Construction-démolition navale Chinoise. Fiction d'économie circulaire
Après la publication d’une note stratégique & prospective intitulée Economie circulaire et stratégies portuaires et avant l’édition de l’ouvrage collectif Economie circulaire et écosytèmes portuaires dans la collection Les Océanides, la Fondation Sefacil propose une « capsule fiction » sur une anticipation d’écologie industrielle intégrée de la filière construction-déconstruction navale en Chine
Sinocentrisme maritimo-portuaire
Le seuil historique des 10 milliards de tonnes métriques échangées par voies maritimes a été franchi en 2014. Il n’aura d’ailleurs fallu que deux décennies pour passer de 5 à 10 milliards. Trois tendances importantes résultent de ces chiffres :
- Globalisation de l’économie et avènement d’un système-monde
- Maritimisation des échanges et développement planétaire de solutions portuaires en greenfield
- Littoralisation des populations et émergence de métropoles portuaires tentaculaires
Conteneurs et produits manufacturés représentent la partie immergée d’une société maritimisée mondiale où l’on assiste à un doublement des tonnages échangés de produits ferreux, de charbon ou encore de soja sur la dernière décennie. Tel que démontrée par l’analyse historique précédente, l’évolution des hiérarchies maritimes et portuaires reflète les rapports de puissance entre les grands blocs commerciaux dominants. En 2015, l’on assiste à un sinocentrisme qui se traduit par la croissance rapide des plus grandes villes portuaires en Chine littorale. Sont-ce les laboratoires des futures innovations qui permettront l’avènement d’une économie circulaire portuaire asiatique?
Les contributions sur les cas de Shanghai et de Ningbo tendent à confirmer que les pouvoirs publics chinois prennent au sérieux les problématiques d’hyper croissance et leurs conséquences potentielles en termes de déséconomies d’échelle. Le pouvoir central de Beijing a fait de l’innovation un des piliers de son dernier plan quinquennal, constatant de manière pragmatique que la dégradation d’un environnement conjuguée avec un développement socio-économique mal maîtrisé pouvaient devenir des freins considérables pour les années à venir.
L’espace marchand chinois fait converger trois tendances actuellement peu alignées les unes les autres :
- d’une part, la Chine continue de représenter le pays où les productions industrielles et manufacturières sont les plus concentrées du monde ;
- d’autre part, la Chine demeure l’un des marchés de consommation les plus prometteurs avec près de 750 millions d’habitants localisés dans la Chine intérieure et les provinces de l’ouest
- enfin, la Chine promeut aujourd’hui l’écologie et la maitrise de ses impacts environnementaux comme relais indispensable visant une croissance la plus inclusive que possible.
Ces trois paramètres constituent des ingrédients importants pour l’orchestration d’une circularité économique qui pourrait profiter de volumes et de matières considérables dans des logiques combinant échelles locale, régionale, sous-continentale et globale. Outre les opportunités d’une classe entrepreneuriale de se nicher dans les filières de l’économie circulaire, la Chine dispose d’un atout unique : sa capacité politique de planifier une volonté nationale. La complexité des défis pour sécuriser ses accès aux ressources naturelles et énergétiques pourrait conduire la Chine à évaluer la pertinence à terme des bénéfices d’une économie circulaire et une écologie industrielle Made in China.
De la construction au démantèlement : fiction chinoise
Les chantiers chinois concentrent aujourd’hui 47% de la production de navires commerciaux, suivie de loin par la Corée (28% de parts de marché) et le Japon avec 17%. L’industrie de la construction navale demeure un secteur très volatile avec des marges tributaires du coût nominal de la tonne d’acier, lui-même indexé au prix mondial du minerai de fer. La variabilité des taux de change entre dollars américain, yuan chinois, yen japonais et won coréen constitue également un élément décisif dans les relations concurrentielles entre chantiers asiatiques. Les carnets de commande varient fortement d’une année sur l’autre avec des stratégies armatoriales qui calquent leur capacité d’investissements sur leur santé financière et leur propension à anticiper les aléas des frets maritimes mondiaux. Une fois cela énoncé, comment la Chine, réceptacle des plus importantes quantités de matières premières, ne pourrait-elle pas penser en boucles fermées, de la construction à la déconstruction navales ? Sous la pression de l’OMI, le démantèlement sauvage localisé aujourd’hui sur le sous-continent indien pourrait être une opportunité stratégique pour faire de la Chine le plus grand producteur et recycleur de navires marchands. La circularité économique et l’industrialisation écologique de toute la filière navale devraient alors reposer sur corpus complet de réformes et d’innovations. Réglementations, fiscalité, aménagement : c’est une véritable politique nationale qui pourrait être incitée.
Cet exemple tend à suggérer combien l’économie circulaire exige aussi la redéfinition des fondements industriels d’une filière. Dans le cas de l’industrie navale, des procédés techniques et technologiques devraient réinventer, ou tout du moins redéfinir, l’ensemble des conditions du démantèlement, du reconditionnement et de la réutilisation des aciers usagés. Les normes internationales actuellement en vigueur pourraient se moderniser en phase avec les opportunités écologiques et économique d’une boucle fermée de la filière de la construction navale. Ces phases de transition et d’adaptation laissent toujours une grande liberté d’innovation pour mieux optimiser et organiser toutes les étapes industrielles. La construction navale est multiple : on n’élabore pas un paquebot de luxe aux chantiers de Saint-Nazaire comme on construit un handymax ou un porte-conteneurs.
La qualité des aciers et les procédés de fabrication continuent d’évoluer pour rendre les navires toujours plus résistants, fiables et rentables. L’allègement des structures résulte de cette capacité d’innovation pour que des aciers plus fins soient en même temps plus résistants et élastiques. Le secteur de la construction navale fait des avancées technologiques sous la contrainte de deux tensions principales :
- celle continue des lois du marché avec une compétitivité mondiale exacerbée. La maîtrise du modèle économique et financier se base sur cette capacité à améliorer sans cesse la gestion complexe de toutes les étapes d’une construction de navire.
- celle aléatoire des grands accidents maritimes qui concourent à changer les procédés de construction des navires (exemple des pétroliers double-coques)
L’économie circulaire et la gestion complète de la boucle fermée « démantèlement-construction » pourrait être une troisième tension, beaucoup plus positive et inclusive. La projection de voir l’économie circulaire se « tester » à très grande échelle dans une logique véritablement industrielle vise l’innovation où les sous-produits de la déconstruction (essentiellement l’acier) deviennent les intrants d’une nouvelle matière première brute, idéale pour « mouler » des formes relativement simples et standardisées. Rassembler sur un même site industrialo-portuaire toutes les étapes de cette boucle fermée exige des infrastructures dimensionnées, une main d’œuvre qualifiée et abondante, un accès à une énergie bon marché, etc. Bien plus important encore, cela requiert une vision stratégique planifiée qui mette en face des ambitions techniques des moyens économiques, financiers, voire fiscaux et réglementaires.
Les conditions actuelles du secteur de la construction en Chine présentent de réels atouts dans ce sens. Le gouvernement chinois a mis en place une « white list » visant à rendre plus transparent la solvabilité technique et économique des dizaines de chantiers navals qui s’égrènent sur les milliers de kilomètres de côtes maritimes et fluviales. Cette liste blanche repose sur une série de critères afin que les chantiers navals chinois puissent être :
«éligibles à recevoir l’appui des autorités et banques chinoises pour l’émission de garanties de restitution d’acomptes et de prêts bancaires » (Barry Rogliano Salles, 2015, p18)
Malgré le fait que le courtier parisien BRS se fasse l’écho d’un certain scepticisme sur la pertinence des critères de cette liste blanche, il n’empêche que cet exemple met en avant cette capacité à structurer toute une filière navale.
En guise de conclusion, force est de reconnaître que cet exemple reste une pure fiction qui n’a de vertu que d’exprimer une opportunité concrète dans l’environnement industriel de la construction navale. La maturité de l’écosystème industrialo-portuaire et la capacité des pouvoirs publics à accompagner une boucle fermée d’économie circulaire restent probantes dans l’argumentaire chinois. Le fait de disposer aussi d’une main d’œuvre abondante, qualifiée et... (encore) bon marché constitue un autre élément à ne pas négliger dans une action volontariste et planifiée comme il l’a été suggérée.