Comprendre le déploiement de la télémédecine.

Le développement des nouvelles technologies et principalement de l'IoT viennent percuter de plein fouet tous les secteurs d'activité. Vu dans un premier temps comme de nouveaux gadgets technologiques pour les geeks, les usages qui émergent deviennent extrêmement prometteurs voire révolutionnaires dans certain secteur. La santé est un parfait exemple de cet état de fait et les solutions de télésanté ont obtenues de belles preuves de réussites ces dernières années. Alors, légitimement, on vient à se demander pourquoi un déploiement généralisé de ces solutions ne se fait pas plus rapidement. c'est le sujet que j'aimerai aborder dans ce billet.

Dans un premier temps, il faut bien rappeler que ce sujet est très vaste. Lorsque l'on parle de télémédecine, on doit bien garder en tête les domaines concernés:

• Le bien-être: la personne n'est pas malade mais va souhaiter prendre soin de sa santé. C'est le domaine par lequel les premiers objets de santé connectée se sont développés. Bracelets d'activité, coach sportif électronique, etc..
• La prévention: premier domaine qui pourrait être qualifié de "médical" où l'utilisateur peut présenter des facteurs de risques et va chercher à se suivre à l'aide d'objets connectés afin de limiter ses facteurs de risques et d'éviter de tomber de malade. On va commencer ici à déployer des stratégies médicales préventives pour suivre des facteurs de risques ou bien vérifier qu'ils n'émergent pas.
• La maladie: domaine qui relève du diagnostique puis du traitement. C'est un domaine médicale qui s'inscrit en réaction de symptômes développés par le patient. La télémédecine va ici adopter une toute autre stratégie pour venir faciliter le travail du soignant dans le traitement de la maladie ou dans le diagnostique.
• La maladie chronique: c'est un des premiers domaines qui a été identifié dans le cadre de la télémédecine à travers le télésuivi qui a pour vocation d'améliorer le suivi thérapeutique du patient et sa qualité de vie. La télémédecine s'attelle donc ici à fournir de la donnée de santé riche et au plus près du cadre de vie du patient afin d'améliorer les soins (et intrinsèquement de réduire les coûts pour la SS).
• Le suivi des conséquences d'une pathologie: durant ou après la maladie, le patient peut conserver des séquelles qu'il faudra suivre afin que sa santé ne continue pas de se détériorer. C'est le dernier domaine dans lequel la télémédecine va pouvoir fournir des solutions pertinentes.

Quand on a posé ce cadre fonctionnel global, il devient plus facile de comprendre que le déploiement de la télémédecine est un sujet vaste et complexe. Ce déploiement, pour réussir, doit réunir plusieurs éléments clés :

• une offre industrielle mature et certifiée: la chaîne de valeur pour couvrir les domaines fonctionnels décrits ci-dessus est, par nature, complexe mais surtout sujette à un cadre réglementaire strict (à l'exception du domaine bien-être). Les industriels doivent donc non seulement développer des produits innovants et fiables mais aussi les faire homologuer dans tous les pays où le déploiement est souhaité. Le suivi des pathologies implique souvent l'utilisation de nombreux dispositifs médicaux ce qui accentue la difficulté de proposer une solution de télémédecine complète en propre.
• un écosystème industriel opérant: La nature même des composants de télémédecine implique la mise à disposition de dispositifs médicaux (avec de nombreuses combinatoires), de logiciels communicants et de logiciels Métier et de services, et ce sur toutes les géographies concernées par le déploiement. Aucun acteur industriel ne possède ce genre de capacité en propre à ce jour. La télémédecine passe donc nécessairement par la mise en oeuvre de partenariats ou de consortium pour pouvoir délivrer la promesse. Cette mise en oeuvre est naturellement complexe car elle doit opérationnaliser une offre globale avec des building blocks de nature différentes fournis par des acteurs hétérogènes (ayant chacun son business model, sa culture et ses clients et son capacitaire).
• un écosystème "client" prêt: D'un pays ou d'une culture à l'autre, on observe ici de grandes disparités. La notion de client va également varier selon le domaine fonctionnel adressé: assureurs, professions de santé, entreprises du secteurs privé ayant des obligations sanitaires fortes, acteurs du domaine médico-social, etc... Lorsque l'on exprime cela, on doit mesurer le niveau de maturité de ces différents clients au niveau de leur propre business model et de leur gouvernance. Une transformation de l'écosystème client dans sa structure doit s'opérer pour rendre le déploiement possible.
• un écosystème "bénéficiaire" prêt: Là encore, si tout le monde admet que les solutions de télémédecine sont l'avenir de la santé, il existe de nombreux points à considérer. Lorsque l'on parle de télémédecine, on parle de personnes en situation de fragilité ou de dépendance. Il peut paraître évident quand nous ne sommes pas dans ces situations de dire que ces solutions sont l'avenir. En revanche, quand on se retrouve dans cette situation de fragilité ou de dépendance, est on toujours aussi catégorique? Ne souhaite-t-on pas la présence rassurante et sur demande d'une personne physique? On comprend donc ici aussi qu'il y a un changement à opérer dans les mentalités des patients et dans la façon dont on transforme le parcours de soins pour en faire un parcours de vie. Pour rendre la télémédecine naturelle pour le tout-à-chacun.
• un écosystème médical et social prêt: comme tous les domaines percutés par la transformation digitale, les résistances au changement sont fortes au niveau des individus, et ce, malgré les preuves aujourd'hui reconnues de l'efficacité de la télémédecine. Au delà des technologies, il faudra du volontarisme de la part des professionnels de santé pour que le déploiement puisse s'opérer. Pour cela, il faut qu'ils en deviennent acteur. Le système dans lequel ils évoluent doit aussi rendre les conditions favorables pour que cette acculturation se fasse. Je ne vais pas épiloguer sur la France mais notre système hospitalo-centré peut rendre les choses rapidement compliquées dans ce domaine.
• Finalement, un cadre législatif et économique favorable: Là encore, les pays qui auront compris l'intérêt de santé publique et économique de la télémédecine vont rapidement mettre en oeuvre ce cadre. Incitations économiques, prises en charge des téléconsultations, aides à l'investissements sont autant d'éléments qui vont accélérer le processus de déploiement et permettre une généralisation rapide et efficace. Très paradoxalement, ce sont les pays les moins industrialisés qui vont plus vite dans ce domaine quand la volonté politique est là.

La télémédecine peut donc avoir un avenir prometteur pour qui prendra en compte tous ces éléments. Pour garantir son succès, elle doit bien sûr offrir une approche centrée sur le patient et sa santé (en lui rendant le pouvoir dessus) et un cadre favorable de déploiement. J'espère à travers ce billet avoir pu vous donner quelques clés de lecture sur la complexité de déploiement de la télémédecine.

Je suis, bien sûr, preneur de vos commentaires et retours.