange pour sa valeur en argent.
Dans le cadre de ce type d'échange bilatéral, chaque joueur ne regarde que son propre bien-être. Il est égoïste. Chacun ne regarde que sa propre fonction de préférence. Chacun essaie d'obtenir le maximum de richesses. Il y a donc des gagnants et des perdants.
Nash a démontré que ce type d'échange à lui seul ne permet pas d'atteindre l'optimum social. En effet, Nash a démontré que pour atteindre l'optimum social, chaque agent doit travailler dans son intérêt propre et dans celui de tout le groupe.
Mathématiquement, si les échanges bilatéraux ne sont pas rééquilibrés par un mécanisme de coordination (ou une règle sociale de redistribution) alors ils produisent des déséquilibres économiques, sociaux, politiques et écologiques croissants.
Il s'agit d'un système d'échange qui n'est pas convergent mais divergent car plus un individu s'enrichit plus il s'éloigne de tous les autres en terme de quantité d'argent. Il en résulte inégalités, injustices et violences.
Ainsi dans de nombreux Etats Africains, il arrive que le chef capte à lui seul 99% du budget de l'Etat. On a donc un individu qui fait une super-bonne transaction et qui empêche tous les autres de faire de bonnes transactions. De nombreuses fortunes en Russie et en Afrique sont nées comme ça, avec des transactions super-privilégiées entre l'Etat et un individu. Ainsi par exemple ces dernières années, de nombreuses fortunes africaines ont été poursuivies par les Etats suite à des changements de majorités politiques pour détournement d'actif public suite à des transactions trop avantageuses dans des concessions de champs pétroliers.
A contrario, si un Etat prend une loi sociale pour redistribuer la quasi totalité de ce que gagnent les individus, alors on a un système de type Etat-Providence dans lequel les individus doivent faire beaucoup de sacrifices sur leurs richesses individuelles. On voit qu'au delà d'un certain niveau de taxation c'est la révolution (comme en France) donc le système n'est pas non plus capable de passer à l'échelle. L'autre problème est que l'allocation des ressources fiscales n'est pas toujours optimal notamment s'il est réalisé par une autorité centrale. En effet, les agents sont la plupart du temps confrontés à des décisions arbitraires dont ils ne comprennent pas la finalité et qui les désavantagent dans la plupart des cas.
- On peut donc définir une fonction de paiement utilitaire comme celle dans laquelle un individu va maximiser la performance de ses transactions. (cette fonction de paiement utilitaire est majoritaire dans les opérations du marché privé et public).
- On peut définir une fonction de paiement équitable comme celle dans laquelle un individu va maximiser la performance des transactions du groupe. (cette fonction de paiement équitable représente toutes les politiques fiscales de redistribution écologique et sociale).
Dans tous les cas, on voit que de telles fonctions de paiement transactionnel ne sont pas équilibrantes et qu'elles ne permettent pas le passage à l'échelle, car elles se bloquent en cours de route (opposition générale de tous les acteurs au-delà d'un certain niveau de quantité monétaire). Il est regrettable de constater que à notre époque, toutes les décisions économiques et politiques sont fondées exclusivement sur des fonctions de paiement transactionnel. Ces fonctions de paiement sont pourtant les plus faibles et les moins structurantes. Comme elles se focalisent sur la maximisation des quantités d'argent, elles délaissent les questions de proportionnalité et ne permettent pas d'atteindre un optimum social. On ne peut pas leur appliquer un système monétaire infini. Ainsi, les fonctions de paiement transactionnel (les fonctions qui sont seulement utilitaires OU équitables) sont toujours des systèmes monétaires finis. Vouloir leur appliquer un système monétaire infini (comme sont tentées de le faire actuellement les banques centrales en faisant du Quantitative Easing pour relancer le système financier) c'est faire courir le risque d'un effondrement généralisé.
3 .Conclusion :
Il nous semble essentiel d'arriver à distinguer les fonctions de paiements, à les formaliser correctement et à savoir à quoi elles servent afin de pouvoir les implémenter correctement.
L'intelligence des fonctions de paiement donne une clef de compréhension et ouvre un immense espoir : au regard de travaux de Mr Ductor et Maudet, il semblerait que le système le plus efficient économiquement soit également le plus juste socialement.
C'est une conclusion très importante qui a été démontrée mathématiquement au travers des Systèmes Multi-agents et qui très inspirante pour le comportement des agents sociaux économiques (Ethique). Ca nous prouve enfin que l'Univers n'est pas si mal fait que ça.
Par ailleurs, nous pensons que la fonction de paiement compensatoire réalise l'échange circulaire. En effet, l'échange circulaire se distingue d'une simple transaction car il se fonde sur un système monétaire infini (qui autorise le recyclage de la valeur).
Au regard de la somme des déséquilibres et des injustices que connaît le monde actuellement (car il ne fait que maximiser séparément les fonctions de paiement transactionnelles utilitaires et équitables) il existe une multitude de cas d'applications possibles pour une fonction de paiement compensatoire dont la fonction rééquilibrante aboutirait à une amélioration du bien être de tous les acteurs économiques, sociaux, politiques et écologiques sans privilégier certains sur d'autres.
On pourrait parler à ce titre d'une monnaie de la justice sociale. Cette monnaie viendrait se loger dans les espaces vides et inoccupés du marché, dans les interstices des transactions maximisatrices, afin de corriger des déséquilibres économiques et sociaux constatés.