Confinement : adoptons les règles de vie des marins !
En relisant récemment le récit de l’expédition Lapérouse (1785-1788) de Bernard Jimenez[i] et en m’appuyant sur ma propre expérience nautique, ayant eu l’occasion de faire un grand tour de l’atlantique durant une année en 2003-2004[ii], le confinement auquel nous sommes confrontés aujourd’hui pourrait s’apparenter à celui que l’on vit sur un navire, quelle que soit sa taille.
Que ce soit sur un voilier de course ou de grande croisière, d’un cargo, d’un chalutier de haute mer, d’un navire de la marine nationale, ou d’un paquebot, une fois en mer, on ne peut quitter celui-ci avant d’atteindre une terre accueillante. Ainsi, après avoir largué les amarres, nous sommes amenés à vivre, plus ou moins longtemps, avec l’équipage constitué et avec les seuls moyens du bord. Grâce à nos avancées technologiques nos navires actuels nous amènent rarement à des traversées supérieures à trois ou quatre semaines (hormis les courses autour du monde). L’expédition scientifique du Comte Jean-François Galaup de Lapérouse au XVIIIème siècle, à bord des frégates La Boussole et l’Astrolabe, nous rappelle qu’ils partaient, eux à leur époque, pour plusieurs années. Leurs différentes traversées dépassaient souvent les 45 jours de confinement. A titre d’exemple, ces deux frégates naviguèrent plus de trois mois de façon ininterrompue entre l’île de Sainte-Catherine au Brésil jusqu’à Conception au Chili (de novembre 1785 à février 1786) et près de dix semaines entre les côtes du Kamtchatka (Russie) et celles des îles Samoa (de septembre à décembre 1787), pour ce qui concerne cette expédition commandée par Louis XVI.
Quels enseignements peut-on tirer de ses expériences nautiques et susceptibles de nous aider à vivre notre promiscuité, dont la date de fin est aujourd’hui inconnue et est liée à des vents favorables que nous ne maîtrisons pas ; traitements, vaccins ou anticorps… ?
Tout d’abord, va se poser assez vite la problématique du commandement de notre navire-lieux de vie. Quel(le) capitaine choisir en temps de confinement ? Alors que la question ne se pose pas quand on part en mer, on sait a priori qui sera le capitaine et le navire, il se posera assez rapidement, dans le contexte de notre lieu de confinement décidé à la dernière minute. Si l’on est seul, c’est une traversée en solitaire qui se profile, quoi de mieux alors que de lire ou relire La longue route de Bernard Moitessier ? Si l’on est deux ou plus, nous formons alors un équipage et il va falloir apprendre à vivre en promiscuité sur le long terme, plusieurs semaines ou mois… Il convient de s’y préparer afin de réduire les risques de mutinerie et ne pas vivre les mêmes affres que le Capitaine William Bligh sur la Bounty (juin 1789). Définir le cap et les règles de vie de commune, maintenir les conditions du fonctionnement collectif dans une bonne ambiance et porter attention aux équipiers les plus faibles physiquement ou psychiquement, voici quelques règles de commandement à intégrer.
Pour cela rien de mieux que de mettre en place quelques rituels quotidiens qui ont fait leur preuve au fil des siècles de navigation :
- Tenir quotidiennement un Journal de bord : obligatoire sur tous les navires, y compris de plaisance, le Journal de bord permet de suivre tous les événements survenus à bord du navire : points de navigation, avaries, état sanitaire de l’équipage… Dans nos logements, notre Journal de confinement servira à égrener les jours (J+1 à J+45…) et à se rappeler ce que l’on aura vécu : activités, repas, surprises, déconvenues, moral des troupes… Il nous permettra de relater à notre famille, amis, enfants et petits-enfants cette période bien singulière que nous sommes amenés à vivre.
- Se préparer de bons repas : ils sont essentiels à une longue traversée réussie. Outre les apports nutritionnels à notre équilibre physiologique, le repas, pris avec l’ensemble de l’équipage, est un moment de convivialité naturel et indispensable à l’humeur positive du groupe. Se retrouver ainsi, deux à trois fois par jour, autour de mets préparés chaleureusement, et à tour de rôle par les équipiers, permet de garder le moral, lorsque les coups de blues ou la mélancolie apparaîtrons inévitablement un jour ou l’autre. Ne pas oublier que l’on pense avec ce que l’on mange. C’est-à-dire que nos capacités intellectuelles et de raisonnement sont fonction de la qualité des aliments que nous mangeons et qui alimentent ensuite notre cerveau. En bon marin, ne pas oublier de boire un jus d’orange pressé quotidien afin d’éviter le scorbut !
- S’assurer d’une hygiène du bord irréprochable : l’objectif premier est de ne pas tomber malade. Situation d’autant plus importante que nos services d’urgence sont saturés. D’où l’impérieuse nécessité de bien laver et nettoyer régulièrement, voire quotidiennement, tous les lieux à usage sanitaire : cuisine, frigidaire, congélateur, salle de bains, WC…
- Faire de l’exercice physique : pour se maintenir en bonne santé. Alors qu’avant le Coronavirus nous étions amenés à faire des efforts physiques quotidiens pour aller travailler ou nous déplacer (marche ou vélo), nous voilà assis à longueur de journée dans nos fauteuils ou canapés. Faisons au moins une demi-heure d’exercice par jour pour garder la forme (marche, escaliers, jardinage…). A ce titre, il y a de multiples applications ou vidéos disponibles sur le net pour nous stimuler, si nous manquons d’idées.
- Entretenir le navire (son lieu de vie) pour qu’il soit toujours opérationnel : réparer ses fuites d’eau, repeindre ses volets, vérifier sa toiture, entretenir son jardin. Cela occupe l’esprit et permet de vivre dans un environnement le plus agréable possible lorsqu’on ne peut en sortir.
- Bien dormir : c’est grâce au sommeil que l’on récupère le plus d’énergie physique. Dans l’ordre, l’énergie vient de la qualité de son sommeil, de sa nutrition et ensuite d’une activité physique. Calons-nous sur des horaires de lever et de coucher réguliers pour avoir un sommeil efficace et réparateur. Le gros avantage d’être confiné à terre plutôt qu’en mer, c’est de ne pas être obligé de prendre son quart à minuit ou quatre heure du matin. Mais pour ceux à qui cela manquerait, n’hésitez pas à vous organiser en quarts et bordées, il ne vous manquera plus que les embruns pour vous y croire…
- Spiritualité : last but not least, profitez de ce temps qui vous est donné pour développer votre spiritualité. L’énergie vient en premier du lieu du sens que nous donnons à nos actions. Déployons nos tapis de yoga, méditons en pleine conscience, prions, écrivons… nous allons nous sentir beaucoup mieux au fil des jours de cette belle traversée imprévue. Profitons de ce cadeau de temps inattendu.
Fort de ces conseils de marins, qui ont fait leurs preuves en mer depuis des siècles, je vous souhaite une belle traversée en solitaire ou en équipage sur vos navires-lieu de vie, là où vous vous trouvez. Grâce à votre Journal de confinement, que vous allez renseigner consciencieusement chaque jour, vous pourrez relater vos exploits à vos proches, une fois la liberté de l’escale retrouvée. Vous serez fier(e) de votre expédition et peut-être que cela vous donnera envie de vous lancer, cette fois-ci sur mer, dans le sillage des frégates de Lapérouse. Qui sait ?
[i] Bernard Jimenez, L’expédition LAPEROUSE, Editions Glénat, 2019
[ii] Jean-Manuel Gaget, Le pari de la vie, Editions Beladventure, 2007
✌🏻RETIRED✌🏻 ✅Security Strategic Account Executive CYBERSEL France
4 ansmerci jean manuel pour ce parallele tres instructif avec la navigation, prenez soin de vous et des votres 😉
Dirigeant associé - Tour Opérateur SPOTS D'EVASION
4 ansHello, tes conseils de capitaine sont toujours précieux. Cela donne envie de lire ce récit de La Pérouse. Je viens de voir Le chant du loup, film très intéressant sur la notion du commandement des temps modernes bien que...
Conseil en communication : Relations presse, édition, gestion d'image sur les réseaux sociaux - Auteur & Directeur de la collection Le Petit Quizz
4 ansOn ne peut plus pertinent !
Conseil Expert Financier
4 ansFYI cher Jean Manuel, j’ai commencé mon carnet de bord depuis le premier tour... et je persévère !