CONTROVERSE : DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT RUGBY
Sommaire
CONTROVERSE
DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT RUGBY
1- RÉFLEXIONS SUR L’ÉTAT DU RUGBY FRANÇAIS: NÉANT
1.1- Un état des lieux à faire
1.2- Une des causes principales : les statistiques médiatiques
1.3- À quoi assistons-nous : que ce soit durant les weekends de TOP 14 ou pendant les
matches internationaux de l’Équipe de France ?
1.4- Et quelles propositions ?
2- AVANT PROPOS
3-INTRODUCTION
3.1- Performance sportive contre performance sociétale
3.2- Une gouvernance partenariale
3.3- Quatre Hypothèses de travail
4- ANALYSE DE LA CHAÎNE DE VALEUR DANS LE RUGBY PROFESSIONNEL
4.1- Vision
4.2- Projet sportif
4.3- Management organisationnel – Marketing – Exploitation
4.4- Les enjeux du partage de la valeur ajoutée
4.5- Quelle valeur créée, perçue ou détruite et pour qui ?
4.6- La création de valeur
5- PROMOTEURS ET PRÉBANDIERS À LA FOIS
5.1- Les institutions nationales du Rugby – FFR – LNR et DNACG
5.2- Les institutions nationales du Rugby – FFR
6- LES CONTRIBUTEURS À LA CRÉATION DE VALEUR
6.1- Les supporters
6.2- Les sponsors
6.3- Les diffuseurs
6.4- Les produits dérives et le merchandising
6.5- Synthèse des produits d’exploitation
7- PARTIES PRENANTES INTERNES AU CLUB
7.1- Les joueurs salariés
7.2- Les staffs techniques
7.3- Les salariés de l’administration
7.4- Les honoraires agents sportifs et médicaux
7.5- L’État et les organismes sociaux
7.6- Les actionnaires et les investisseurs
7.7- Les Clubs
7.8- Synthèse des résultats
8- PARTIES PRENANTES EXTERNES AU CLUB
8.1- Les fournisseurs et les prestataires de services
8.2- Les institutions locales et régionales
8.3- Les citoyens locaux et régionaux
9- SYNTHÈSE
10- CONCLUSION
Sources
1- RÉFLEXIONS SUR L’ÉTAT DU RUGBY FRANÇAIS: NÉANT
Pour initier ma réflexion sur la déconstruction de la chaîne de la valeur du Rugby professionnel, je rappellerai un texte que j’ai rédigé, il y a 3 ans déjà, et qui nous immergera dans le contexte, sportif, social et économique du Rugby français.
« Néant » comme le titre à « la une » du journal L’Equipe, du Dimanche 19 Novembre 2017, au lendemain de la défaite de l’équipe de France de Rugby contre celle d’Afrique du sud, score 18-17 pour celle-ci.
Imaginons donc le titre de « la même une » si le score fut inversé !! Exceptionnel, sublime, éblouissant, extraordinaire … et j’en passe !!
Et quelles réflexions, analyses pertinentes et intelligentes auraient été énoncées pour justifier de tels déferlements de commentaires tous plus contradictoires les uns que les autres ?
1.1- Un état des lieux à faire
Que constatons-nous aujourd’hui, sachant que ces évidences auraient pu être portées depuis bientôt 30 ans ?
Le Rugby se joue en équipe au service des individus et non le contraire. Un principe de base qui tend à être inversé sous la pression des dirigeants, des médias et du monde économique.
Mais surtout, la pratique du Rugby procède de trois qualités depuis longtemps oubliées, époque du « french flair », en faveur du collectif.
Ces trois qualités que sont la vitesse d’exécution, la haute technicité des attitudes, des mouvements et des réflexes, le tout associé à l’intelligence situationnelle des joueurs. Ces aptitudes appartiennent aux fondamentaux du joueur de Rugby depuis l’origine de sa pratique. Un corollaire direct de ces qualités est le plaisir du jeu, de le voir, mais surtout pour les joueurs, de le pratiquer.
Je veux, je souhaite, par cet article revenir sur quelques principes éthiques de comportement, rappeler quelques évidences sur la pratique du Rugby tel que nous le rencontrons dans certains pays, comme le Japon et l’Argentine dans lesquels le Rugby est un sport « neuf ».
La France, à l’opposé de la plupart de ces pays, s’est égarée dans le choix des orientations retenues depuis plusieurs décennies, en se reposant en grande partie sur les notions de force, de puissance physique, d’impact, de densité, de taille et de poids.
Tout cela pour « produire un nouveau Rugby », proposer le soi-disant « meilleur championnat », lequel, en réalité, se voulait être le plus spectaculaire et non le meilleur.
À cause de l’attrait financier du championnat français, celui-ci ayant pour but de valoriser les droits audiovisuels, de drainer de nouveaux sponsors et d’attirer les spectateurs devant leur petit écran, promu par des instances nationales guidées par les seuls enjeux économiques et politiques, le championnat ne laisse même plus la place aux jeunes joueurs des terroirs, et force est de constater la déferlante de stars venues de tous horizons aux postes clés des grands Clubs.
Pourtant, parfois, portés par les médiologues de tout poil, l’arrivée de jeunes joueurs nous est toujours présentée comme la panacée, comme si tous les dysfonctionnements pouvaient disparaître avec l’apparition d’une nouvelle génération. Combien d’entre eux ont fait leur preuve au niveau international ? Peu, très peu.
Après quelques dizaines de minutes de jeu en TOP 14, titulaires à temps partiel, et aussitôt « starisés », nous les voyons disparaître aussi vite que venus, ou finalement perdre leur inventivité, et tomber dans les travers des orientations données depuis des décennies.
L’équipe de France, dans tout ce cirque médiatique, est bien vite oubliée. Les Clubs veulent des victoires, quitte à freiner le jeu, à limiter les risques, à mettre les stars sur le terrain et garder les jeunes pousses dans leur pot, et quand elles en sortent, elles sont bridées par des systèmes de jeu fermés qui reposent sur la puissance et la force, car l’impact est médiatique, l’évitement ne l’est pas.
1.2- Une des causes principales : les statistiques médiatiques
En cause, les médias, les journalistes, les prétendus experts au service d’un produit de marketing qu’il s’agit de vendre aux sponsors, aux spectateurs et aux futurs abonnés.
Il n’est en effet aucunement besoin de présenter et d’abreuver le grand public, naïf ou connaisseur, des théories, des analyses de jeu complexe, argumentées seulement par des étendues de chiffres et de stratégies indéchiffrables, avec pour seul objectif d’assujettir le spectateur à son programme chèrement payé, quand en vérité, les tactiques en place sont aussi pauvres et brèves.
Cette éclosion des analyses chiffrées dans le Rugby a généré l’apparition de praticiens, d’experts en tout genre, de pseudo-journalistes sportifs, de théoriciens de tout, de médias attirés par l’argent, tous au service d’un sport qu’ils ont contribué à amener dans l’état ou il se trouve.
Portés par la communication marketing, en utilisant les convoitises des sponsors, des consommateurs abonnés ou spectateurs, en standardisant les orientations promues, les médias sportifs et leurs actionnaires ont créé, au sens de Herbert Marcuse « l’homme unidimensionnel sportif ». Les individus, acheteurs d’abonnement de stade ou de programmes sportifs réagissent comme des suiveurs de modes, et subissent une aliénation réelle devant un spectacle qu’ils pensent extraordinaire parce qu’on leur rebat les oreilles et emplit les yeux, et parce qu’ils le paient chaque semaine, chaque mois ou à la demande. Ces présumés journalistes et experts n’agissent que comme des « vendeurs » de représentations sportives, justifiant ainsi les coûts exorbitants des droits audiovisuels qu’ils faut bien replacer auprès des futurs abonnés. Les conflits d’influence apparaissent à chaque émission, à chaque expression avec pour objectif de présenter le produit sportif dans son plus bel « emballage » médiatique, dans la plus pure application des pratiques de communication publicitaire.
« L’homme unidimensionnel sportif » s’est aussi approprié le monde de l’esthétique. Depuis la prise de pouvoir de l’économie libérale, la culture sportive n’a pour seul et unique objectif : proposer du dérivatif. Il suffit de voir les usages intempestifs des supports sportifs, des évènements relatant les compétitions qui sont destinées à la promotion publicitaire des biens de consommation et des marques de produits de grande diffusion.
1.3- À quoi assistons-nous : que ce soit durant les weekends de TOP 14 ou pendant les matches internationaux de l’Équipe de France ?
À rien de plus qu’aux conséquences des choix déterminés par tous les faux scientifiques du Rugby.
La forme de pensée promue par cette société économico-sportive considère que toutes les réflexions intellectuelles différentes, toutes les prises de recul relatives à la production de savoir ne sauraient remettre en cause l’ensemble des discours ambiants. La forme du langage ainsi utilisée, dénuée de toute charge négative, perpétue des pratiques communicationnelles qui visent à désigner des mots, des expressions, des savoirs, orientés vers une forme de jeu qui renvoie aux objectifs médiatiques, et tue, de ce fait, toutes les pensées critiques. Ainsi est créé un univers d’où sont exclues toutes les nouvelles idées censées enrichir la vision critique de l’environnement du Rugby.
Les mots énoncés pour le dire suffisent à eux-mêmes et reflètent la pratique de ce jeu-là, soutenue par les termes successifs de conflit, hostilité, collision, choc, télescopage, lutte, combat, intensité, violence, guerrier, acharnement, commotion, dur au mal, tous les adjectifs qualifiant les plaquages durs, le tout comparable à des affrontements de rue plutôt qu’à la pratique d’un jeu de ballon.
Au-delà des mots employés, s’ajoutent depuis quelques années, les « contrôleurs de gestion » du Rugby, producteurs de statistiques, plus savants les uns que les autres, au service de tous les pseudos experts et techniciens, qui ne parlent plus que de mètres avancés, de ballons portés, de mètres parcourus, de plaquages manqués, de ballons perdus.
L’on n’écoute plus que cela et en découle la pratique d’un sport loin des attendus, avec des matches caricaturant les orientations imposées, une fréquentation des stades qui stagne depuis 10 ans, mais toujours accompagnée des élans lyriques de la part des journalistes et experts du Rugby.
Sur tous les terrains du Top 14, des actions de jeu hachées par les fautes de mains incessantes, des ballons mal contrôlés ou des passes mal ajustées, des séquences dignes des sports de combat, un temps de jeu effectif très en retrait des standards internationaux, des phases de jeu lentes, des transmissions au ralenti, des affrontements féroces, des chocs violents : l’ensemble de tout cela est loin des envolées attendues de la part de la pratique de ce sport.
À la lumière des qualités développées pour les joueurs, issues des réflexions prônées par les apparents experts et conseillers, nous retrouvons sur les terrains de jeu, la mise en œuvre de celles-ci : un sport basé sur la force, le poids, la densité, les collisions, pratiqué au rythme des qualités physiques déployées. Des avants de déplaçant lentement, avec une technique rustre, et dont le seul objectif est d’enfoncer l’obstacle qui se présente devant eux, voire de tomber au sol avec pour but de protéger le ballon plutôt que de le faire vivre. Des demis lents dans les transferts de jeu, dans les variations d’orientation et d’une diversité d’options indigentes. Des trois-quarts avec le même point commun que les avants, à savoir l’affrontement direct, une technique indigne du niveau international, ne maîtrisant pas les gestes fondamentaux, assortie d’une lenteur d’exécution patente, facilitant la réorganisation défensive sans aucune difficulté.
Pour résumer, nous pratiquons un Rugby avec la vitesse du plus lent, l’affrontement du plus lourd et l’intelligence du plus démuni.
Avec pour résultat : un championnat dans lequel le nombre de commotions explose au détriment de la santé des joueurs.
1.4- Et quelles propositions ?
Tout d’abord, il y a la remise à plat des instances nationales. Il s’agit de redéfinir les missions de chacune d’entre elles qui doivent être exercées dans un environnement serein, loin des enjeux économiques et politiques. Leur objectif devrait être seulement au service des jeunes joueurs, des Clubs, du public, de la promotion de ce sport-là, ici le Rugby, et plus globalement de l’intérêt général centré sur l’éducation, la santé et l’humilité pour toute la jeunesse concernée.
Ensuite, nous avons le retour sur les bases d’un Rugby orienté vers le plaisir de jouer, de pratiquer un jeu fait d’envolées spectaculaires, un jeu de vitesse et d’intelligence du mouvement, mais aussi un jeu marqué par le respect de l’adversaire et de tolérance, empreint d’humilité. Je prône un retour aux valeurs authentiques portées par ce sport et non aux simulacres de valeurs médiatiques énoncées depuis quelques décennies.
Les conditions réunies pour un tel projet de jeu passent par les trois qualités évoquées plus haut, à savoir, la vitesse d’exécution, la haute technicité des attitudes, des mouvements et des réflexes, le tout associé à l’intelligence situationnelle des joueurs.
Cela conditionne la réorganisation de la formation initiale chez les plus jeunes, parmi lesquels il faudra détecter les prémices de ces qualités-là, leur apporter les fondamentaux de ces pratiques et surtout les mettre très tôt en situation réelle de jeu. Ils pourront alors développer ces capacités identifiées comme incontournables et vers lesquelles tout joueur devra s’évertuer à les renforcer afin d’être capable de s’adapter à toute situation de jeu nouvelle et imprévue.
Ainsi nous retrouverons des avants à la dextérité digne des plus grands, des transmissions rapides et précises, des passes ajustées dans n’importe quelle situation, des joueurs focalisés sur la conquête du ballon et non la destruction de l’adversaire, des joueurs qui proposent de nombreuses alternatives, disposant d’une panoplie de solutions techniques applicables à des contextes de jeu inédits et déroutants.
Nous admirerons des demis qui maîtrisent toutes les variations de combinaisons possibles, les anticipent, les réalisent avec le maximum de vitesse, dominant les gestes techniques les plus complexes ou remarquables, toujours au service d’un partenaire et du collectif.
Nous serons fascinés par des trois-quarts (arrière compris) préparés à toutes les initiatives possibles, qui favorisent les décalages, l’évitement, l’engagement dans les espaces, s’engouffrant dans les intervalles crées, toutes ces techniques en mouvement pratiquées avec la plus grande vitesse, la vélocité nécessaire et la précision requise qui ont pour objectif de déstabiliser les adversaires, de les éviter, de les dépasser pour parvenir derrière la ligne d’embut.
Il s’entend que la base de la formation doit s’organiser autour de la répétition des conditions réelles de match afin de permettre aux joueurs d’emmagasiner des situations de jeu inconnues, de mémoriser des comportements appris, de faire preuve d’inventivité afin de proposer des positions aléatoires, seules à même de désorienter l’adversaire. Ces jeunes joueurs seront alors animés par une inspiration sans cesse renouvelée. De plus ils seront légitimés par des postures, des attitudes et des réflexes singuliers et non conformistes.
J’ajouterai que cette formation doit s’appuyer sur des valeurs de respect, d’humilité, de tolérance, de santé des joueurs, de plaisir de jeu au service du collectif et les faire partager à tous les staffs techniques, administratifs et dirigeants – sans oublier les adversaires et les arbitres.
Imaginons un Rugby futur que nous pratiquerions avec la vitesse du plus rapide, l’évitement des plus virtuoses et l’intelligence situationnelle des meilleurs stratèges.
Tout cela suggère une déconnexion entre les enjeux économiques, médiatico-politiques de la part des dirigeants, des instances nationales et des Clubs. Le Rugby n’est pas au service des intérêts personnels et financiers mais doit être vu dans l’intérêt général des jeunes pratiquants.
J’entends aussi rejeter cette nouvelle vision purement comptable du Rugby, sous formes de statistiques diverses tel que le pratiquent les « contrôleurs de gestion », producteurs de données et de résultats, qui n’ont de valeur que pour ceux/celles qui les produisent. Ce sont des données qui se révèlent donc inutiles si ce n’est pour les médias et les experts, donnant la vision d’un sport tel que le Rugby (et d’autres), gérés comme le gouvernement qui administrerait la France dans l’attente de la parution des statistiques.
Je rappelle que « le contrôle de gestion », « la comptabilité » et « les statistiques » ne sont que des outils et que comme tels, ils doivent être destinés à des usages spécifiques, au service d’une politique d’ensemble, d’une vision, d’une stratégie de Club et d’une ambition pour un projet de jeu. Sans ces prérequis, tous ces outils, les personnes qui les produisent et les analyses ne font que du bruit dans le vide des organisations du sport.
Un autre aspect de cet environnement relatif au Rugby, mais aussi à d’autres sports mérite une attention particulière. La société médiatique récente n’a pas réduit – elle a plutôt multiplié – les fonctions parasitaires et aliénantes : la publicité, les relations publiques, la communication, l’endoctrinement et le gaspillage organisé. Tous ces paramètres ne sont plus désormais que des dépenses improductives, mais elles intègrent les coûts productifs de base. Ce sont ces mêmes coûts que la société médiatique fait assumer, par duplicité, aux futurs abonnés modestes .
« La pensée unidimensionnelle » est rationnellement récupérée par les faiseurs de politique sportives et par leurs fournisseurs d’informations de masse, dans un univers spéculatif, plein d’hypothèses, qui trouvent en elles-mêmes leur justification et qui, répétées de façon incessante et exclusive, fonctionnent comme des somnifères de la pensée, associées à des formules sous forme de « slogan » publicitaire.
La pensée individuelle, « noyée dans la communication de masse », selon Herbert Marcuse,pointe ainsi le double rôle des médias : informer et ou divertir, conditionner et ou endoctriner. Les comportements et les pensées « s’unidimensionnalisent » par la publicité, l’industrie des loisirs et de l’information. Les conséquences sont des discours de journalistes, experts et autres conseillers qui nous vendent leurs théories, leurs stratégies sportives et entretiennent ainsi le système médiatique dans une déchéance culturelle qui résulte de la communication de masse. Celle-ci a « marchandisé » tous les domaines culturels mais aussi les différents sports, et réduit à néant tout pouvoir de subversion propre à notre vision du Rugby. Se pose alors la question de la production superflue, question la plus immorale, désormais identifiée comme vitale pour attirer les futurs abonnés téléspectateurs ou spectateurs dans les stades.
Ces multiples réflexions doivent être menées avec toutes les bonnes volontés concernées, sans parti pris, ouvertes sur les pratiques d’autres horizons, et appuyées par des considérations altruistes et généreuses.
Nous ne sommes pas encore sortis d’une pandémie de SARS-CoV-2. Elle a déjà remis en cause les modèles économiques installés. Ses conséquences futures vont remettre en cause tous les comportements passés et nous obliger à repenser le futur du Rugby, en reconstruisant de nouveaux projets centrés autour d’une vision qui devra, d’abord, intégrer les dimensions de responsabilité, sociétale et durable autour d’enjeux sportifs au service de ces missions-là.
2- AVANT-PROPOS
Une organisation, quel que soit son secteur d’activité, est performante lorsqu’elle réussit à établir une correspondance entre sa chaîne de valeur, celle de ses clients, celle de ses prestataires et fournisseurs, ses salariés et managers, ses dirigeants, ses actionnaires et les institutions publiques : soit finalement toutes les parties prenantes à la valeur créée par les organisations.
La profitabilité de la chaîne de valeur des organisations dépend donc de la consistance et de l’équilibre des activités globales dans laquelle s’insère la production des différentes composantes. Replacé dans la construction de la vision stratégique d’une association humaine et collective à mission économique, sociale et responsable, le concept de la chaîne de valeur élargie conduit à définir l’impact durable, sociétal et environnemental de ces acteurs économiques comme l’accroissement de la valeur créée par le commun, écologique et sociétal, que son action permet.
Un acteur social crée de la valeur à partir de ressources partagées qui définit la valeur ajoutée qui ne peut seulement se traduire que par une marge bénéficiaire. S’y ajoute aussi un enrichissement du commun, caractérisant l’impact social.
Synchroniquement, les activités économiques ne peuvent se résumer à l’exploitation des ressources naturelles collectives pour produire des bénéfices singuliers. Néanmoins il existe aussi par la production, des alternatives durables afin d’en limiter les impacts environnementaux.
Ces raisonnements peuvent être aussi appliqués au service public afin de ne considérer la dépense publique, non plus sous l’aspect exclusivement de coût, mais de traduire, par le concept de chaîne de la valeur, la contribution à la création de valeur sur un espace défini, sur une agglomération, sur un territoire : cela étant, il est entendu que ces trois topographies sont destinées à l’ensemble des citoyens.
De par mon activité de formateur et intervenant dans l’environnement du sport, porté par des pratiques pédagogiques innovantes, par la volonté de rendre accessible au plus grand nombre une approche systémique appliquée à l’apprentissage dans l’univers du sport (*1), j’ai souhaité contribuer au débat sur l’application du concept de chaîne de la valeur dans l’écosystème du Rugby professionnel.
J’ai essayé de démontrer que la vision purement mécanique de la valeur aboutit à des contre-performances économiques, sociales et environnementales. Pure illusion d’économiste, le management du secteur du sport professionnel, du Rugby en particulier, à la façon d’un marché de consommateurs que l’on conditionne, pose aujourd’hui la question de la transformation de la vision globale du secteur analysé, et de la réalisation d’une véritable démocratie participative et sportive.
Si les données économiques et financières conservent une image très austère et technique, elles sont en réalité, aussi un système de représentation du monde qui détermine la vision et la mission d’une organisation.
Par le travail que je vous propose, j’ai tenté d’illustrer l’influence du système économique sur le comportement des acteurs économiques et sportifs. Je propose de considérer la production d’externalités sociales négatives comme une dette auprès des Clubs. Lorsque des Clubs recrutent des salariés et des managers avec des rémunérations indignes, associées à des contrats de travail précaires, l’organisation sportive fait une sorte d’emprunt social. C’est un passif social qui devrait être intégré comme tel dans le bilan des Clubs. La nécessité de proposer une réflexion sur la déconstruction de la chaîne de la valeur dans l’écosystème du Rugby professionnel m’a conduit à établir un diagnostic de cette chaîne de la valeur, d’en établir une synthèse et d’exposer quelques recommandations portant sur les enjeux d’un développement du sport et du Rugby en particulier, intégrant les dimensions de responsabilités, sociétales et durables afin de contribuer à une valorisation des externalités produites au bénéfice de toutes les parties prenantes.
3- INTRODUCTION
Le Coronavirus (ou Covid-19) révélateur de la fragilité de la filière business sportif et en particulier de la chaîne de valeur du Rugby professionnel ?
Il semble en effet que les Clubs professionnels de Rugby ne sortiront pas indemnes de la crise, et, à l’image de la société, il y aura sans doute de nouvelles normalités. Reste à savoir si celles-ci tireront le Rugby français encore plus vers le bas ou encore plus dans le rouge qu’il ne l’était avant la crise, en particulier d’une chaîne de valeur incompatible avec les critères de responsabilité, de facteurs de risque, d’éthique, d’engagement sociétal et de partage de la richesse créée.
Afin de démontrer mon raisonnement, je m’appuierai sur les données économiques publiées par la Direction nationale d’aide et de contrôle de gestion, dénommée – DNACG – relativement aux années 2015/2016 à 2018/2019 – soit 4 saisons consécutives.
Pour mieux étayer mes arguments, je proposerai mon diagnostic de la chaîne de valeur intégrée du Rugby et projetterai mes réflexions sur les différents niveaux de production et de capture de la valeur ainsi créée.
Avant mes développements, je rappellerai le contexte des données économiques collectées et du modèle de la chaîne de valeur.
La DNACG publie à chaque fin de saison les résultats consolidés de l’ensemble des Clubs de Rugby, TOP 14 et PRO D2. Deux remarques s’imposent à ce niveau-là, à qui veut travailler sur ces informations à caractère économique mais aussi publique.
La première porte sur une insuffisance notoire desdites informations, trop agrégées, incomplètes, insuffisamment détaillées et regroupées de manière incohérente. La seconde porte sur la fréquence et la date de parution : c’est-à-dire une seule fois par an et 1 an après la fin de la saison – alors que les comptes des Clubs sont arrêtés au 30 juin de chaque année et présentés dans les 3 mois suivants.
J’ai emprunté le modèle de la chaîne de valeur, concept développé par Michael Porter en 1985, consistant à simplifier l’organisation d’un Club, comme un enchaînement d’activités interconnectées qui développent chacune une valeur plus ou moins stratégique et importante pour ledit Club. Elle peut être utilisée pour décrire les combinaisons d’activités mises en place dans le Club en vue de créer un avantage concurrentiel et de proposer une offre commerciale intéressante pour l’ensemble des parties prenantes.
Dans une filière « sport intégré », les chaînes de valeur de chacun des acteurs, Clubs, joueurs, staff technique, managers, salariés, sponsors, spectateurs, diffuseurs, prestataires et fournisseurs, institutions, actionnaires et financeurs, se coordonnent et s’imbriquent pour aboutir à la vente de différentes prestations réalisées sous forme d’évènements et de spectacles auxquels sont associés la commercialisation de produits dérivés.
Sans l’ensemble de ces acteurs, il n’y a pas de produits, ni de prestations finies accessibles pour les clients. Et chacun des acteurs contribue et apporte une partie de la valeur.
En somme et en termes de management organisationnel, l’environnement constitue un écosystème dans lequel se meuvent des facteurs socio-économiques qui influent sur la vie du Club : la concurrence, l’État, la législation sociale, financière et commerciale, les groupes de pression, lobbies, les syndicats, les associations de consommateurs et les institutions. Autrement dit, ces composantes ne sont pas isolées : elles forment les parties prenantes de la chaîne de valeur intégrée ; elles s’imbriquent et structurent un environnement à cinq pôles :
- Un pôle sociétal
- Un pôle sportif
- Un pôle entreprise
- Un pôle investisseur
- Un pôle institutionnel
J’ajoute que l’identité de l’environnement des Clubs n’est pas statique. L’environnement que nous venons de définir change de nature : il est turbulent.
La turbulence entraînera des modifications dans l’environnement qui auront un impact sur l’organisation des Clubs. Les causes des turbulences, généralement relevées dans la littérature, sont la complexité, l’incertitude et le dynamisme.
La complexité correspond à l’hétérogénéité et à l’étendue des activités d’une organisation ou d’un Club de sport.
L’incertitude est le manque d’informations sur des facteurs environnementaux rendant impossible la prévision de l’impact d’une décision spécifique sur l’organisation des Clubs.
Quant au dynamisme, il entraîne l’absence de modèles, en renforçant le caractère imprédictible de variations des facteurs constituant l’environnement.
Le dynamisme peut se trouver représenté par l’instabilité du marché, la modification de la structure concurrentielle ou l’amélioration des technologies.
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