Compte-rendu Atelier EIFR du 16 avril 2019 : Fintechs, quelle règlementation adaptée pour l’innovation ?
Alain Clot, président de France Fintech
Les règles visent la protection du consommateur, mais aussi, de plus en plus, l’élargissement de l’offre de services financiers.
France Fintech n’oppose pas les deux conceptions de la réglementation, d’un côté le fait de traiter tous les acteurs sur un pied d’égalité (level playing field), de l’autre le fait de favoriser l’innovation en permettant à de jeunes entreprises de se soustraire temporairement à une partie des règles (sand box).
Aujourd’hui, la réglementation ne constitue plus en frein au développement du secteur des fintechs, mais au contraire un accélérateur. On voit notamment monter en puissance les regtechs, avec 1 milliard de dollars de fonds levés en 2018 et d’énormes investissements réalisés par les banques dans le domaine de la conformité (dans le domaine du KYC, pourtant hautement régalien, les banques font appel à des fintechs spécialistes de la réglementation). Parmi les autres domaines ayant le vent en poupe, on peut signaler le risque de contrepartie, analysé en ayant recours à l’intelligence artificielle.
La nature de la réglementation est aujourd’hui l’un des principaux critères de localisation des fintechs.
Le fait que l’Union européenne se soit dotée d’un cadre réglementaire solide et complet (avec par exemple la deuxième directive sur les services de paiement ou plus récemment le règlement général sur la protection des données) a pu constituer un frein au développement du secteur. Il s’agit aujourd’hui d’un actif, qui est d’ailleurs regardé de près dans d’autres régions du monde.
Pierre Bienvenu, ACPR
La régulation – terme à préférer à règlementation – vise l’équilibre entre la concurrence et d’autres impératifs, par exemple le fait de soutenir une révolution technologique aujourd’hui incarnée par les fintechs. Dans ce contexte, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) est favorable à une régulation adaptée.
Au cours des dix dernières années, durant lesquelles se sont télescopées les règles post-crise des subprimes et celles relatives à l’innovation technique, l’approche de l’ACPR a évolué, comme en témoignent la création, en 2016, du pôle « Fintech Innovation », le dialogue noué avec les acteurs du marché, ou encore le ralliement au principe de proportionnalité (qui est explicitement inscrit dans les textes).
Jusqu’ici, il semble que la régulation ait fait ses preuves. Mais parmi les prochaines questions à se poser figure celle relative au rôle des grands acteurs de la technologie (Gafa). On assiste en effet à un décloisonnement des services financiers et l’on se dirige probablement vers une recomposition des chaînes de valeur où les acteurs traditionnels de la finance n’assureraient plus que le portage du risque. Par ailleurs, désormais, une partie de la réglementation (protection des données, concurrence...) se trouve en dehors de la finance, ce qui nécessite notamment une collaboration entre superviseurs.
Nicolas Fleuret, Bertrand Aubry, Deloitte
L’innovation au service de la règlementation :
machine learning, intelligence artificielle et conformité
L’intelligence artificielle permet d’identifier des objets, d’analyser des textes, de transcrire et d’analyser la voix humaine et d’apprendre à des systèmes à améliorer leurs performances.
Elle commence à s’imposer en raison d’une plus grande disponibilité des données, cela à moindre coût, d’une meilleure connaissance de ces données, des progrès réalisés dans le domaine des algorithmes (dont un accès plus facile à des bibliothèques) et d’une appropriation croissante de la part des entreprises et des autorités.
L’intelligence artificielle constitue un phénomène nouveau pour ce qui est des usages. Parmi ces usages : l’optimisation et la simplification des processus, par exemple dans le domaine de la lutte contre le blanchiment, de la fraude, des abus de marché ou des sanctions internationales ; la connaissance du client (protéger le consommateur nécessite de déterminer le niveau d’informations qu’on lui doit) ; une meilleure adaptabilité aux scénarios de risque ; la veille réglementaire.
L’intelligence artificielle a par ailleurs des effets indirects sur la fonction « conformité » : elle catalyse la tendance au rapprochement entre la conformité et les autres métiers de l’entreprise et à l’émergence de nouveaux profils (autres que celui de juriste) dans les services chargés de la conformité.
Un exemple d’utilisation de l’intelligence artificielle : la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’efficacité opérationnelle est sensiblement améliorée dans la connaissance du client (KYC) et dans le traitement des alertes (elles sont immédiatement classées selon leur degré de criticité, avec des taux de prédiction élevés).
Valérie Dray, InCube
Yannick Grelot, Deecision
Valérie Dray et Yannick Grelot sont à l’initiative d’une alliance de cinq fintechs, WealthCOckpit, qui opère dans le domaine de la gestion privée. Ce regroupement d’entreprises a notamment comme objectif de proposer un ensemble de solutions homogènes permettant de piloter la relation avec la clientèle patrimoniale, mais aussi de mutualiser certaines ressources entre partenaires, d’accéder à un niveau de financement élevé ou encore d’assurer la souveraineté des données grâce au caractère européen de la plate-forme.
Les fintechs concernées sont InCube (coach en épargne), Deecision (solutions collaboratives décisionnelles), Budget Insight (consolidation de comptes), Monuma (blockchain dans le domaine des valeurs mobilières) et Prime Radiant (gestion personnalisée).
L’alliance WelthCOckpit intervient par exemple dans le domaine de la connaissance du client (KYC). Il s’agit de passer d’une logique cyclique (un KYC au premier contact, suivi de KYC à dates fixes) à une vigilance permanente, qui nécessite notamment de travailler avec un nombre de données beaucoup plus important et de récolter ces données dès avant le premier contact (on parle alors de know your prospect).
Olivier Vandenbilke, Yves-Marie Lecocq, BNP Paribas
L’innovation est depuis longtemps constitutive de la banque. Que l’on se souvienne des avancées opérées par le secteur dans la monétique bien avant l’avènement de l’Espace unique de paiement en euros (Sepa), du trading algorithmique utilisé sur les marchés financiers, ou encore de la personnalisation de la relation avec le client via le Minitel ou via les automates en agence.
Ce qui est nouveau, au chapitre de l’innovation, c’est d’une part la concurrence exercée par de nouveaux acteurs, les Gafa aux Etats-Unis et leurs équivalents en Chine, d’autre part les avancées techniques récentes (données de masse, intelligence artificielle, blockchain, cloud...), et enfin l’évolution d’un cadre réglementaire déjà très complet, que cela soit au niveau national, européen ou mondial.
La réglementation, nécessaire (lutte contre le blanchiment des capitaux, protection du consommateur, protection des données, lutte contre la fraude...), doit cependant être juste (tous les acteurs doivent être également responsables) et adaptée aux évolutions techniques et des usages. Pour répondre à cette double nécessité, une solution consiste à privilégier la soft law. Dans le domaine de l’intelligence artificielle par exemple, on peut se référer à des rapports récents de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Pour les banques, la voie est étroite quand il s’agit d’innover : à la pression exercée sur les marges s’ajoutent les coûts élevés liés à la réglementation, aux infrastructures et aux données.