Confiance en soi - Je suis (une femme), donc je doute
Seules 60 % des femmes déclarent avoir confiance en elles (contre 83 % des hommes), la prise de risque est synonyme d’angoisse pour 80 % d’entre elles (contre 71 % des hommes)… Sur le marché du travail, on a coutume de dire que les femmes attendent d’avoir 120 % des compétences pour postuler à un emploi tandis que les hommes se contentent de 50 ou 60 %. Mythe ou réalité ? Les femmes auraient-elles aussi peu confiance en elles qu’on le dit ?
Frustration. On cherche souvent à expliquer le fameux plafond de verre par des raisons culturelles, des discriminations sexistes, des carrières interrompues par les congés maternité… Et si c’était aussi le manque de confiance en soi, cette force invisible et sournoise, qui freinait les carrières et gelait les salaires des femmes ?
Ce phénomène porte même un nom : le confidence gap, c’est-à-dire l’écart de confiance en soi qui sépare femmes et hommes sur le marché du travail. Persuadées d’être moins compétentes que les hommes, nombreuses sont celles qui n’assouvissent pas leurs ambitions trouvant mille et un prétextes pour ne pas se lancer. « Je n’y arriverai jamais, je ne suis pas à la hauteur, je n’oserai pas », pensent-elles… A ce manque de confiance se mêlent perfectionnisme, peur de l’échec, autocensure et parfois « syndrome de l’imposteur ». Auteures du best-seller « The Confidence Code », les journalistes américaines Katty Kay et Claire Shipman ont découvert d’importantes « zones de doute sur soi » chez de nombreuses femmes de pouvoir. Elles en sont sûres : « On est passé à côté d’un point crucial pour justifier notre incapacité à rompre le plafond de verre : le manque aigu de confiance en soi des femmes. »
« Ne fais pas ton intéressante ! » Si, en France, les études et données chiffrées manquent encore, le constat est plutôt bien partagé. 95 % des clientes de Chine Lanzmann, coach et formatrice en leadership au féminin, viennent la voir en lui disant : « Je n’ai pas confiance en moi. » Frustrées dans leur vie professionnelle, elles ont entre 35 et 40 ans, un projet en tête et ne comprennent pas pourquoi elles n’osent pas le réaliser. Pour Chine Lanzmann, la cause principale de ce manque d’assurance reste la différence d’éducation : « Elles sont nées dans un monde où on n’élève pas de la même façon une petite fille et un petit garçon. » Nombreuses sont celles qui lui rapportent cette réprimande qu’on leur a rabâchée enfant : « Ne fais pas ton intéressante ! »« A un garçon, on va plutôt dire “sois fort !”, à une fille “sois parfaite”, “fais plaisir”… On a toutes reçu ça inconsciemment, note la coach. Les femmes tombent souvent dans le piège de la bonne élève, elles pensent qu’il suffit de faire bien son travail pour réussir ; elles ne vont pas se mettre en avant, entretenir leur réseau… Se mettre en avant, pour elles, c’est se vanter, fanfaronner, alors que depuis toutes petites on leur répète qu’il faut être humble, discrète. »
« Dès le plus jeune âge, on encourage la prise de risque chez les garçons, pas chez les filles, renchérit Marlène Schiappa. On laisse les garçons aller à la conquête de l’espace public, endosser le rôle de leader, alors qu’on appelle les filles à la pudeur, à la modestie. » Quand elle était membre de la commission d’investiture de La République en marche, elle a pu se rendre compte concrètement du confidence gap en observant les réactions des hommes et femmes choisis pour être candidats aux législatives. « C’était flagrant ! Quand on appelait un homme pour lui dire qu’il était sélectionné, il avait rarement l’air surpris ; chez les femmes, il y avait d’abord de l’incrédulité et ensuite la peur de ne pas être à la hauteur. »
• En France, 60 % des femmes ne demandent pas d’augmentation alors que 75 % d’entre elles ne sont pas satisfaites de leur rémunération. (« Les femmes valent-elles moins cher que les hommes ? », d’Annie Batlle, Belin.)
Prétextes. Un manque d’assurance dont peuvent souffrir des personnes pourtant tout à fait compétentes. Comment expliquer que seuls 35 % des experts invités dans les médias soient des… expertes ? Par une grosse part d’autocensure et de mésestime. « Les journalistes nous disent : “Pour avoir deux mecs sur un plateau, j’appelle deux mecs ; pour avoir deux femmes, il faut en appeler vingt !” », note Caroline De Haas, qui a créé le site expertes.fr. Et la première chose qu’elles disent pour expliquer un refus, c’est : « Je ne suis pas légitime. »
Quand la médaille Fields – le Nobel des maths – a été décernée pour la première fois de l’histoire à une femme, Maryam Mirzakhani en 2014, cette dernière (décédée en 2017) a déclaré dans un magazine scientifique américain : « Pour être honnête, je ne pense pas avoir apporté une énorme contribution à la science. » Et ce génie des maths d’expliquer qu’elle avait cru, en apprenant la nouvelle par mail, que son compte avait été piraté…
Dans l’entreprise, on laisse peu de place au doute. « L’assurance un peu machiste est bien vue, pas le questionnement », regrette Marie-Christine Levet, fondatrice du fonds Educapital. Celle qui a dirigé plusieurs entreprises (Lycos, Club Internet…) a pu constater que les femmes ont tendance à moins oser, à moins se mettre en valeur « alors qu’elles sont compétentes. Elles sont plus risk averse [réticentes au risque, NDLR]. Ce qui est aussi mon cas quand je fais des levées de fonds avec mon associée », avoue l’investisseuse. Lorsqu’elle était présidente de Club Internet, Marie-Christine Levet se souvient de ces garçons du marketing qui venaient lui demander, sans gêne, une augmentation et de ces filles qui trouvaient toujours des prétextes pour peaufiner ou dévaloriser leur travail : « Je n’ai pas tout à fait fini, J’ai peut-être pas assez bien fait »…
« Régression ». Une grande étude réalisée dans 55 pays sur plus de 17 000 participants a montré qu’une des différences majeures entre hommes et femmes était que les femmes sont plus « agréables » et plus « consciencieuses ».« Or la propension à être agréable – que les recherches en psychologie comportementale relient à la propension à l’empathie – peut empêcher de s’imposer, notamment au travail », explique Laetitia Strauch-Bonart, essayiste et chroniqueuse au Point. En effet, les femmes ont la réputation de ne pas oser dire non ou demander moins d’augmentations que les hommes.
Pour Peggy Sastre, la principale cause de ce manque d’assurance serait à chercher du côté de l’entourage des femmes. « L’influence des pairs est beaucoup plus forte, indique la docteure en philosophie des sciences. Les “ne fais pas ton intéressante !” ou sa variante “arrête de te la péter !” sont des paroles qui se transmettent avant tout entre femmes », souligne-t-elle. « Entre filles et femmes, il y a un goût très fort pour la “régression à la moyenne” : la compétition intra-sexuelle saque davantage celles qui sortent du rang (la plus belle, la plus intelligente…), bien plus systématiquement que son équivalent masculin. Chez les humains, comme chez d’autres primates sociaux, les “femelles alpha” sont bien plus souvent destituées par des femelles de rang inférieur, qui se liguent entre elles pour arriver à leurs fins. » Reste pour les femmes à s’entourer d’hommes…
Publié le 22/07/2018 | Le Point