Danger sur la démocratie

Danger sur la démocratie

En quelques mois, nous avons vécu la prise d'assaut violente contre le capitole américain et le double appel à l'insurrection lancé par des militaires français. Cette situation est absolument inédite et elle témoigne d'un puissant mouvement de contestation et d'exaspération face à nos institutions. Les Etats et les gouvernements des pays occidentaux semblent ne pas comprendre que ce processus, entamé depuis longtemps à travers différentes vagues de protestations sociales de plus en plus violentes, devait être pris au sérieux. La réponse des gouvernants se cantonne depuis des années à des postures et des rodomontades qui n'entrainent aucun acte de transformation réelle et profonde.

Comme rien au fond ne semble devoir ni pouvoir changer, et comme nulle parole n'est entendue, c'est la violence qui une nouvelle fois devient la solution ultime pour se faire entendre. Mais la violence n'étant par définition porteuse d'aucun projet politique, elle menace de faire sombrer les pays dans l'anarchie et le chaos. Aujourd'hui ce n'est pas l'extrême droite qui malgré les apparences menace réellement notre démocratie et notre Etat de droit, mais c'est une anarchie diffuse qui se développe massivement grâce aux réseaux sociaux par lesquels les individus sont amenés à former des sociétés de convenance et à se murer dans des mondes parallèles porteurs de la seule vérité de leur groupe qui les coupe littéralement de tout bon sens et de toute connexion au monde commun où nous vivons.

Le plus grand ennemi du débat public, c'est bien le réseau social qui modèle une réalité sur mesure selon vos préférences pour vous faire croire que vous habitez un monde dans lequel tous les autres vous ressemblent... Ces mondes virtuels permettent de créer des formes de sociétés totalement factices basées sur des artefacts et un principe d'engagement minimum (le pousse bouton) qui éludent totalement les contradictions, les difficultés et la complexité inhérentes à toute vie sociale réelle. Le résultat de cela est une société totalement clivée dans laquelle les hommes et les femmes ayant des idées ou des valeurs différentes deviennent incapables de se parler, parce qu'il est devenu inconcevable que l'autre pense différemment de soi. C'est de la pensée unique à l'échelle individuelle, un magnifique système décentralisé d'aveuglement volontaire sur tout ce que l'on ne veut pas voir ni entendre.

Le sacro-saint principe de liberté d'expression s'est transformé depuis quelques années en un défouloir collectif où prédomine une émotion : la haine. Alors que les religions avaient fondé leurs principes sur le sentiment de l'amour (sans toujours le respecter), les réseaux sociaux sont les instruments de la colère et du défoulement. Ils permettent à un nouveau type de violence de s'organiser avec une efficacité remarquable. La prise du capitole par les soutiens de Donald Trump tout comme le projet avorté de prise de l'Elysée par les gilets jaunes ont reposé sur une mobilisation éclair relayée sur les réseaux sociaux. On pourrait penser que les réseaux sociaux permettent une prise de décision bottom up de type horizontal, mais en réalité il y a très peu de coordination entre les acteurs. C'est d''ailleurs ce qui les rend aussi imprévisibles et dangereux. Dans de telles formes de socialités peu structurées et fortement dégradées, c'est le tweet qui joue le rôle de mot d'ordre.

Il est indéniable qu'un profond mouvement de gouvernance horizontale se fait jour dans le monde. Face à cela, nos institutions vieillissante se raidissent en s'enfermant dans une conception de plus en plus verticale et centralisée du pouvoir. Une telle vision s'inspire directement de la monarchie dans laquelle l'élu est mandaté par le ciel pour devenir le représentant de Dieu sur terre. Cet isolement monarchique du pouvoir conduit au non renouvellement de nos institutions et des élites censées nous gouverner. Certes, l'élection au suffrage universel continue de donner l'illusion au peuple que c'est lui qui tient les rênes du destin national. Mais ce mode de désignation est largement manipulé par ceux qui l'utilisent afin de se maintenir au pouvoir. Depuis des années, le système électoral français est une répétition d'une même dramaturgie dans laquelle un candidat sélectionné au second tour affronte presque mécaniquement celui du parti d'extrême droite et l'emporte.

Des solutions existent qui permettraient un vrai renouvellement du personnel politique et des propositions politiques faites au citoyen. Mais cela se paierait au prix d'une perte de contrôle des personnes au pouvoir, ce dont aucune d'entre elles ne semble vouloir. La vérité c'est qu'on préfère garder un système électoral aussi imparfait soit-il que l'on connaît parfaitement bien et que l'on peut donc manipuler comme on l'entend, plutôt que d'introduire des procédures de vote plus rationnelles et efficaces mais qui ne seraient plus manipulables. Ayant créé il y a quelques années une société appelée Voxcracy qui proposait des procédures de décision non manipulables respectant tous les critères de rationalité d'Arrow, j'ai pu constater personnellement qu'aucune institution, qu'elle soit publique ou privée, n'accepte de franchir le pas vers une pratique plus éthique de la décision en intelligence collective. Le problème ne touche pas seulement les institutions publiques telles que les parlements, les gouvernements ou les villes mais également toutes les grandes entreprises - laboratoires, transporteurs, banques... Nous vivons dans un enfumage collectif, une philosophie du mensonge utilitariste dont le seul but est comme toujours le pouvoir et l'argent.

En terme de procédure, on peut avancer deux solutions qui permettraient de renouveler profondément le personnel politique et les offres politiques ou économiques qui nous sont faites. Assez curieusement, il semble qu'à l'heure actuelle aucune des ces solutions n'ait été introduites dans le système électoral d'un seul Etat dans le monde. Cela nous montre le chemin à parcourir pour que quelque chose change réellement au Royaume du Danemark.

  • La première solution serait de comptabiliser le vote blanc dans tout type d'élection. Le vote blanc permet en effet à n'importe quel électeur de rejeter l'ensemble de l'offre politique qui lui est faite. S'il atteint plus de 50%, le vote blanc oblige l'ensemble du système à se renouveler en rendant impossible la candidature des mêmes candidats ou des mêmes projets. Aujourd'hui, c'est l'impossibilité de contester l'offre politique qui produit un résultat forcé dans lequel un élu peut se retrouver au pouvoir avec 20% des voix. Cette contestation impossible permet aux mêmes personnes et aux mêmes projets de se maintenir indéfiniment au pouvoir, ad nauseam. Il nous paraît essentiel qu'à travers l'introduction du bulletin blanc, la question de l'approbation des électeurs au système soit posée préalablement à celle de leur soutien plus ou moins fort à un candidat de ce système. Si un Etat avait le courage de réaliser cette réforme des institutions, il est certain qu'il rendrait son système de suffrage beaucoup plus complet et représentatif.
  • La seconde solution concerne les Etats monarchiques, et ils sont nombreux (à commencer par le Royaume Uni). Dans de tels Etats, l'idée ne serait pas de supprimer l'institution monarchique, mais la dynastie monarchique dans laquelle le pouvoir se transmet de parent à enfant dans des familles royales qui se sont accaparées le pouvoir. L'idée ici serait d'introduire un procédé appelé stochocratie, ou gouvernement du hasard. Cela permettrait de désigner le nouveau roi par un tirage au sort non manipulable par les alliances et les tractations au sein de la population ou d'un groupe de personnes désigné. Et il pourrait en être de même dans une institution telle que la papauté qui fonctionne comme une Etat monarchique et dont on connaît les vicissitudes des votes en conclave. Le hasard organisé est un vide créateur d'une puissance infinie. Tout comme pour le bulletin blanc, il s'agit finalement de laisser des zones de vide par lesquelles l'institution toute entière se renouvelle. Aujourd'hui, notamment en Europe, nous souffrons d'un trop plein (d'histoire, de règles, de richesses) qui nous empêche de nous renouveler.

Comme nous l'avons mentionné au début de ce texte, le pire danger pour la démocratie occidentale ce n'est pas tant les partis extrêmes, mais c'est l'anarchie qui ces dernières années a pris de multiples visages : celui tout d'abord de Donald Trump comparable au redoutable Bouffon Vert de Marvel, celui d''institutions instrumentalisées par les lobbys et les intérêts privés prédateurs, celui de l'incompétence politique notoire (dans laquelle on pourrait ranger le Rassemblement National s'il parvenait à se hisser au pouvoir), celui du Geek déraciné dont le monde se réduit à l'écran de son ordinateur et qui ne croit plus en rien, celui de la plupart des communautés crypto (de type cyber punk), celui de terroristes divers et variés, celui des juifs ultra orthodoxes qui ne respectent aucune règle légale, celui des fondamentalistes musulmans qui veulent créer un Etat sans foi ni loi, celui des conspirationnistes de tout poil qui pullulent sur les réseaux sociaux... Au final toute personne qui n'a aucun respect pour le fonctionnement des institutions ni pour l'acceptation d'un ordre général qui serait la garantie du libre exercice de nos libertés démocratiques.

Superbe article Olivier, je rajouterais a tes propositions l'annulation de toute "grande école" ou business school qui ne sert qu'à la reproduction sociale, économique et intellectuelle par l'absence de compréhension et de respect de la différence.

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